Pour ou contre une «République fédérale italo-tunisienne» ?

Le commentaire provocateur du journaliste Zied El Heni, oscillant entre ironie et scepticisme, suscite une réflexion stimulante sur la création d’une… république fédérale entre l’Italie et la Tunisie. Cette déclaration, contenue dans un poste Facebook publié le 20 août 2025, a suscité des réactions immédiates, certains y voyant un exercice de style, d’autres une occasion de mesurer une fois de plus la profondeur des liens entre les deux rives de la Méditerranée. La Tunisie qui a échoué dans son projet d’union avec son voisin du sud, la Libye, en 1975, pourrait-elle réussir une hypothétique union avec son voisin du nord, l’Italie ? Union ou absorption… de Carthage par Rome ? Simple hypothèse de travail pour un exercice de politique fiction.

Latif Belhedi (avec Ansa)

Interrogé par l’agence italienne Ansa, El-Heni, qui se dit engagé dans son projet, a commenté son message par la phrase suivante : «Une parenthèse se ferme et une autre s’ouvre pour une nouvelle ère. Nous travaillons à la rendre différente et meilleure, dans une perspective innovante.»

Sur les plateformes tunisiennes et parmi les commentateurs méditerranéens, les réactions se sont polarisées en trois camps principaux. Un camp a interprété cette proposition comme un acte délibérément provocateur, destiné à souligner l’interdépendance économique et énergétique entre l’Italie et la Tunisie et à susciter le débat public à un moment politique perçu comme «la fin d’un cycle, le début d’un autre», pour reprendre l’expression du journaliste.

Dans cet esprit, l’appel à une «perspective innovante» a été interprété comme une métaphore du processus d’intégration économique déjà en cours, plutôt que comme une proposition institutionnelle viable.

À l’appui de cette interprétation, les observateurs notent que Rome et Tunis ont intensifié, ces dernières années, les visites et la gestion des dossiers communs, notamment sur les migrations et le développement, avec des missions officielles et des initiatives du gouvernement italien dans le cadre du Plan Mattei.

Deux systèmes juridiques différends

Un deuxième argument a soulevé des objections strictement juridiques : la Constitution tunisienne de 2022 définit la Tunisie comme un «État unitaire» et interdit «toute législation susceptible de compromettre son unité», tandis que la Constitution italienne, dans son article 5, stipule que «la République, une et indivisible, reconnaît et promeut les autonomies locales». Dans ce cadre, une structure fédérale binationale serait incompatible avec les principes fondamentaux des deux systèmes juridiques et nécessiterait de profondes révisions constitutionnelles dans les deux pays.

Un troisième argument a ramené le débat sur le terrain de la coopération concrète, évoquant les dossiers qui signalent déjà une intégration «de facto» : de l’interconnexion électrique Elmed, soutenue par la Banque mondiale et des partenaires européens, aux chapitres sur la sécurité et la défense, en passant par les programmes conjoints de recherche et d’innovation lancés en 2025. Ces questions, soulignent les commentateurs, dessinent une voie réaliste d’intégration progressive, respectueuse de la souveraineté nationale.

Le profil de l’auteur de la proposition a contribué à alimenter le débat : Zied El Heni est une figure médiatique bien connue en Tunisie, souvent au cœur de débats publics et de procédures judiciaires liées à la liberté d’expression. Ces dernières années, il a été à plusieurs reprises convoqué par les juges ou poursuivi en justice, des événements documentés par les médias locaux et les organisations de défense de la liberté de la presse.

Ce contexte conduit également beaucoup à interpréter sa prise de position comme une opération intellectuelle et politique, visant à évaluer les sensibilités et les lignes de fracture dans le climat actuel.

Le sens «pragmatique» d’une provocation

Dans le même temps, les relations italo-tunisiennes restent intenses sur les plans politique et économique : des visites officielles et du dialogue sur les filières migratoires et d’emploi légal à la coopération au développement promue par l’Agence italienne de coopération au développement (AICS), en passant par le renforcement des relations commerciales et les initiatives conjointes pour les startups et les chaînes d’approvisionnement stratégiques. C’est au sein de ce réseau de projets et de partenariats que de nombreux observateurs situent le sens «pragmatique» de la provocation : non pas un plan fédéral immédiatement réalisable, mais plutôt un appel à l’intégration sectorielle.

La proposition d’une république fédérale entre l’Italie et la Tunisie a agi comme un détonateur symbolique, catalysant des réactions allant de l’ironie au programme.

Les contraintes constitutionnelles en Tunisie et en Italie indiquent qu’une telle structure politique est actuellement impensable. La voie la plus probable reste celle d’une intégration par projets, déjà manifeste dans les domaines de l’énergie, de la sécurité, de la coopération et de la recherche, avec des bénéfices sociaux et économiques potentiels.

La «parenthèse finale» évoquée par El Heni, pour beaucoup, ne conduit pas à des changements institutionnels, mais plutôt à une consolidation des instruments bilatéraux qui, sans porter atteinte à la souveraineté, peuvent rendre les relations entre les deux rives de la Méditerranée plus étroites et plus prévisibles.

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