Commune de Carthage | Des taxes municipales pour des services inexistants

L’auteur de ce texte se présente comme «payeur de taxe insatisfait» et ce sont des millions de Tunisiennes et de Tunisiens dans son cas, contribuables honnêtes, qui se plaignent de la médiocrité des services publics, s’ils existent, et de la gabegie générale régnant dans le pays du fait d’une administration souvent aux abonnés absents.   (Ph. Les agents de la municipalité de Carthage sont occupés à libérer la Palestine. Ils n’ont pas le temps pour s’occuper du ramassage des ordures et autres corvées).

Abdelwaheb Jebri *

Pendant 23 ans, j’ai payé mes taxes municipales avec rigueur et loyauté, convaincu que c’était là le fondement du contrat social : je contribue, la commune me sert. Mais aujourd’hui, je ne peux que constater l’échec total de ce pacte. Carthage, ma ville, est devenue le symbole d’une administration absente, d’une gestion défaillante, et d’un mépris institutionnalisé envers ses citoyens.

Tout a commencé par une demande simple : obtenir un numéro pour ma maison. Une formalité, pensais-je. Ce fut en réalité le début d’un parcours kafkaïen. Des semaines de démarches, des portes closes, des rendez-vous fantômes, des responsables invisibles. Chaque interaction avec la municipalité est une épreuve, chaque silence un affront.

Une cacophonie numérique

Excédés par cette inertie, les citoyens ont fini par attribuer eux-mêmes des numéros à leurs maisons, de façon arbitraire, sans ordre ni logique, dans le seul but d’avoir une adresse postale permettant aux facteurs de livrer leur courrier. Le résultat est aussi absurde que révélateur : dans une même rue, on trouve des maisons portant des numéros à deux chiffres précédant des numéros à un chiffre, ou l’inverse. Une cacophonie numérique qui illustre le désengagement total de l’administration et le bricolage citoyen devenu nécessité.

Ma maison, pourtant bien réelle et solidement bâtie, semble souffrir d’un mal étrange : l’invisibilité municipale. Elle donne fièrement sur deux rues — l’Avenue Hedi Chaker, grande et fréquentée, et la rue Hassen ibn Noômen, paisiblement aménagée depuis 2002 — mais elle n’a pas de numéro. Et pourtant, malgré cette double exposition, elle reste officiellement introuvable. Ni numéro à l’avant, ni numéro à l’arrière. Rien. Un exploit bureaucratique qui défie les lois de la géolocalisation. Comme si elle avait été construite dans une dimension parallèle où l’administration n’a pas encore posé le pied.

Devant cette énigme bureaucratique, j’ai dû me résoudre à une solution aussi inventive qu’improbable : emprunter l’adresse de ma belle-famille pour recevoir mon courrier. Oui, ma maison est là, mais elle vit sous l’identité d’une autre. Une sorte de témoin protégé du système postal. On pourrait presque croire que c’est une stratégie de discrétion, sauf que même les facteurs hésitent entre rire et pleurer.

C’est une situation qui ferait un excellent sketch, si elle ne révélait pas si crûment le naufrage du service public. Car dans un État censé servir ses citoyens, devoir faire appel à sa belle-famille pour exister sur une enveloppe, c’est tout sauf banal.

Et pendant que je me bats pour un droit élémentaire, la ville se délite. Les ordures s’amoncellent, les sacs éventrés jonchent les trottoirs. Le soir, l’obscurité règne : les réverbères sont morts, et l’insécurité s’installe. Carthage n’est plus qu’une ombre d’elle-même, abandonnée par ceux qui devraient la servir.

A quoi bon payer des taxes ?

Alors je pose la question : à quoi bon payer des taxes quand les services sont inexistants ? Pourquoi continuer à financer une institution qui nous ignore, qui nous méprise, qui nous abandonne ?

Ma décision est claire : je suspends le paiement de mes taxes municipales. Ce n’est ni un caprice, ni une provocation. C’est un acte de résistance. Un signal d’alarme. Car la patience des citoyens a des limites, et la loyauté ne peut être unilatérale.

Je m’adresse aujourd’hui à vous, Monsieur le Président : Carthage mérite mieux. Elle mérite une administration digne, des services fonctionnels, une écoute réelle. Il est temps de secouer cette inertie, de réveiller les consciences, de remettre le citoyen au cœur de l’action publique.

Le contrat social doit être rétabli. Et cela commence par le respect

* Payeur de taxe insatisfait.

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