Et pendant ce temps là, l’occupation des terres palestiniennes par Israël se poursuit…
Ce «processus de paix» d’Oslo aurait pu aboutir à la création de «deux Etats» voisins, mais Israël et ses alliés, les Etats-Unis et les Etats réactionnaires arabes en ont voulu autrement.
Par Amor Cherni *
Plusieurs intellectuels et même des politiques de gauche arabes étaient saisis d’angoisse le jour où le président américain a rendu publique sa décision de reconnaître Al-Qods (Jérusalem) comme capitale de l’entité sioniste. Ils appréhendaient davantage les conséquences que la décision même. Il faut dire qu’ils n’avaient pas tort, étant donné l’état de délabrement où se trouve, aujourd’hui et depuis l’invasion de l’Irak, ce qu’on appelle, par euphémisme, le monde arabe.
De Bagdad à Tunis
De l’Irak précisément, à la Syrie, au Yémen, à la Libye se donne à voir un paysage affligeant : des Etats démantelés, des armées vaincues, des économies dévastées, des villes entières transformées en ruines et en décombres, des populations dispersées et jetées sur les chemins de l’exode… Qui pouvait encore penser, dans ce déluge de malheurs, à la Palestine, surtout depuis sa division en deux parties : la Cisjordanie et Gaza ; — deux mini-territoires, avec deux mini-autorités politiques et administratives, qui plus est en conflit permanent ?
Beaucoup redoutaient donc que la décision américaine passât inaperçue et qu’elle ne suscitât que quelques protestations, à peine audibles, de quelques médias arabes, ou de quelques organisations de «défense des droits de l’homme»! Or, voilà qu’à peine annoncée, la décision américaine a enflammé les capitales arabes (les vraies, non les fausses) : de Bagdad (malgré ses malheurs), à Tunis, en passant par Beyrouth, le Caire, etc. Même les pauvres Yéménites, en dépit de leur calvaire, n’ont pas manqué ce rendez-vous historique, et le monde a tremblé de Bruxelles à Johannesburg, en passant par Dakar ! En quelques heures, en quelques jours, la question palestinienne a repris son statut d’antan, celui de la dernière question coloniale du monde !
Les succès diplomatiques
Car, faut-il le rappeler à nos jeunes, à nos enfants qui n’ont pas connu cette époque : la question palestinienne était devenue, à la suite de la défaite de 1967 et l’apparition de l’OLP comme organisation politique et militaire (1968), une question mondiale, qui hantait les consciences des peuples et des hommes épris de justice et de liberté, au même titre que l’apartheid en Afrique du Sud. Deux grands dirigeants étaient célébrés à travers le monde, comme les derniers héros de la lutte anticoloniale et anti-impérialiste : un certain Nelson Mandela et un certain Yasser Arafat ! L’OLP était reconnue comme représentant légitime unique du peuple palestinien par presque tous les pays membres de l’ONU ! Et c’est dans cette dernière institution, que Arafat est allé faire (1974) son discours historique…
Les déboires militaires
Or, faut-il le rappeler aussi : cet immense succès diplomatique de l’OLP contrastait fortement avec les manœuvres, les trahisons et les coups de boutoir reçus des «frères arabes». Après les tracasseries de la Syrie, les Palestiniens ont été l’objet du massacre de «Septembre noir» (1970) perpétré par l’armée jordanienne. Emigrés au Liban, ils ont été la cible de l’invasion israélienne du Liban du sud et l’encerclement de Beyrouth, dont ils n’étaient sortis que dispersés à travers les capitales arabes dont Tunis, qui a accueilli la direction et les cadres installés à Hammam Chatt, bientôt bombardé par l’aviation sioniste ! Tout cela sans parler des massacres de Sabra et Chatila perpétrés par l’armée sioniste et ses alliés libanais !
