Alors que les coûts de production du lait n’ont cessé de grimper et que toutes les études d’évaluation des coûts montrent que l’agriculteur produit actuellement du lait à perte, le gouvernement refuse l’augmentation du prix de cette denrée au risque de porter préjudice à toute une filière.
Par Mohamed Chawki Abid *
Le gouvernement ne s’est jamais dérangé pour augmenter les prix des carburants chaque fois que c’est nécessaire, en référence à l’évolution du cours du baril. Il n’a pas osé non plus réguler le flux des importations de biens de consommation, dont le dérapage est le principal responsable du glissement du dinar et de l’envolée de l’inflation.
La filière laitière est réellement en danger
Ne pouvant agir ni sur les importateurs de biens de consommation (rentiers abusant des réserves de change), ni sur les détenteurs de bâtiments frigorifiques (véritables spéculateurs) pour tenter de maîtriser l’inflation, le ministère du Commerce poursuit la pression sur les agriculteurs pour geler leurs prix à la production, ce qui les accule à tomber en difficulté financière compte tenu de l’accroissement excessif des charges : semences, produits de traitement, aliments de bétail, rajeunissement de cheptel, renouvellement de matériel, etc.
À titre indicatif, quand il s’agit du lait produit localement, les deux ministres de l’Agriculture et du Commerce refusent de corriger les prix à la production, alors que les coûts de production n’ont cessé de grimper, rien que par le fait du glissement du dinar étant donné que l’aliment de bétail est en grande partie importé. Toutes les études d’évaluation des coûts montrent que l’agriculteur produit actuellement du lait à perte.
Les conséquences de cet entêtement politique sont mécaniques:
– réduction irréversible du cheptel laitier (abattage, vente en Algérie…);
– baisse structurelle de la production en amont et en aval;
– rupture de l’autosuffisance en lait (établi depuis les années 90);
– perte d’emplois agricoles et industriels (et dans la distribution);
– recours forcé à l’importation du lait (liquide ou en poudre);
– aggravation du déficit commercial (érosion des réserves en devises);
– passage du prix du lait à un palier bien supérieur.
Pour quels intérêts douteux roule le gouvernement ?
À qui profite le crime? Qui cherche à démolir la filière du lait?
Pourquoi les ministres Amor Béhi (Commerce) et Samir Taïeb (Agriculture) font-ils tout pour mettre en faillite les éleveurs?
Pourquoi s’interdisent-ils d’agir avec pragmatisme et favorisent-ils le business d’importation?
Ont-ils reçu l’instruction de Bruxelles pour affaiblir la filière avant la ratification de l’Accord de libre échange complet et approfondi (Aleca), qui prévoit la libéralisation des secteurs de l’agriculture et des services?
Ce sont là des questions légitimes et urgentes auxquelles le gouvernement serait bien inspiré de répondre pour dissiper les doutes sur les motivations de certaines de ses politiques suicidaires.
* Ingénieur économiste.
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