La réconciliation nationale ne vise pas à disculper les voleurs et les apparatchiks de l’ancien régime mais à réhabiliter ceux qui ont servi l’Etat et la République.
Par Dr Mohamed Sahbi Basly*
Je me souviens qu’en 2012, alors président du parti Al-Moustakbal, j’avais parlé de réconciliation nationale comme un instrument indispensable pour rétablir la cohésion nationale et l’autorité de l’Etat qui présentait les premiers signes d’une déliquescence, mettant en danger la nation et la souveraineté nationale.
Déjà à l’époque, la sécurité n’était plus garantie et les signes annonciateurs d’un désordre public pointaient à l’horizon, avec son lot de terrorisme – islamiste ou non –, de crises sociales souvent montées de toutes pièces et politiquement instrumentalisées, d’instabilité gouvernementale… Autant de phénomènes auxquels le peuple assistait impuissant, sans possibilité de recours face à la destruction de ses valeurs et de ses repères.
Tourner la page du passé
J’avais alors préconisé de tourner la page du passé, aussi bien dans mes discussions privées avec les nouveaux décideurs du pays que dans mes interventions publiques, mais je me rendis compte que je prêchais dans le désert.
Aujourd’hui, c’est le même état d’esprit qui motive ma détermination à faire aboutir cette noble démarche, désormais préconisée par le chef de l’Etat, qui connaît mieux que quiconque l’intérêt supérieur de l’Etat tunisien puisqu’il en est le gardien légal et moral.
Cependant, la manière avec laquelle cette initiative louable du président de la république a été présentée à l’opinion publique tunisienne et la controverse qu’elle a provoquée m’amènent à sortir de nouveau de mon silence volontaire pour contribuer à ce débat sur la réconciliation nationale et oeuvrer pour que cette nouvelle chance de sortir le pays de sa crise actuelle ne soit perdue à jamais.
A ce propos, il y a lieu d’énoncer, au préalable, les principes suivants :
– la réconciliation nationale est devenue une nécessité après cinq ans d’hésitations et d’errements;
– elle est un moyen pour consolider la cohésion nationale et non un objectif en soi. Elle doit servir de base pour la refondation d’un Etat-nation souverain et solidaire;
– elle ne peut être uniquement économique, ou uniquement politique. Elle doit être sans compromis. C’est également une décision hautement stratégique pour garantir la souveraineté nationale;
– elle est un état d’esprit et doit être synonyme d’harmonie, facteur de cohésion sociale et de solidarité entre les générations et les couches sociales, définitivement réconciliées avec leur histoire et aptes à s’attaquer aux problèmes immédiats du pays, tout en étant débarrassées à jamais d’un lourd fardeau historique, encore difficile à démêler et à dépassionner;
– elle ne saurait souffrir de conditions préalables, ni absoudre les fautes commises au détriment de l’Etat, des citoyens ou de la constitution tunisienne.
L’opinion publique a le droit de savoir
Compte tenu des diverses réactions dont je ne retiens que les plus crédibles, il y a lieu, pour mener au mieux cette initiative, de:
1- souscrire au préalable aux principes énoncés ci-haut;
2- identifier les moyens juridiques, administratifs, diplomatiques et politiques pour assurer une exécution sereine et définitive du processus de réconciliation;
3- porter à la connaissance du peuple l’identité des personnes, morales ou physiques, qui auront bénéficié d’une procédure de réconciliation économique. Car le peuple souhaite connaître les personnes ayant profité des largesses de l’ancien régime. Cela lui permettra de connaître les personnes, physiques ou morales, qu’il a accepté de pardonner sous certaines conditions définies par la loi, et valorisera, par la même occasion, ceux qui ont œuvré et œuvrent encore au développement du pays sans se corrompre avec l’ancien système ou le régime actuel. Il y a également un besoin de faire savoir à l’opinion publique le montant qui sera récupéré par l’Etat, suite à cette opération de réconciliation;
4- réintégrer les responsables de l’ancien régime dans les hautes fonctions de l’Etat et de l’administration selon les besoins et les compétences requises. Il s’agit là d’une autre réconciliation, dont on parle beaucoup moins publiquement, mais qui sera implicite et mise en route de manière judicieuse dans les mois à venir. Bref, il s’agit de faire en sorte que ceux qui ont servi l’Etat, la République et le Peuple continueront à les servir. Ce ne sera certainement pas perçu – comme on le laisse souvent entendre dans les arcanes du nouveau pouvoir – comme un désaveu de la nouvelle classe politique, ni comme un retour en arrière. Un tel discours est obsolète en 2015. Le peuple a toujours eu cette capacité de discernement et il n’est pas dupe;
5- établir une instance indépendante de contrôle de la bonne gouvernance publique et parapublique, de manière à éviter de nouvelles collusions entre le politique et l’économique. L’Instance Vérité et Dignité (IVD), en charge de la justice transitionnelle, peut se charger de cette mission avant-gardiste, au lieu de se perdre dans les méandres d’affaires anciennes et difficile à démêler. Car c’est la mémoire nationale qui doit juger des choix politiques et des erreurs de jugement du passé, alors que la justice est chargée de punir ceux qui ont commis des fautes économiques, sociales et politiques;
6- entreprendre une vaste compagne d’explication de l’utilité d’une réconciliation en faisant participer au débat d’anciens responsables du régime. Ce qui n’a pas été fait à ce jour, à dessein d’ailleurs, parce que cette procédure est malheureusement présentée à l’opinion publique comme un moyen de résoudre les difficultés économiques du moment … Ce qui n’est pas tout à fait vrai… Et qui a permis aux détracteurs de cette noble initiative de propager la rumeur selon laquelle on souhaite disculper les voleurs et les apparatchiks de l’ancien régime. Ce qui n’est évidemment pas la vérité non plus…
* Diplomate.
Donnez votre avis