Le vice-président du bureau politique du Hamas Saleh Arouri assassiné hier à Beyrouth avait un profil pour le moins atypique. Il était l’un des très rares dirigeants du mouvement issu de Cisjordanie et non de Gaza; il avait à la fois un profil théocratique, militaire et politique et appartenait en même temps à la branche politique du mouvement et à la brigade Ezzeddine Al-Qassam. Qui était Saleh Arouri?
Par Imed Bahri
Hier, mardi 2 janvier 2024 en début de soirée, toutes les chaînes d’information annoncent qu’un drone israélien a tué dans une opération d’assassinat ciblé Saleh Arouri, vice-président du mouvement de la résistance islamique Hamas, au cœur de la banlieue sud de Beyrouth, fief du Hezbollah libanais. Le Hamas a par la suite confirmé l’assassinat d’Arouri et de 6 membres du mouvement (deux de la brigade Al-Qassam et quatre cadres de la branche politique).
L’assassinat a eu lieu avant une rencontre prévue entre Arouri et Hassan Nasrallah a rapporté la chaîne d’information jordanienne Al Mamlaka. La chaîne a précisé que les deux hommes qui avaient pour habitude de se réunir pour la concertation et la coordination entre les deux mouvements devaient se voir avant l’allocution programmée de Nasrallah ce mercredi 3 janvier à l’occasion de l’écoulement de 4 années après l’assassinat à Baghdad de Qassem Soleimani, le chef de la brigade d’Al-Qods, corps d’élite des Gardiens de la Révolution islamique. Un discours qui doit s’articuler autour de la guerre se déroulant actuellement à la fois à Gaza et dans la zone frontalière entre le Liban et Israël.
Un rôle central dans la résistance
Le lieu et le timing de l’assassinat en disent long sur le rôle central d’Arouri au sein de la résistance palestinienne mais aussi au-delà, en l’occurrence au sein de l’Axe de la résistance au Moyen-Orient. Il s’impose de revisiter son parcours.
Saleh Arouri est né dans la commune d’Aroura, près de la ville de Ramallah en Cisjordanie le 19 août 1966. Il a obtenu une licence en droit islamique à l’Université d’Hébron ce qui lui vaut l’appellation de Cheikh Saleh Arouri. À l’université, il a dirigé l’Action étudiante islamique. Après la fondation du mouvement Hamas le 10 décembre 1987 par Cheikh Ahmed Yassine à Gaza, Arouri rejoint ses rangs et œuvrera à son établissement en Cisjordanie. Entre 1990 et 1992, l’armée d’occupation israélienne l’a arrêté administrativement pour des périodes limitées dans le contexte de son activité au sein du Hamas. Mais à l’époque le mouvement islamiste était moyennement toléré par l’Etat hébreu, pour contrebalancer la prépondérance de l’OLP d’Arafat.
Considéré comme l’un des fondateurs de la Brigade Ezzeddine Al-Qassam, la branche armée du mouvement, Arouri a commencé à établir le premier noyau de l’appareil militaire du mouvement en Cisjordanie entre 1991 et 1992.
En 1992, l’armée israélienne l’a de nouveau arrêté et l’a condamné à 15 ans de prison pour avoir formé les premières cellules d’Al-Qassam en Cisjordanie. Après avoir purgé la totalité de sa peine, il a été libéré en 2007 mais Israël l’a de nouveau arrêté trois mois plus tard pendant trois ans jusqu’en 2010. La Cour suprême israélienne a décidé de le libérer et de l’expulser hors des territoires palestiniens. Arouri part ensuite pour la Syrie où le Hamas dirigé à l’époque par Khaled Mechaal avait son siège à Damas et s’y installe pendant trois ans avant de partir élire domicile au Liban. Cette même année, Salah Arouri a été choisi comme membre du bureau politique du mouvement.
