Les potins du cardiologue : Si la parole avait été libre, les poètes auraient été roi

Personne n’apprécie les arrestations et les procès intentés pour des délits d’opinion qui entraînent inévitablement des abus. Mais outre que le chemin vers la présidence passe malheureusement souvent par la prison, et Nelson Mandela en est l’exemple le plus célèbre, dans l’arène politique dans quelque pays que ce soit il faut s’attendre à recevoir des coups. Et si la parole avait été libre, ce ne sont pas les médecins qui auraient été rois, mais les poètes. 

Dr Mounir Hanablia *

D’aucuns, membres de la profession, ont ou auraient décidé de se présenter aux élections présidentielles. Ce sont là leurs oignons. L’être humain est libre jusqu’à ce qu’il ait choisi, et dès lors il cesse de l’être pour assumer les conséquences de ses choix. Mais pour peu qu’ils ambitionnent d’assumer les responsabilités de diriger un peuple et une nation, ils s’exposent bien évidemment à la même critique dont ils prétendent réserver les flèches aux tenants du pouvoir afin de les détrôner et les remplacer.

D’une manière absolue, la mission la plus noble et la plus impérative d’un médecin est de sauver tous les jours des vies humaines et il me semble qu’étant données les compétences reconnues de mes collègues, nul ne niera que tous les jours que Dieu a faits ont été pour eux des occasions supplémentaires d’assurer leurs places au paradis, au chevet des malades.

L’organisation corporatiste de la médecine qui prévaut dans les cliniques prouve déjà qu’en dehors de ses compétences, le médecin n’est pas forcément un parangon de vertu. Et ses liens avec l’industrie pharmaceutique, à travers les prises en charge dans les congrès médicaux, en particulier internationaux, jettent dans le champ politique une suspicion légitime sur son intégrité. Mais le fait est là : avec le développement des techniques de l’information, des «selfies», n’importe qui peut se prétendre investi par la mission de devenir «chef de l’Etat» pour peu qu’il sache se révéler convaincant, dans son discours.

Il y aura toujours un appareil de l’Etat qui assumera le fonctionnement normal du pays; un pays comme la Belgique était d’ailleurs demeuré sans gouvernement de nombreuses années.

Sauver des vies humaines n’est pas donné à tout le monde

En revanche, sauver des vies humaines nécessite des compétences que seules des études ardues et une expérience consommée peuvent assurer. Il faut d’autant plus le souligner que dans notre pays les études médicales sont toujours gratuites et qu’un nombre de plus en plus important de médecins sont obligés d’émigrer sous d’autres cieux parce qu’ils ne trouvent pas chez eux la place qu’ils ambitionnent.

De surcroît, la pratique de la politique nécessite elle-même une certaine habitude qu’en principe seul l’exercice de l’autorité dans l’administration publique permet d’acquérir.

Sur la scène nationale, le cas du Parti Ennahdha l’a parfaitement illustré, tout autant qu’en Amérique, celui de Donald Trump. Et justement les procès intentés à ce dernier ont démontré que même dans le pays considéré comme l’exemple le plus achevé de la démocratie libérale à travers le monde, les règlements de comptes politiques prenaient souvent une tournure judiciaire. Il convient de le rappeler à tous ceux qui estiment injustifiables les actuelles poursuites judiciaires intentées contre des candidats à la présidence. Malheureusement ces choses là se font partout et tout ambitieux de la politique se doit d’en évaluer et accepter le risque, en particulier quand il prétend restaurer la démocratie et déboulonner la dictature.

Mais en politique les choses ne se résument que rarement en une lutte entre le bien et le mal. Et en l’occurrence le dictateur démagogue qu’on prétend abattre est malgré tout intègre alors que les démocrates écartés après dix années de pouvoir, outre qu’ils n’ont rien apporté au pays en dépit de leurs promesses tonitruantes, traînent pour la plupart une réputation de corruption et de népotisme. Et si ces collègues, ceux-là mêmes qui aujourd’hui se prétendent les nouveaux sauveurs de la nation, accusent à leur tour l’autorité de laisser le pays s’enfoncer dans une crise économique sans précédent dont on ne voit pas le bout, il n’en demeure pas moins que les partis politiques auxquels ils sont rattachés, au point d’en être les pères fondateurs, ont été associés d’une manière ou d’une autre, soit à l’exercice du pouvoir, soit à l’animation de la vie politique, par le parti obscurantiste et rétrograde qui a durant une dizaine d’années exercé l’autorité politique. Cela met en question leurs motivations. Mais il n’y a pas que cela.

Le président Zelensky était un clown bien connu, avant que les Ukrainiens, fatigués par la corruption de leur classe politique, ne commettent la terrible erreur de lui confier les destinées de leur pays, avec les conséquences dramatiques que l’on sait. Il faudrait déjà s’en souvenir du moment que l’un de nos prétendus sauveurs de la nation, nonobstant la dignité de sa profession, n’avait pas hésité à participer à des caméras cachées, pas du meilleur effet dans les références pour briguer la magistrature suprême.

Quant à l’autre, tout comme Donald Trump, il avait sous-estimé les effets du Covid, n’avait pas hésité à organiser des réunions avec ses partisans au mépris de toutes les mesures prophylactiques contre la contagion, et quelques-uns en étaient morts. Et quand on sait qu’il avait cité en exemple lors d’un débat télévisé le président hongrois Victor Orban, il faudrait entretenir quelques doutes légitimes sur la sincérité de ses convictions démocratiques.

Il faut s’attendre à recevoir des coups

    Le peuple tunisien a déjà été la victime des faux prophètes qui l’ont conduit vers un cul de sac, et je ne vois pas qui pourrait le soustraire à l’obligation de rembourser ses dettes. Il ne doit pas compter pour l’en sortir sur les démagogues. Et il ne suffit pas d’être médecin pour avoir la légitimité nécessaire de se poser en sauveur de la nation.

    Salvador Allende n’avait pas épargné à son pays, le Chili, le coup d’État du général Pinochet. Et François Duvalier à la tête de sa milice sanguinaire, les Tontons Macoutes, constitue toujours l’une des pires références de l’Histoire de l’humanité en matière de violation des droits de l’Homme.

    Personne n’apprécie les arrestations et les procès intentés pour des délits d’opinion qui entraînent inévitablement des abus. Mais outre que le chemin vers la présidence passe malheureusement souvent par la prison, et Nelson Mandela qui n’était pas médecin en est l’exemple le plus célèbre, dans l’arène politique dans quelque pays que ce soit il faut s’attendre à recevoir des coups. Et si la parole avait été libre, ce ne sont pas les médecins qui auraient été rois, mais les poètes. 

    * Médecin de libre pratique.

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