La Tunisie est malade d’une islamisation rampante qui n’est qu’une hystérie mal soignée. C’est une altération de l’islam, foi humaniste et tolérante, qui doit retrouver son essence pour guérir le pays de son mal.
Par Farhat Othman *
Il ne faut pas se leurrer, l’islamisation rampante en Tunisie n’est qu’une hystérie autour de la foi dans une société marquée par la spiritualité, comme l’est, au reste, le monde d’aujourd’hui, lassé de la matérialisation excessive de la vie. Œuvre pour l’essentiel de dogmatiques religieux fanatisés, elle n’est collective qu’en apparence, par mimétisme, n’étant que le propre d’un noyau dur dans la société, une minorité de malades qui semblent nombreux du fait de leur agitation, étant des meneurs. Et s’ils sont directement encouragés dans leur agitation par des forces ayant pignon sur rue, ils le sont aussi indirectement par leurs supposés adversaires. Car, affichant une islamophobie primaire et s’alignant sur la lecture faussée des intégristes, ils donnent à ceux-ci une illusoire légitimité aux yeux des masses trompées sur leur religion. Or, c’est la fausse lecture de l’islam qui nourrit l’islamisation rampante, lui permettant de se propager dans le pays en cette épidémie hystérique que nous constatons au jour le jour.
Dessous de la maladie hystérique de l’islamisation
Névrose aux formes variées, l’hystérie de l’islamisation est le résultat d’un conflit psychique sans lésion organique s’exprimant par l’exagération des manifestations qui sont tout autant fonctionnelles comme l’anesthésie ou des contractures et même la paralysie des membres, la cécité, et psychiques manifestant une grave crise émotionnelle, à base souvent de phobies.
Dans la forme religieuse qu’est l’islamisation, on retrouve nombre des manifestations connues de ce trouble psychique, neurologique et fonctionnel, telles la théâtralité, la dépendance aux stéréotypes, la manipulation de l’entourage et une vive excitation niant le discernement.
C’est ce dernier trait qui définit le mieux, chez nous, l’épidémie hystérique de l’islamisation qui n’a toutefois pas pour acteurs que des religieux islamistes, contrairement à ce que l’on croit. Au vrai, l’islamisation en Tunisie n’est religieuse que par défaut, nos religieux usant à merveille de l’inertie des forces supposées humanistes et progressistes, à laquelle les condamnent une mauvaise stratégie en faisant des complices objectifs de intégristes. Et ces derniers en profitent amplement, continuant à simuler le jeu démocratique sans avoir trop à se découvrir, mettre bas le masque de la tromperie sur la religion et sur les valeurs qu’ils portent pour induire en erreur les plus naïfs. Surtout, ne pas mettre trop en porte à faux leurs précieux soutiens occidentaux par rapport aux valeurs humanistes dont ils se réclament juste pour la forme.
C’est un tel jeu vicieux relevant de la théâtralité hystérique qui permet à l’islam intégriste d’avancer si vite et si bien dans le pays, instrumentalisant la peur chez les masses de voir leur religion disparaître, tout en ayant toute latitude de se présenter en une déclinaison modérée de la foi quoique traditionaliste, en harmonie avec ce que serait la nature de la société décrétée à tort conservatrice. Or, le conservatisme social est bel et bien un mythe éculé, qui nourrit pourtant non seulement le discours islamiste, mais aussi celui de leurs supposés adversaires qui se gardent bien de le contredire.
