Élections Européennes – France : Le coup de balai de l’extrême-droite 

Dimanche 9 juin 2024, les pays de l’Union Européenne votaient pour un nouveau Parlement. En France, le Rassemblement National (RN) de Marine Le Pen est arrivé en tête avec 31% des suffrages. C’est la première fois que l’extrême-droite donne un violent coup de balai aux grands partis politiques qui gouvernent le pays depuis 1958. Par ailleurs le président Emmanuel Macron a décidé  de dissoudre l’Assemblée Nationale. Son ambition serait de créer un «front républicain» pour affaiblir le RN. (Illustration : le triomphe annoncé de Marine Le Pen et Jordan Bardella).

Helal Jelali *

Pour ceux qui suivent l’actualité  française depuis le début  des années 1980, cette victoire écrasante du RN n’est nullement une surprise. Elle l’est uniquement pour les imposteurs et les tartuffes de la politique et de certains médias.

La majorité des partis politiques traditionnels – l’UMP, le Parti Socialiste, les Centristes – n’avaient jamais cessé de «puiser» dans les éléments de langage de l’extrême-droite. 

Depuis le début des années 1990, les préoccupations  des classes populaires et la classe moyenne ont été  reléguées en bas du tableau de l’agenda des élus. 

En revanche, les faits divers et l’immigration avaient envahi l’espace public, médiatique et politique. Ainsi avec ce dernier résultat éclatant de Marine Le Pen, le piège s’est renfermé sur les partis dit «républicains»

Le premier tournant a été le plan de rigueur Fabius-Delors en 1983; il fallait créer un climat anxiogène avec les faits divers liés aux quartiers populaires comme celui des Minguettes dans la région lyonnaise.

Le grand tournant, initié par François Mitterrand, c’est lors des élections législatives de 1986. Pour affaiblir la droite, dirigée par le Rassemblement pour la république (RPR), le président Mitterrand introduit une bonne dose de proportionnelle : et nous voilà avec 35 députés Front National dirigée à l’époque par Jean-Marie Le Pen.

Le bruit et les odeurs  

Pendant la cohabitation (1986/1988), le Premier ministre Jacques Chirac, qui avait évoqué «le bruit et les odeurs» dans certains quartiers où habitaient  des familles immigrés, va créer une Commission de la Réforme du Code de la Nationalité pour «occuper» ce terrain vague de l’extrême-droite…

Dans cette atmosphère politique polluée par toute une phraséologie sur l’immigration, même  Mitterrand va trébucher en parlant de «seuil de tolérance». Quelques  jours plus tard, il se rétractera.

Nicolas  Sarkozy  et son équipe vont mettre le doigt dans le pot de miel de l’extrême-droite. D’abord avec un Maurassien** comme conseiller politique à  l’Elysée : Patrick Buisson, ancien  directeur du très controversé journal Minute. La stratégie est simple : il faudrait faire venir l’électorat  de l’extrême-droite à l’Union pour un mouvement populaire (UMP).

La perle – une perle bien  triste – des années Sarkozy est donnée par le secrétaire général de son parti, l’UMP, Jean-François  Coppé : «Il y a des quartiers où je peux comprendre l’exaspération de certains de nos compatriotes, pères ou mères de famille rentrant du travail le soir et apprenant que leur fils s’est fait arracher son pain au chocolat à la sortie du collège par des voyous qui lui expliquent qu’on ne mange pas pendant le ramadan.»

L’ancien président Nicolas  Sarkozy va associer dans un même ministère (2007/2010)  l’Immigration et l’Identité Nationale dont le dernier chef d’orchestre était un ancien socialiste Éric Besson. Même dans la fiction, on n’a jamais vue un ministère gérer une «identité nationale»!

Des relents populistes

C’est facile de faire une carrière politique avec des relents populistes à propos  de l’immigration, l’obsession sécuritaire,  les commentaires alambiqués sur les faits divers… mais tôt  ou tard, l’addition tombe… Et hier  soir, elle était bien lourde.

Lourde aussi parce les Français d’origine étrangère se mobilisent peu pour tous les scrutins. Dans le pays, il existe une vraie classe moyenne française d’origine étrangère, et elle est majoritairement aux abonnés absents quand il s’agit d’aller voter. Une abstention chronique qui les prive d’intervenir dans le champ politique. 

En jetant aux oubliettes les questions sociales, en remplaçant les corps intermédiaires par les cabinets de conseils privés, en occupant les enseignants par la question du foulard alors que leurs conditions de travail laissent à désirer  et qu’une réforme de l’enseignement semble de plus en plus nécessaire, les partis politiques  dits «républicains» devraient revoir en profondeur leurs choix politiques, économiques et sociaux.  

Le néo-libéralisme frappe à la porte de la France depuis la crise financière de 2008, la France ne pourrait suivre les choix de la société américaine ou britannique. L’Allemagne, elle, se protège farouchement du modèle américain. 

La fragmentation sociale

Aujourd’hui, la fragmentation sociale, la pauvreté (8 millions de pauvres dans l’Hexagone), le faible investissement public dans certains départements, les carences dans le secteur de la santé  publique (2 mois d’attente  pour un rendez-vous avec un médecin en région parisienne) et cette montée en flèche de l’extrême-droite menacent la cohésion sociale et pourraient  inquiéter la démocratie. 

Faudrait-il rappeler à certains politiques, cette réflexion de l’ancien gouverneur de New York au début  du XXe siècle Alfred E. Smith : «Tous les méfaits  de la démocratie sont remédiables par davantage de démocratie».

* Ancien rédacteur en chef dans une radio parisienne.

** Charles Maurras, écrivain et fondateur de l’extrême-droite sous la 3e République.