Un officier supérieur du service de sécurité israélien, le Shin Bet, qui a enquêté sur Yahya Sinwar, le chef du Hamas dans la bande de Gaza, pendant sa captivité, explique qu’Israël ne pourra pas l’arrêter.
Par Imed Bahri
Dans sa revue de la biographie de Sinwar, l’officier «D» confirme que le leader du Hamas à Gaza est un homme solide, instruit, charismatique, intelligent et cruel. Il n’a pas peur et avait l’habitude de menacer les officiers israéliens qui enquêtaient sur lui. Et il leur a répété à plusieurs reprises que le monde se retournerait contre eux et qu’il deviendrait l’enquêteur et eux, les enquêtés.
«D», un ancien enquêteur du Shin Bet, a déclaré vendredi 15 décembre 2023, dans un témoignage au supplément du journal Haaretz, qu’il avait interrogé Yahya Sinwar pour la première fois en 1988, un an après la formation du mouvement Hamas, appelé à cette époque Association islamique. Il était alors un éminent étudiant à l’Université islamique de Gaza. Il dit également que le défunt martyr Ahmed Yassin était le modèle spirituel de Sinwar, tandis que le leader Abdullah Azzam était celui qui lui avait suggéré de rejoindre un nouveau mouvement appelé Al-Majd pour poursuivre les «infidèles», soulignant que les communications secrètes entre eux se faisaient à travers des bouts de papier dissimulés dans les toilettes de l’Université islamique. Ils y écrivaient par exemple : «À cet endroit-là, creuse et tu trouveras l’arme».
Le meurtrier des infidèles
«D» explique que le secret était parfait. Sinwar ne connaissait pas le chef dont il recevait les instructions, tout comme le reste des membres de la cellule, y compris Rawhi Mushtaha, un dirigeant du Hamas. Cheikh Yassin (assassiné le 22 mars 2004 à Gaza) était comme un «mufti» qui décidait du sort des personnes soupçonnées d’avoir commis des violations. Lorsque la décision était prise de punir un accusé, Yassin disait : «Dieu ne le fera pas revenir».
«D» rappelle également que Sinwar a été arrêté pour la première fois à Jénine, alors qu’il était en train de mener une mobilisation nationale. La deuxième fois, il a été arrêté après avoir été soupçonné d’avoir participé au meurtre d’«infidèles». Il a ajouté : «Nous l’avons mis en prison et nous l’avons oublié jusqu’à ce que se pose la question de l’enlèvement des deux militaires Ilan Saadon et Avi Sasportas (les deux premiers soldats israéliens enlevés et tués par le Hamas nouvellement fondé entre le 16 février et le 3 mai 1989, Ndlr). Nous avons alors réalisé qu’il existait une grande organisation responsable des enlèvements de soldats. À ce moment-là, nous avons arrêté Salah Shehadeh (l’un des chefs présumés des Brigades Izz al-Din al-Qassam, la branche armée du Hamas, jusqu’à son assassinat ciblé en juillet 2002, Ndlr) pour un autre motif, et lors de son interrogatoire, il a révélé les informations objet de l’enquête. Nous avons ensuite ramené Sinwar dans la salle d’interrogatoire, et il a compris que Shehadeh avait fourni des informations l’impliquant.»
Une personnalité exceptionnelle
L’officier israélien poursuit : «Aujourd’hui, avec le recul, je crois que Sinwar, lors de son premier interrogatoire, a voulu me fournir des informations partielles sans révéler la situation dans son ensemble. Il semble qu’il ait décidé, ainsi que le reste des membres de la cellule, d’avouer avoir participé au meurtre de certains infidèles sans révéler l’existence de l’organisation secrète.»
En réponse à une question de Haaretz, «D» a déclaré que Sinwar lui avait parlé froidement, avec indifférence et sans sourciller, de son rôle dans l’assassinat des «infidèles» dans la bande de Gaza simplement parce qu’il les soupçonnait. Il était convaincu qu’ils devaient être tués, y compris un coiffeur à Gaza accusé d’avoir montré des images obscènes sur son lieu de travail. «Sinwar s’en est vanté et ne m’a caché aucune information lors de l’enquête sur cette affaire», a-t-il dit.
En réponse à une autre question, l’enquêteur du Shin Bet a déclaré que «Sinwar se considérait comme un leader alors qu’il était en prison il y a 35 ans. Il a continué à parler d’une voix haute, avec force et fermeté, et n’a montré aucune peur de l’enquêteur que j’étais. Au contraire, il me contredisait tout le temps. Je peux lire ce que j’ai écrit sur lui après la première enquête et je m’en souviens encore : ‘‘Une personnalité exceptionnelle par ses mérites, sa sagesse et sa culture. C’est un homme très religieux, croyant et en totale harmonie avec ses paroles et ses actes’’».