Les accords d’Oslo
C’est en raison de ces déboires militaires, orchestrés par l’entité sioniste et son «allié objectif», la réaction arabe, qu’Arafat a voulu utiliser ses succès diplomatiques pour arracher une «solution politique». Les Palestiniens ont alors décidé d’aller à Oslo pour sceller des «accords de paix» dont l’essentiel était la reconnaissance mutuelle entre l’OLP et Israël, l’institution d’une «Autorité palestinienne» d’abord à Gaza, puis à Ramallah, renvoyant les questions épineuses (la statut de Jérusalem, les frontières, le problème des réfugiés, etc.) à des négociations ultérieures (qui durent depuis maintenant plus de 20 ans !).
Ce «processus de paix» aurait pu aboutir à la création de «deux Etats» voisins, si plusieurs événements n’étaient pas venus le perturber, avant de le condamner à péricliter. D’abord, il faut mentionner l’assassinat d’Itzhak Rabin, puis la prise du pouvoir par les juifs extrémistes qui n’avaient d’autre souhait que de torpiller les «accords d’Oslo», puis l’apparition de Hamas comme force de contestation des mêmes accords et comme une alternative religieuse et islamiste à l’OLP, jugée être une organisation laïque et donc forcément mécréante !
Le passage du politique au religieux
Ces événements ont été mortels pour la question palestinienne, puisqu’avec l’apparition des religieux des deux côtés, elle a perdu, aux yeux du monde, sa dimension politique et nationale, qui la présentait comme un mouvement de libération nationale luttant contre la dernière puissance coloniale installée par le colonialisme britannique, pour être considérée comme un conflit religieux, opposant juifs et musulmans.
Les sionistes ont exploité à fond cette conversion de la question palestinienne en une question religieuse, puisqu’elle leur a permis 1/ de revendiquer tout le passé juif en Palestine; 2/ de greffer leur combat contre les Arabes, brusquement devenus musulmans et voulant exterminer les juifs, sur la mauvaise conscience historique des Européens auteurs de la Shoa, et de confondre dans leurs esprits antisionisme et antisémitisme; 3/ de tirer le maximum de profit de la division des Palestiniens, qu’ils ont pu parquer dans de petits cantons et priver de toute liberté et de toute action; 4/ d’arguer du problème du terrorisme pour construire le «mur de séparation» et implanter les colonies juives à travers la Cisjordanie.
L’islam politique, découvert par les Américaine lors de la première guerre d’Afghanistan, armé par eux et financé par les pétrodollars, est ensuite venu noyer les pays arabes et les renvoyer au Moyen-âge, pour se déchirer entre eux et oublier définitivement la question palestinienne. Après l’Irak, il fallait détruire la Syrie, le Yémen et la Libye, seuls pays arabes à avoir refusé, jusque-là, de capituler devant Israël.
Un nouvel ordre
La décision américaine de reconnaître Jérusalem comme capitale de l’entité sioniste, condamnée de bout en bout du monde, y compris par les pays européens, peut-elle être un marqueur d’un nouvel ordre régional? Peut-elle remettre la question palestinienne dans son cadre historique, comme une affaire politique, de libération nationale et anticoloniale, qui n’a rien à voir avec les religions? Peut-elle la hisser au rang qui était le sien, celui de la question centrale des Arabes, réveiller le sentiment national et sonner le glas à l’islam politique? Peut-elle rendre à l’OLP le soutien et la solidarité qu’elle avait des pays d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine ?
Tous cela est possible, mais sa réalisation dépend d’abord des Palestiniens eux-mêmes qui doivent reconstituer leur unité, dénoncer les accords d’Oslo piétinés par Israël depuis l’assassinat de Rabin, retirer leur reconnaissance à Israël, renouveler leur direction, renoncer au statut d’autorité sans pouvoir réel et reprendre celui de mouvement de libération nationale, compter sur leur peuple et non su les puissances étrangères, etc.
C’est ce que nous leur souhaitons pour leur bien et le nôtre…
* Universitaire.
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