La plupart des pays du Sud Global, qui luttent pour un nouvel ordre international, présentent l’Occident comme le soutien des injustices dans le monde, faisant oublier au passage pour certains, les critiques contre leurs autoritarismes.
Par Ould Amar Yahya *
Tout conflit finit généralement par une négociation. Mais ce qui se passe depuis le mois dernier entre Israël et le Hamas ne facilite pas un accord politique entre les deux parties. L’idée consistant à éliminer un ennemi mais conduisant à en créer dix nouveaux ne relève pas, dans l’absolu, d’un calcul cohérent.
Cependant quelle que soit l’issue de ce conflit, il repositionne la question palestinienne, longtemps oubliée ou ignorée, au centre des préoccupations des politiques au Moyen-Orient.
Au-delà de ce conflit, l’anarchie à l’échelle d’un monde de plus en plus fragmenté a mis en lumière le déclin de l’ordre international, l’affaiblissement du leadership des États-Unis et le fossé croissant entre l’Occident et le reste du monde.
La guerre Israël-Hamas est le énième feuilleton d’un douloureux et vieux conflit qui avait connu différents épisodes tragiques, se cristallisant sur des contours territoriaux connus et qui, dans l’épisode actuel, ne peut justifier les craintes d’un prétendu risque d’embrasement régional avec l’envoi par les Etats-Unis des porte-avions Gerald Ford et Eisenhower.
L’agenda du déclenchement du conflit
Le contexte international actuel est marqué par une importante activité diplomatique de la Russie pour s’assurer les soutiens, dans sa guerre contre l’Ukraine, de ce qui est désormais appelé le Sud Global ou pays en développement, face au camp Occident considéré comme celui du néocolonialisme.
Dans la confrontation pour le leadership du monde, la Chine a comme principal axe de politique étrangère l’élargissement des Brics et la constitution d’un bloc pour renforcer son influence économique et politique face aux Etats-Unis.
Au Moyen-Orient, l’Iran s’emploie à développer ses programmes nucléaire, balistique et de technologies de défense auxquels sont hostiles les Occidentaux et certains pays arabes sunnites, les considérant comme une menace pour toute la région. La guerre en Ukraine et les tensions dans le détroit de Taiwan ont desserré l’étau sur l’Iran. Il y a environ un mois le secrétaire d’Etat américain Antony Blinken a ordonné le dégel et transfert de 6 milliards de dollars américain de la Corée du Sud à l’Iran en même temps qu’un échange de 5 prisonniers. Pour l’Iran, toute crise géopolitique permet de détourner les regards sur son programme nucléaire, le reléguant temporairement dans la case oubli et lui accordant dans la pénombre le temps dont il a besoin pour ses développements. Il sait que les Etats-Unis ne mènent historiquement pas plus d’un conflit armé à la fois.
L’extrême droite en Israël et le Hamas à Gaza
Depuis l’arrivée au pouvoir en Israël d’un gouvernement dominé par l’extrême droite encourageant le développement des colonies et l’affaiblissement de l’Autorité palestinienne au profit du Hamas, la solution à deux Etats pour arriver à la paix semblait compromise et a été dans le fait abandonnée, d’abord par les principaux concernés, ensuite par l’Europe et les Etats-Unis.
Il a été considéré qu’il faut inverser le processus consistant à «négocier pour arriver à la paix». La nouvelle stratégie américaine semble rechercher d’abord la paix, «en espérant» arriver à une solution à deux États.
Cela repose sur trois idées. Premièrement, qu’il est impossible de négocier une solution à deux États avec deux «extrêmes», chacun ne la voulant pas. Deuxièmement, que le problème clé dans la région n’est pas la création d’un Etat palestinien, mais la montée en puissance de l’Iran avec ses programmes nucléaire et balistique qui menace à court terme Israël et à moyen long terme les régimes arabes sunnites au Moyen Orient. Troisièmement, que la question palestinienne sera résolue lorsque les tensions israélo-arabes seront réglées et la confiance établie, et non l’inverse, comme le pensait auparavant les Américains et les Européens. D’où les Accords d’Abraham initiés par Trump et repris par l’administration Biden.
