Si, à trois mois des prochaines élections générales, le hasard a voulu que Béji Caid Essebsi décède, le 25 juillet 2019, et que le même jour, son compagnon de route, Mohamed Ennaceur, président de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), lui succède pour assurer l’intérim, conformément à la Constitution, c’est que, d’une certaine façon, Dieu aime les Tunisiens.
Par Khémaies Krimi
En effet, on ne pouvait rêver une succession aussi sage : les deux hommes sont issus du sérail et ont déjà rendu d’éminents services à la Tunisie moderne et à la pérennité de l’Etat. Ils l’ont fait une nouvelle fois, la semaine écoulée, en étant les principaux acteurs d’un tournant politique survenu à un moment très délicat de la vie du pays, dans une conjoncture très tendue et qui aurait pu, sans jeu de mots aucun, très mal tourner.
Bajbouj rend service à la Tunisie même après son décès
En tirant sa révérence, le 25 juillet, le défunt président, que les Tunisiens aimaient appeler par son surnom Bajbouj, a fait avancer, comme le prévoit la Constitution, la date de l’élection présidentielle. Cette dernière prévue, initialement, pour le 17 novembre prochain aura finalement lieu le 15 septembre, selon le nouveau calendrier électoral établi par l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie).
À travers cet avancement de date, le défunt réalise un souhait personnel et booste les chances de son successeur laïc. En effet, lors des élections de 2014, il avait appelé à faire précéder les législatives par la présidentielle. À l’époque, selon ses calculs électoraux, l’élection d’un président avant les législatives peut influencer énormément l’électorat et favoriser la victoire du parti du président élu. Or, le parti Ennahdha, qui n’a jamais misé sur la présidentielle ni disposé d’un candidat crédible pouvant la remporter, a toujours refusé de changer le calendrier des échéances électorales : les élections législatives d’abord, et la présidentielle ensuite.
Aujourd’hui, le décès du regretté président a fait que l’élection présidentielle aura bien lieu avant les législatives avec tous les avantages qu’un candidat laïc pourrait en tirer.
Le père du contrat social sera-t-il l’architecte de la prochaine étape politique ?
Pour sa part, le successeur constitutionnel, Mohamed Ennaceur, a fait preuve d’une grande loyauté politique quant il a demandé, dès son accès à la magistrature suprême, au président de l’Isie, Nabil Baffoun, de respecter à la lettre la durée du mandat que lui accorde la Constitution, à savoir, 90 jours.
Ainsi donc Mohamed Ennaceur, président provisoire, s’est empressé d’envoyer un signal positif rassurant : la nouvelle transition se passera comme prévu par la constitution et tout ira comme sur du papier à musique, dans l’ordre et l’harmonie, et c’est lui qui veillera sur le respect des règles démocratiques.
N’est-ce pas une chance pour les Tunisiens d’avoir un homme d’une telle intégrité morale au Palais de Carthage à un moment où des personnages pour le moins louches s’affairent autour de la présidence de la république ?
Rien que pour cette position désintéressée et cette conviction républicaine et démocratique, M. Ennaceur sortira, dans trois mois, du palais de Carthage, par la grande porte. Il se démarque ainsi de la plupart de ses prédécesseurs et, surtout, du précédent président provisoire Moncef Marzouki, qui a refusé de quitter son poste au bout d’un an, comme il devait le faire selon un accord initial, et a retardé son départ de deux ans. Aussi a-t-il finalement passé 3 ans au total au Palais de Carthage, du début janvier 2012 à fin décembre 2014.
Espérons que Mohamed Ennaceur, l’un des artisans du contrat social en Tunisie, au temps de Bourguiba, ne sera plus seulement un grand commis de l’Etat, intègre et patriote, ce que lui reconnaissant même ses adversaires, mais deviendra aussi, aux yeux des Tunisiens et des Tunisiennes, un grand chef d’Etat en dépit de son court mandat.
Mohamed Ennaceur, qui, ne l’oublions pas, a beaucoup souffert des débats houleux et haineux au parlement, aura pour mission de concilier les Tunisiens et de les inciter à concevoir un socle de valeurs communes. Il aura aussi la lourde tâche de veiller à ce que les prochaines élections générales se déroulent dans la transparence et viennent renforcer la démocratie en Tunisie.
Notre souhait est qu’il se prononce clairement, durant son mandat, sur trois dossiers brûlants, laissés en plan par son prédécesseur : l’urgence de séparer la religion de la politique, l’appareil secret du parti Ennahdha et l’argent sale des partis politiques. Il aura servi grandement les Tunisiens.
Donnez votre avis