La Tunisie : lutter contre la migration en échange d’aides financières

Pour respecter ses promesses envers son partenaire italien, la Tunisie s’est montrée extrêmement efficace en réduisant le nombre de migrants arrivant sur les côtes italiennes, mais contre toute attente, le nombre de migrants arrivés en Tunisie au cours des derniers mois semble avoir augmenté, ce qui a aggravé la charge sur notre pays, en passe de se transformer en un piège pour migrants.

Mehdi Mabrouk *

La Première ministre italienne, Giorgia Meloni, a récemment effectué sa quatrième visite en Tunisie en un an, en plus des dizaines d’autres visites de ministres de son gouvernement, notamment les ministres des Affaires étrangères et de l’Intérieur, ainsi que les ministres de l’Enseignement supérieur et de l’Emploi.

La visite a duré quelques heures, après quoi Meloni s’est envolée pour Bruxelles pour assister à une réunion importante à la Commission européenne. Il doit y avoir une relation forte entre les deux visites, car Meloni a insisté pour que sa visite à Tunis soit effectuée quelques heures avant la réunion européenne, et il est probable qu’elle ait transmis [à ses collègues européens] la position tunisienne spécifiquement sur la question de l’immigration, d’autant plus que l’Union européenne (UE) vient de modifier le Pacte sur la migration et l’asile.

Meloni est l’héritière d’une tradition politique populiste, puisqu’elle s’inscrit dans l’héritage de Benito Mussolini, qui a manipulé les émotions du peuple italien et l’a conduit à un fascisme odieux.

Jouer sur les cordes du populisme

Meloni a continué à jouer sur les cordes du populisme jusqu’à convaincre une opinion publique italienne rancunière et révoltée contre la politique de ses anciens dirigeants, d’autant plus qu’elle n’a pas oublié la tragédie du Covid-19, pendant laquelle l’Italie s’est retrouvée parmi les pays européens les plus touchés par la pandémie. Son parti, Fratelli d’Italia (Frères d’Italie), a remporté les élections et la carte d’immigration a été l’un des leviers qui l’ont propulsé au-dessus de ses concurrents. Compte tenu du déclin des Socialistes, voire des Chrétiens-démocrates, la scène politique italienne est restée presque vide, seules les mouvances de droite y jouent encore un rôle.

Meloni s’est heurtée à plusieurs reprises à ses homologues européens, notamment français, lorsqu’elle les a accusés d’être à l’origine de la migration des Africains, leur rappelant, plus d’une fois, que la France avait dépouillé les pays du continent de leurs ressources, les avait appauvris et y avait soutenu des régimes corrompus qui lui étaient fidèles. Les Français ont répondu à ces déclarations, rappelant à Meloni que l’Italie avait également colonisé les pays africains [Libye, Ethiopie].

Les affrontements de Meloni avec ses homologues européens ne se sont pas arrêtés là; elle a en effet imposé un amendement du Pacte européen sur la migration et l’asile, promulgué il y a quelques jours, appelant à davantage de solidarité européenne avec les pays de «première ligne» (Italie, Malte, Grèce et Espagne) où des milliers de migrants vivent avant d’essayer de se déplacer vers d’autres endroits.

Meloni estime que l’Italie est une destination préférée des immigrants et, par conséquent, elle a été laissée seule à supporter le poids des migrants. Elle est bien consciente que, pour resserrer son emprise sur les immigrés qui affluent dans son pays, elle a besoin d’un partenaire extérieur au continent européen, et elle estime, avec son intuition politique et son intelligence, que la Tunisie, pour de nombreuses raisons, est candidate à être un partenaire privilégié dans ce qu’elle appelle «la lutte contre l’immigration clandestine».

Meloni a de nombreux arguments à l’appui de sa thèse, notamment le fait que la Tunisie est gouvernée par un régime populiste qui a délibérément établi une nouvelle constitution (2022) qui va loin dans la glorification du peuple qui doit être pur et sans mélange. Il est donc facile de penser que les vagues migratoires menacent son identité. Les déclarations du président Kaïs Saïed en février 2022 considéraient la migration des Africains en provenance des pays subsahariens comme un complot visant à changer l’identité du pays, à travers l’installation d’un grand nombre d’Africains. Cela s’ajoute à la grave crise économique qui frappe le pays depuis de nombreuses années.

Tout cela se produit sur fond du refus du FMI, ainsi que d’autres organisations internationales donatrices, de continuer à aider la Tunisie, qui rejette catégoriquement leurs conditions. Le président tunisien estimant que celles-ci émanent des recommandations d’un système financier mondial qui ne respecte pas la souveraineté du pays et veut l’entraîner vers plus de dépendance.

Ces déclarations, en plus des strictes pratiques sécuritaires et des campagnes d’expulsions, ont incité l’Italie à proposer un projet de coopération étroite avec la Tunisie pour arrêter le flux de migrants en provenance de notre pays.

Des aides à la hauteur du «rôle» joué

Les statistiques prouvent que la Tunisie est presque le point de passage le plus important utilisé par les migrants africains [en partance vers l’Italie]. L’Italie a fourni une assistance logistique aux forces de sécurité maritime tunisiennes afin d’accroître leur préparation et leurs capacités à surveiller plus de 1 500 kilomètres de côtes. Il a également négocié avec l’UE pour demander un soutien financier que la Tunisie jugeait insuffisant, et a voulu exercer davantage de pression pour que les fonds soient à la hauteur du «rôle» joué par la Tunisie depuis 2019, date de l’accession de Saïed à la magistrature suprême.

En moins d’un an, la Tunisie s’est montrée extrêmement efficace dans le respect de ses promesses envers son partenaire italien, en réduisant le nombre de migrants arrivant sur les côtes italiennes, en expulsant des milliers de migrants et en transférant des milliers d’autres vers ses frontières dans des situations humanitaires difficiles.

Pour récompenser ces efforts, l’Italie a exprimé sa volonté d’accueillir légalement environ 12 000 immigrants tunisiens pour travailler dans les secteurs de la construction, de l’agriculture et autres. Un accord a été élaboré en ce sens pour être mis en œuvre au cours des prochains mois, et la récente visite a été l’occasion d’examiner cette question, ainsi que les aides au financement des secteurs de l’éducation, de l’enseignement supérieur et de l’emploi.

Le flux de migrants arrivant en Italie a considérablement diminué mais, contre toute attente, il semble que le nombre de migrants arrivés en Tunisie au cours des derniers mois ait augmenté d’une manière sans précédent, ce qui signifie que le pays pourrait se transformer en un piège. pour les migrants, ceux qui y entrent se trouvant dans l’impossibilité d’en sortir. Cela ne ferait que doubler la charge de leur prise en charge en termes de résidence, d’emploi, de surveillance, etc.

La Tunisie s’est déclarée prête à une coopération forte avec l’Italie pour lutter contre la migration, mais elle rejette toujours toutes les propositions avancées par les pays européens pour en faire une base de gestion des flux migratoires, à l’instar de ce que le Rwanda a fait, par exemple, avec la Grande-Bretagne, lorsqu’il a accueilli des milliers de réfugiés. La Grande-Bretagne a d’ailleurs récemment annoncé que la Tunisie avait résisté aux efforts déployés pour la persuader de suivre l’exemple du Rwanda.

Traduit de l’arabe.

Source : Al-Araby.

* Universitaire et ancien ministre.

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