Le droit au retour au cœur du combat des Chagossiens

Cinquante ans après leur expulsion de leur territoire, l’archipel des Chagos situé dans l’océan Indien, les Chagossiens continuent de revendiquer leur droit au retour et la pleine reconnaissance de leur souveraineté sur le territopire de leurs ancêtres.

Djamal Guettala

Entre 1968 et 1973, le Royaume-Uni a procédé à l’expulsion massive du peuple chagossien de son archipel, dans le cadre d’une opération visant à établir une base militaire américaine sur Diego Garcia. Cette expulsion, qualifiée par Human Rights Watch de déportation forcée et relevant du crime contre l’humanité, a constitué une violation flagrante du droit international. Liberté de circulation, logement, culture, dignité, droit à l’autodétermination : tous ces principes fondamentaux ont été bafoués.

Aujourd’hui, cinquante ans après, les Chagossiens continuent de revendiquer leur retour et la pleine reconnaissance de leurs droits. L’avocat et conseiller du Gouvernement de Transition de la République de l’Archipel des Chagos (GTRAC), Said Larifou, expose dans un entretien exclusif les dimensions juridique, politique et diplomatique de ce combat. Il revient sur les violations subies, les instruments internationaux disponibles, ainsi que sur la création du GTRAC comme expression politique de l’autodétermination.

Déportation forcée d’un peuple autochtone

«L’expulsion des Chagossiens dépasse largement le terme de simple déplacement», explique Said Larifou. «C’est un acte manifeste de déportation forcée d’un peuple autochtone, relevant du crime contre l’humanité. Human Rights Watch l’a reconnu en 2023. Les Chagossiens ont été arrachés à leurs terres dans la violence, avec un mépris total pour le droit et pour leur existence.»

Selon l’avocat, cette expulsion constitue une violation continue du droit international, de la Charte des Nations Unies et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui garantit notamment le droit de choisir librement sa résidence et le droit au retour.

Parmi les principes violés, le droit à l’autodétermination figure en tête. «La résolution 1514 de l’Assemblée générale de l’Onu, adoptée en 1960, consacre ce droit. Mais il a été systématiquement bafoué», souligne Larifou. Le droit des peuples autochtones à rester sur leurs terres ancestrales a également été ignoré, tout comme les droits humains fondamentaux : dignité, liberté de circulation, logement, culture. «La volonté d’effacer le peuple Chagossien de la carte, de nier son existence, sa culture et son histoire, a été mise en œuvre par des manœuvres et des mensonges. Mais la résistance de ce peuple à prendre son destin en main est intacte», insiste-t-il.

Le combat des Chagossiens s’appuie sur un solide corpus juridique. Les résolutions de l’Onu, comme la résolution 73/295 de 2019, et l’avis consultatif de la Cour internationale de Justice (CIJ) de la même année, établissent le caractère illicite de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965. Bien que ces instruments n’aient pas de force contraignante directe, ils possèdent une autorité morale et juridique considérable et reflètent la volonté de la communauté internationale.

Recours juridiques et diplomatiques

D’autres instruments, tels que la Convention européenne des droits de l’homme et la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, viennent renforcer les revendications légitimes des Chagossiens, en garantissant la préservation de leur culture et le droit de disposer de leur territoire.

La création du GTRAC représente une avancée historique. «Ce gouvernement n’est pas simplement symbolique. Il repositionne le dossier de Chagos dans un cadre explicitement politique et représente la communauté chagossienne dans les négociations internationales», explique Larifou. Il permet au peuple Chagossien de faire valoir sa souveraineté, de peser dans les démarches diplomatiques et de préparer le terrain pour la restitution de ses terres et la gestion autonome de son archipel.

Les recours juridiques et diplomatiques restent au cœur de la stratégie. «Des actions ont déjà été engagées devant les juridictions britanniques entre 1998 et 2008, avec des résultats mitigés. Mais il est possible de saisir des instances internationales, comme la Cour pénale internationale, pour crimes contre l’humanité», précise l’avocat. Le GTRAC envisage également un arbitrage international et des actions devant la Cour permanente d’arbitrage de La Haye, en coordination avec des alliés africains et des organisations internationales spécialisées dans la décolonisation.

La préservation de la culture et de l’identité du peuple chagossien constitue un autre enjeu majeur. «L’exil a fragilisé la mémoire collective, la langue et les traditions. Il est crucial de créer des programmes éducatifs en langue chagossienne, de soutenir la musique et les traditions orales, et de développer des centres de mémoire et de recherche consacrés à l’histoire chagossienne», explique Larifou. Le droit au retour culturel permet ainsi de maintenir un lien avec la terre, même si le retour physique reste limité pour l’instant.

Enfin, le droit international permet de réclamer réparation pour les pertes subies depuis l’expulsion. «Plus de soixante ans après ce crime, la réparation la plus précieuse reste la reconnaissance internationale du peuple chagossien», conclut Larifou. Une reconnaissance qui constituerait un acte de justice historique et la véritable réparation pour des générations privées de leur terre et de leur dignité.

La lutte des Chagossiens s’inscrit donc dans une double dimension : juridique et diplomatique. Elle repose sur la consolidation du GTRAC, l’intensification des recours devant les juridictions internationales, la pression diplomatique sur le Royaume-Uni, et la préservation de la mémoire et de la culture chagossienne. C’est un combat pour le droit au retour, pour la restitution de leurs terres et ressources, et pour la reconnaissance pleine et entière de leur identité et de leur souveraineté.

Le peuple chagossien, soutenu par des forces vives africaines, des ONG internationales et la communauté internationale, continue de réclamer justice et autodétermination. Cinquante ans après la déportation, leur détermination demeure intacte, et leur combat pour la reconnaissance historique et juridique de leurs droits reste plus que jamais d’actualité.

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