À la suite des printemps arabes, le mouvement connaît un grand chamboulement. Les relations entre le Hamas et le pouvoir syrien jadis très solides se sont dégradées suite au refus du mouvement palestinien de le soutenir estimant qu’en tant que Palestiniens, ils n’avaient pas prendre partie dans un conflit syro-syrien. Le mouvement transférera son siège à la capitale qatarie Doha où Khaled Mechaal, Moussa Abou Marzouq et d’autres s’installeront. Ils seront suivis par Ismaïl Haniyeh des années plus tard en 2017 quand il quittera la direction du mouvement à Gaza et cédera sa place à Yahya Sinwar. À Doha, Haniyeh succède à Mechaal à la tête du bureau politique du mouvement
L’homme à abattre
Pendant ce temps, Arouri à Beyrouth prend son envol au sein du mouvement et gagnera en influence. Le 9 octobre 2017, le Hamas a annoncé son élection au poste de vice-président du bureau politique du mouvement. Poste auquel il a été réélu le 31 juillet 2021. Il a été également élu responsable de Cisjordanie au sein du Hamas le 4 juillet 2021. À Beyrouth, il est très proche du Hezbollah et de son chef Hassan Nasrallah et sera l’artisan du grand rapprochement entre les deux mouvements et l’architecte avec Khalil Al-Hayya, le responsable des relations avec les pays arabes et musulmans au sein du Hamas, de la réconciliation avec la Syrie et l’Iran après le refroidissement des relations suite aux printemps arabes. D’ailleurs, le 25 octobre dernier à la suite de l’opération Déluge d’Al Aqsa, une photo a été diffusée d’une rencontre tripartite entre Nasrallah, Arouri et Zied Nakhala, secrétaire-général du Djihad Islamique.
Le rôle central d’Arouri a dérangé les responsables israéliens bien avant le Déluge d’Al-Aqsa et là, il y a une information extrêmement importante, la décision de sa liquidation a été prise bien avant le 7 octobre. La chaîne israélienne Channel 13 avait rapporté le 24 août 2023 que la veille, le cabinet restreint israélien a délégué à Benjamin Netanyahu et au ministre de la Défense Yoav Galant les modalités de la liquidation de Saleh Arouri. Réagissant à cette décision, Arouri avait déclaré que la menace n’a aucun impact et ne change rien pour lui et que celui qui empruntait cette voie à savoir celle de la résistance est prêt au martyr. Il s’est focalisé surtout sur la situation très critique en Cisjordanie estimant que s’il n’y allait pas y avoir un soulèvement maintenant, ça sera trop tard après et ça ne sera plus possible étant donné le rythme effréné de la colonisation en Cisjordanie avec pratiquement 150 colonies de peuplement et un million de colons qui y sont présents.
Il est à signaler que bien que n’ayant commis aucun acte contre les États-Unis ni ses intérêts, Washington a décidé et ce dès 2015 via son département du Trésor américain de l’inscrire sur la liste des terroristes. Et en novembre 2018, c’est le Département d’État américain cette fois-ci qui avait annoncé une récompense de 5 millions de dollars pour quiconque qui fournirait des informations sur Arouri en plus des dirigeants du Hezbollah libanais.
Le 31 octobre dernier, l’armée israélienne a fait exploser la maison d’Arouri dans la ville de Aroura quelques jours après une opération à grande échelle contre des militants du Hamas dans la commune et transformé la maison en centre pour les interrogatoires.
Le Hamas plus puissant que jamais
Hier, Israël a fini par atteindre son objectif et éliminer Saleh Arouri qui rejoint la liste des martyrs du Hamas en premier lieu desquels figurent ses fondateurs Cheikh Ahmed Yassine et Abdelaziz Rantissi. Israël continue de croire que les assassinats ciblés des dirigeants des mouvements de la résistance palestinienne vont les affaiblir alors que c’est toujours le contraire qui se produit. Vingt ans après les assassinats de Yassine et Rantissi, le Hamas est plus puissant que jamais, il a humilié Israël le 7 octobre dernier et après il l’a enfoncé dans le bourbier inextricable de Gaza.
Le génocide et les crimes de guerre perpétrés actuellement à Gaza et la stratégie du harcèlement opérée par l’armée israélienne et les colons en Cisjordanie sont en train d’enfanter des milliers et des milliers de Saleh Arouri et de Yahya et Mohamed Sinwar. Les Israéliens aveuglés par la haine et qui ne savent que tuer continuent de croire qu’ils combattent des individus et qu’en les éliminant, la résistance va prendre fin. Ils n’ont pas compris qu’ils ont en face d’eux une mentalité qui habite tout un peuple qui est de ne jamais renoncer face au sionisme génocidaire et spoliateur. Ils n’ont pas compris que ni la mort ni la violence ni les exactions ni l’oppression ne feront abdiquer ce peuple résilient et courageux. Le flambeau porté par feu Saleh Arouri passera aux futures générations et l’étincelle de la cause palestinienne ne s’éteindra jamais.
Vidéo de la dernière interview de Saleh Arouri.
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