Ce tropisme traditionaliste de nos modernistes, laïcistes pour la plupart, est induit par leur occidentalocentrisme jugeant archaïque et conservateur ce qui n’est qu’un enracinement social dans l’essence de l’être. Il est aussi cause et effet de leur incapacité à oser s’attaquer à un tel mythe éventé au prétexte de ne pas vouloir parler de religion par principe et par stratégie. Ce faisant, ils font fi de la constitution qui y oblige puisqu’elle renvoie au respect des valeurs de l’islam. C’est en cela qu’ils se révèlent les plus parfaits complices des intégristes qui ont ainsi tout loisir de s’ériger en défenseurs d’une religion attaquée par de tels ennemis. D’autant plus que ces laïcistes sont encouragés dans leur mauvaise stratégie par les Occidentaux qui, en l’occurrence, s’adonnent idéalement à leur parfait double jeu vicieux, étant dans le même temps les meilleurs soutiens de nos islamistes au service de leurs visées capitalistes sauvages en Tunisie. N’oublions pas qu’ils sont les responsables de l’arrivée au pouvoir d’Ennahdha et qu’ils font tout pour l’y maintenir en garantie de leurs intérêts économiques par trop mercantiles.
C’est bien cette raison, à savoir que les religieux servent le mieux le capitalisme sauvage, qui font de nos islamistes et des Occidentaux un couple solide, la lecture caricaturale des islamistes étant l’opium de la religion musulmane dont use l’impérialisme capitaliste mondial, exactement comme il l’a fait avec le catholicisme lors de la naissance du capitalisme.
Aujourd’hui, un tel opium sert à le sauver de sa crise en lui faisant gagner encore plus de marchés en terres d’islam. Peu lui importe pour cela de le faire en trompant sur sa sincérité quant aux valeurs affichées des droits de l’Homme ou celle de ses partenaires sur l’éthique, la foi et la spiritualité; on sait bien qu’en politique les engagements et les promesses ne le sont que pour qui y croit.
Atouts pour en finir avec l’hystérie islamiste
L’islamisation rampante en Tunisie se fait à la faveur de cette alliance de l’Occident avec les islamistes, tablant sur la soif pour les délices du libéralisme du Tunisien et sur son attachement à sa religion. Or, on oublie que le Tunisien a soif aussi de droits et de libertés, que s’il n’est pas opposé au libéralisme, c’est plutôt le vrai libéralisme, celui des libertés dans tous les domaines de la vie, y compris et surtout en matière de vie privée. De plus, il pense sa religion, cette part de son identité, être une foi modèle, de droits et de libertés.
Ce qui est vrai pour peu que l’on cesse de caricaturer l’islam pour revenir à une lecture authentique de cette foi libertaire ainsi qu’elle l’a été déjà chez les spiritualistes soufis. Ce qui suppose de ne plus se suffire de l’interprétation périmée des jurisconsultes d’antan, mais de la renouveler en conformité avec le principe cardinal de l’ijtihad, ne se suffisant plus de la lettre du Coran, tenant compte surtout de l’esprit de ses versets et de leurs visées. Or, personne n’ose confirmer cette saine vision populaire de l’islam en lui donnant raison par une nouvelle et juste conception qui dénonce la fausse devenue officielle et instituée.
C’est à ce niveau que se situe la plus sûre parade au capitalislamisme sauvage qui fait le lit de l’islamisation rampante en Tunisie. C’est dans des retrouvailles, parfaitement possibles, avec une telle vision, devenue idyllique et théorique de l’islam, que se trouve l’arme magique en mesure de battre les marchands de la foi, démasquant la véritable nature des intégristes, ces faussaires de l’islam, ses véritables ennemis les plus dangereux, car agissant en son sein. Et ce qui devrait être un sacerdoce pour les humanistes en ce pays, dont la religion est constitutionnellement indiquée être celle du peuple, c’est de ne pas déserter le terrain de la religion, l’occupant, agissant à en réhabiliter la vraie lecture en tant que foi des droits et des libertés.