Vous a-t-il marqué par sa culture ?
«Oui. Il est aussi écrivain et intellectuel, ce qui est un cas à part. Tous les dirigeants du Hamas étaient exceptionnels : médecins, ingénieurs et étudiants. Sinwar est un homme très ambitieux et charismatique, et il a répondu positivement à tous ceux qui l’ont approché pour le recruter au sein du Hamas. Au cours de l’enquête, il m’est apparu clairement qu’il était complètement dévoué au Hamas, avec une personnalité de leader… intelligent, fourbe et cruel, avec une pensée opérationnelle et logistique, un homme d’organisation extraordinaire et vouant une grande haine pour Israël, et cela ressort de toutes ses déclarations lors de son interrogatoire. La haine pour Israël coule dans ses veines. Il m’a dit pendant l’enquête : ‘‘Tu sais, un jour viendra où tu seras l’interrogé, et je serai l’interrogateur’’».
L’enquêteur israélien poursuit : «Je m’en souviens et j’en ai maintenant la chair de poule, car cela aurait pu se produire si j’avais vécu dans l’une des colonies autour de la bande de Gaza. Je me souviens bien de lui, assis devant moi, les yeux rouges, et me disant : ‘‘Les rôles vont changer et le monde se retournera contre toi.’’ C’était incroyable à quel point il était confiant, au point que je pensais qu’il n’allait pas bien.»
Haaretz indique que Micha Kobi, un ancien enquêteur du Shin Bet, a déclaré dans une interview avec le journal il y a environ un mois que Sinwar avait l’habitude de recourir aux menaces et à l’intimidation lors de son interrogatoire. L’enquêteur «D» répond: «Oui. Sinwar n’a pas peur et n’a pas caché ses intentions, à savoir qu’il projette de tuer les officiers du Shin Bet. Il m’a dit : ‘‘Je vais vous tuer tous, officiers des renseignements’’. Imaginez quelle capacité il a à mener une guerre psychologique pendant sa détention.»
Il ajoute : «Il était assis devant moi dans la salle d’interrogatoire, m’insultait et me menaçait, sans montrer la moindre crainte. L’ego de Sinwar est hypertrophié, et sa détention derrière les barreaux n’a pas diminué ses qualités de leadership et sa détermination à combattre l’ennemi. Au contraire, depuis la prison, il a poursuivi son travail, encadrant des militants et en recrutant davantage. Non, je n’avais pas peur de lui, mais parfois je ne pouvais presque pas me contrôler et faillit même parfois le frapper, mais je me suis retenu.»
Vous a-t-il surpris ?
«En termes de cruauté et de dureté dans son attitude, oui, cela m’a surpris. Il parle avec audace, sans retenue ni crainte, et vous dit en tant qu’enquêteur : ‘‘Vous êtes un criminel et le monde se retournera contre vous, et je saurai traiter les Juifs infidèles comme vous.’’ Cependant, je ne me suis pas laissé influencer et je l’ai traité comme les autres prisonniers. L’interrogatoire avec lui a été une bataille d’esprits : il a présenté ce que nous savons et a passé sous silence ce que nous ne savions pas.»
«Sinwar, ainsi que Salah Shehadeh et Ahmed Yassin, nous l’ont répété plusieurs fois au cours de l’enquête : ‘‘Nous voyons un État islamique de l’Euphrate au Nil. Il n’y a pas d’Israël et les Juifs peuvent rester dans l’État islamique en tant que sujets. Depuis 1988, il existe un consensus au sein du Shin Bet selon lequel nous entendrons davantage parler de Sinwar à l’avenir, grâce à ses capacités et à son caractère», insiste «D».
Pourquoi Israël l’a-t-il libéré alors qu’il présentait ces dangereux avantages personnels ?
Réponse de l’agent du Shin Bet : «Je ne sais pas de réponse à vous donner. Ce que je peux dire, c’est que je n’ai pas peur de libérer des prisonniers. C’est vrai qu’ils enflamment le terrain après leur libération, mais ils sont toujours accessibles. Ils ne détruiront pas l’État d’Israël. Ce n’est pas stratégique. Ils ne nous renverseront pas. Si j’étais décideur aujourd’hui et qu’on me demandait de prendre une décision, je déciderais de libérer tous les prisonniers en échange du retour des otages.»
Israël réussira-t-il à arrêter Sinwar ?
Réponse : «Non. Je pense qu’il réussira à s’échapper. S’il n’y parvient pas, il tentera de conclure un certain accord sur les otages afin de survivre. Malheureusement, je ne pense pas qu’Israël l’arrêtera à nouveau.»
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