Le parlement tunisien a lancé un processus pour l’approbation d’une loi qui criminalise tout acte de normalisation avec l’État d’Israël et le punit de peines de prison pouvant aller jusqu’à la réclusion à perpétuité.
Par Imed Bahri
«Nous croyons fermement que la Palestine doit être libérée du fleuve (Jourdain, Ndlr) à la mer (Méditerranée, Ndlr), que la patrie entière doit être restaurée et que l’Etat palestinien doit être fondé avec la Sainte Jérusalem pour capitale», a déclaré le président de l’Assemblée, Ibrahim Bouderbala, lors de l’ouverture de la plénière consacrée à l’adoption du projet de loi. Il faisait écho à une position exprimée à plusieurs reprises par le président de la république Kaïs Saïed dont l’antisionisme est notoire et a été affiché dès sa campagne présidentielle en 2019, lorsqu’il avait qualifié la normalisation des relations avec Israël de «haute trahison».
La réclusion à perpétuité pour les récidivistes
La loi est composée de six articles et a été rédigée par des parlementaires qui soutiennent le président Saïed, réputé grand défenseur de la cause palestinienne. Elle définit la «normalisation» comme «la reconnaissance de l’entité sioniste ou l’établissement de relations directes ou indirectes» avec Israël. Et prévoit une peine de 6 à 12 ans de prison pour «haute trahison» pour ceux qui commettent «le crime de normalisation» et la réclusion à perpétuité pour les récidivistes.
Cette loi interdit «tous les actes intentionnels impliquant la communication, le contact, la propagande, la conclusion de contrats ou la coopération, directe ou indirecte, par des personnes physiques ou morales de nationalité tunisienne avec toutes les personnes physiques et morales affiliées à l’entité sioniste». Il est également interdit aux Tunisiens toute interaction, «à l’exception des Palestiniens de l’intérieur» (ou arabes israéliens).
L’adoption de ce projet de loi est une expression concrète des dispositions de la Constitution de 2022, selon lesquelles la normalisation avec l’entité sioniste constitue une haute trahison, ont estimé certains parlementaires. D’autres députés ont souligné que le texte, soumis à l’examen de la séance plénière, contient plusieurs erreurs de rédaction et nécessite l’audition des parties officielles, notamment du ministère des Affaires étrangères.
L’isolement grandissant du pays
Certains analystes ne voient aucune utilité ni intérêt de cette loi, la Tunisie n’entretenant officiellement aucune relation avec Israël.
Des opérateurs économiques ont aussi émis des réserves redoutant des amalgames qui les mettraient en porte-à-faux avec les lois du pays s’ils entretiennent des liens commerciaux avec des entreprises entretenant, d’une manière ou d’une autre, des liens avec l’Etat hébreu.
Des intellectuels, des journalistes, des artistes et des sportifs ont émis les mêmes réserves, car la possibilité de se trouver dans un quelconque conclave international auquel prennent part des Israéliens ne saurait être raisonnablement écartée.
Des investisseurs étrangers ont aussi exprimé leur inquiétude et fait part de leur volonté de quitter le pays, redoutant les conséquences d’une telle loi sur leurs activités en Tunisie.
Bref, le projet de loi semble avoir tous les défauts possibles et imaginables au regard de pans entiers de la société tunisienne, qui redoutent un plus grand isolement de leur pays suite à ses positions jusqu’au-boutistes sur certains sujets politiques délicats.
Ce sont peut-être là les raisons qui ont poussé le président Saïed à faire dire, par la voix du président du parlement, que le projet de loi en question pourrait constituer une menace pour les intérêts supérieurs du pays voire même pour sa sécurité extérieure, au risque de provoquer une crise au sein de sa famille politique qui est la plus mobilisée en faveur de cette loi.
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