Ce dernier épisode du conflit avec ses horreurs de massacres de civils a été le théâtre de cauchemars des nations dits civilisées, en raison des soutiens et des oppositions à chacun des belligérants dans leurs populations respectives.
Certaines grandes puissances occidentales, fondatrices de l’actuel ordre International, ont «oublié» leur responsabilité morale et internationale en s’alignant sur les objectifs d’un gouvernement dominé par l’extrême droite, allant jusqu’à refuser publiquement des cessez-le-feu. Ce qui arrange extraordinairement, dans leur hostilité avec l’Occident les trois alliés : Russie, Chine, Iran et tous ceux qui prônent la naissance d’un nouvel ordre international plus juste, moins égoïste dans la prise en compte des intérêts de tous, plus légitime moralement et plus crédible politiquement.
La plupart des pays du Sud Global, qui luttent pour un nouvel ordre international, présentent l’Occident comme le soutien des injustices dans le monde, faisant oublier au passage pour certains, les critiques contre leurs autoritarismes.
Il y a un risque réel pour l’avenir de la paix, que l’actuel gouvernement dominé par l’extrême droite israélienne soit tenté d’aller jusqu’au bout dans les destructions de Gaza à la recherche des combattants du Hamas, pour combler, vis-à-vis de son opinion publique, ses lacunes sécuritaires. Pour rappel, le ministre d’extrême droite Ben Gvir est en charge de la sécurité nationale. Et comme le disait Georges Clemenceau : «Dans la paix comme dans la guerre, le dernier mot est à ceux qui ne se rendent jamais».
Ce conflit torpille pour un temps toute possibilité d’accord israélo-saoudien et fait voler en éclats les politiques des pays occidentaux au Moyen-Orient, voire dans de nombreux pays du Sud Global.
Ce qui avait prévalu ces dernières années – et qui s’est avéré une illusion – était le maintien du statuquo par une politique incitative d’aides financières occidentales et autres dans les territoires palestiniens, une recherche de rapprochement avec les pays arabes, combinés à une gestion militaire du conflit avec ses punitions collectives, la construction de colonies et l’oubli des revendications du peuple palestinien.
La responsabilité morale de l’ordre international
Ce conflit interminable indique une crise profonde et un déclin continu de l’ordre international.
La responsabilité morale de celui-ci dans la guerre Israël-Hamas tient à la non protection des populations civiles en zone de conflit et au non rejet des restrictions de l’aide humanitaire.
Aussi, l’absence d’une position internationale unifiée sur ce conflit et l’incapacité à instaurer une solution pérenne et juste constituent une défaillance morale, en raison de la persistance des souffrances des populations concernées.
D’un point de vue juridique, toute violation du droit international, incluant les droits de l’homme et les conventions internationales dont celle de Genève est un échec de l’Ordre international pour son incapacité à faire respecter et maintenir des normes légales.
Le principe de proportionnalité et la distinction entre les cibles civiles et militaires soulignent l’impératif des puissances fondatrices de cet ordre à tenir les parties responsables de leurs actes, ce qui semble aujourd’hui improbable.
Concernant la responsabilité de l’ordre international ou son obligation morale de maintien de la paix et de la résolution des conflits dans le monde, celui-ci a manifestement manqué, dans la guerre Israël-Hamas, à ses engagements envers ses principes fondamentaux de paix et de stabilité. Les refus de cessez-le-feu au conseil de sécurité en témoignent pour l’histoire.
Cet ordre international a également manqué à ses impératifs moraux incontournables de promotion du dialogue, de la compréhension mutuelle et de l’engagement en faveur d’une coexistence pacifique, en encourageant les solutions diplomatiques au lieu des escalades comme dans les conflits Israël-Hamas ou Russie-Ukraine.
Enfin, la responsabilité morale de l’ordre international dans la guerre Israël-Hamas, même si elle requiert une réflexion profonde intégrant des considérations humanitaires, diplomatiques, juridiques et éthiques, appelle à un effort collectif visant au moins à protéger les civils et à promouvoir une résolution juste et durable qui respecte les droits et la dignité de toutes les parties impliquées. Il n’y aura pas d’avenir pour un ordre International qui n’est pas fondé sur l’égalité en droit des hommes et dont les lois ne sont pas respectées par tous. La justice est le meilleur garant de la paix.
* Économiste, banquier, financier
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