Il importe donc que ceux qui dénoncent l’islamisation du pays cessent de refuser de snober ce discours, se limitant au galimatias laïciste, stérile et même néfaste, qui ne saurait contrer l’islamisation mais l’encourage et la justifie. Il serait même judicieux d’oser se réclamer de la même intention d’islamisation en allant dans son sens véritable, soit au service de l’islam en Tunisie en tant qu’obligation constitutionnelle dans un État civil. Cela s’appelle surenchérir, battre les intégristes sur leur propre terrain, la défense de l’islam se faisant de manière complète et approfondie par une saine lecture de cette religion soucieuse de la garantie des droits et des libertés de ses fidèles. Ce qui veut dire un islam de la parfaite égalité successorale, de la totale liberté sexuelle, y compris homosexuelle, de la non-interdiction de l’alcool sobrement bu mais juste de l’ivresse — notamment pour s’acquitter de la prière pour les pratiquants —, du droit au nu qui n’y est pas pornographique; bref d’une absolue libre vie privée !
C’est là, assurément, l’arme fatale contre l’islamisation sauvage actuelle de la Tunisie. Est-on alors prêt d’en user ? Est-on seulement sincère dans notre militance devant relever de l’humanisme intégral ?
On le voit bien, l’hystérie de l’islamisme ne concerne pas que les religieux, certains intégristes pouvant se révéler salafistes profanes, leurs complices objectifs. Si la responsabilité des supposés adversaires de l’islamisation rampante est engagée, c’est qu’ils méconnaissent un tel islam démocratique, allant même jusqu’à développer la même attitude que les intégristes religieux sur les sujets sensibles, les seuls pourtant de nature à mettre en échec l’islamisation du pays. Bien évidemment, le premier de ces sujets est l’égalité successorale; or, le projet de loi présidentielle peine à s’imposer. Certes, il a été voulu en manœuvre politicienne; mais il est surtout bancal du fait qu’il n’ose pas attaquer de front la question en taillant en pièces l’argument de ses opposants qu’il serait contraire à l’islam. C’est bien en déclarant haut et fort que c’est l’inégalité successorale qui viole l’islam que l’on réussira cette réforme inévitable devant toiletter la religion de la fausse lecture qu’imposent les intégristes. Ce qui a été largement démontré, et nombre de religieux ne s’y opposent plus puisque cela confirme la lecture majoritaire que l’islam est une foi juste et de justice, égalitaire donc, érigeant la parfaite parité entre croyants, nonobstant leur sexe. Ce qui impose par conséquent de dépasser la lettre du Coran, contingente par définition, pour ne tenir que de ses visées, valables pour tout temps, ainsi que cela se fait déjà pour nombre d’autres sujets comme l’ablation de la main ou l’esclavage.
Ce ne sont toutefois pas que les intentions plus électoralistes qu’humanistes des promoteurs de ce projet qui scellent son échec, c’est aussi leur méconnaissance de la sociologie de notre pays, croyant la société opposée à une telle réforme alors qu’elle ne l’est pas, n’étant au pis que sensible aux tromperies de qui a loisir de lui dire que l’égalité successorale viole l’islam et que personne n’ose vraiment le contredire, preuves à l’appui, pourtant nombreuses et multiples. Or, avoir le courage de dire ce qu’impose le vrai islam à travers une saine lecture de ses préceptes permettra de révéler le vrai visage des Tunisiens. Que n’a-t-on donc dit d’eux avant la réforme capitale osée par Bourguiba abolissant la polygamie ! Les Tunisiens sont ouverts à toutes les innovations pour peut qu’on soit capable leur en parler avec cœur.
C’est ce que n’osent faire nos humanistes, militant bien plus pour un dogme, une laïcité formatée à l’Occidentale et donc contre l’islam, que pour l’humanisation de nos lois. Ils ont ainsi le tort de croire que la religion ne peut qu’être dénoncée, ne pouvant être laïque, ce qui ne correspond pas à l’islam qui l’est à la base, distinguant le domaine privé réservé à la foi du domaine public où la foi ne doit pas avoir droit de cité. C’est cela le vrai islam, l’islam pur dénaturé et par les islamistes et par l’islam institutionnalisé, aidés en cela par nos soi-disant humanistes.
* Ancien diplomate et écrivain.
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