«Nous n’avons pas de chômeurs en Tunisie. Nous avons plutôt des gens qui ne veulent pas travailler», explique Khaled Azaiez, patron de la Verrerie de Carthage.
Par Wajdi Msaed
C’est à Dar Kamila que j’ai rencontré, pour la première fois, Khaled Azaiez. Ce jeune artisan, artiste et promoteur tunisien, blond aux yeux bleus, plein de dynamisme et de ferveur, était accompagné d’une jeune fille fraichement diplômée en marketing, qui l’aide à vulgariser un produit pas trop connu : les articles en verre soufflé, typiquement tunisiens, beaux, bien finis, à mi-chemin entre l’art et l’artisanat, et déclinés dans une profusion de couleurs, véritable régal pour les yeux.
Khaled Azaiez au milieu de ses employés.
Des mathématiques à la verrerie
Je me suis beaucoup intéressé à son expérience à telle enseigne que j’ai accepté son invitation pour visiter son atelier et son showroom à Soliman, ville balnéaire à 30 km au sud de Tunis.
Ouverts tous les jours de la semaine, même le dimanche, ces deux locaux accueillent les nombreux visiteurs avec le sourire de professionnels de la communication, vous invitant à la découverte.
Les articles en verre soufflé, typiquement tunisiens, beaux, bien finis, à mi-chemin entre l’art et l’artisanat.
Après une maîtrise en mathématiques, Khaled Azaiez a débuté sa carrière d’artisan à la Verrerie de Naassen, située à 10 km au sud-ouest de Tunis. Après un séjour en Allemagne, où il a pu perfectionner ses connaissances professionnelles, il est retourné au bercail pour devenir entrepreneur et installer son projet dans sa ville natale, Soliman. Sa décision était déjà prise : travailler pour son propre compte et ne jamais être sous la tutelle de quiconque.
Le show-room jouxte l’atelier de verrerie.
Une main d’œuvre qui fait défaut
Le jeune promoteur lance donc son projet de verrerie en 2012 et entame la production en 2014. L’atelier emploie actuellement 40 personnes, mais cet effectif est en-deçà de la capacité de l’entreprise qui peut, avec les 4 fours dont elle dispose, employer jusqu’à 200 agents. Ce déficit de 160 agents dans un pays qui compte 700.000 chômeurs, dont 250.000 diplômés, peut paraître saugrenu. «Nous n’avons pas de chômeurs dans notre pays. Nous avons plutôt des gens qui ne veulent pas travailler», explique, cependant, Khaled Azaiez, le promoteur du projet. «Les commandes ne manquent pas, qu’elles soient locales ou étrangères, mais ce qui fait défaut c’est la main d’œuvre qui, dès le premier jour de recrutement, profite d’une formation sur le tas qu’elle ne peut trouver ailleurs. Le hic c’est que nos jeunes refusent de travailler», soupire le jeune promoteur.
Le travail devant des fours à haute température pouvant atteindre 1500°C est pénible.
A vrai dire, le travail devant des fours à haute température pouvant atteindre 1500°C est pénible pour des jeunes dont l’âge au recrutement ne dépasse pas 20-22 ans. «Mais c’est l’âge où l’on peut s’habituer à ce travail pénible», réplique Khaled Azaiez. Qui s’empresse d’ajouter: «C’est un travail pénible, certes, mais il est noble et rentable. Ici on apprend une profession qui se fait rare dans notre pays. Et ce n’est pas une moindre chance».
Quand on sait que la Tunisie ne compte que 2 entreprises spécialisées dans le verre soufflé, l’une à Soliman et l’autre à Gammarth, on mesure le bénéfice que peut tirer un jeune en suivant ce filon.
«C’est un travail pénible, certes, mais il est noble et rentable.»
Le couscous du vendredi
Les employés de Khaled Azaiez sont pourtant relativement bien payés. Un apprenti placé à la Verrerie de Carthage par les centres de formation professionnelle touche, dès le premier mois, un salaire d’environ 420 dinars, sachant que le Smig est fixé à 320. Il bénéficie, en outre, de la couverture sociale et des droits qui en découlent. «Je veux me comporter en bon citoyen et travailler dans la légalité. Chez moi, ce n’est pas le client qui est roi, c’est moi le roi. Je vous présente un produit de qualité et à un prix compétitif, et c’est à prendre ou à laisser», dit-il en toute humilité. Et d’ajouter: «Je respecte toutes mes obligations vis-à-vis du fisc, de la sécurité sociale et envers mes employés. Nous-nous mettons à table, ensemble, chaque vendredi, autour d’un couscous à la viande. Les visiteurs aussi.»
Le problème, cependant, c’est que les apprentis ne restent pas à la Verrerie de Carthage. «Après 2 ou 3 mois de travail, c’est la fuite. Ils préfèrent dormir chez eux sans le sou que de venir travailler ici», regrette le promoteur.
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