Ce sont les jeunes tunisiens, dont beaucoup n’ont pas voté le 15 septembre 2019, qui font vraiment de la peine, car les deux candidats au second tour de la présidentielle, Kaïs Saïed et Nabil Karoui, risquent d’aggraver la crise dans le pays et d’affecter durablement leur avenir.
Par Hichem Cherif *
La Tunisie est le pays qui a eu les présidents de la république aux profils les plus divers qu’aucun autre pays du monde n’a eu au cours des 50 dernières années.
Des présidents pas comme les autres
Il y eut, d’abord, Habib Bourguiba, leader nationaliste et président à vie, qui a taillé la constitution à sa mesure, partant de l’idée que la Tunisie appartient et que son peuple compte pour des miettes et n’est pas apte à assumer des choix de vie.
La Tunisie a eu, ensuite, un président «putschiste», Zine El Abidine Ben Ali, qui a accédé au pouvoir à la faveur du coup d’Etat le plus «soft» au monde, qualifié de «médico-constitutionnel», même si, une fois au Palais de Carthage, il a agi comme l’exige sa formation policière pour devenir le dictateur qui a fait le plus de mal aux libertés des Tunisiens tout en implantant un système «mafieux», où l’argent illicite règne sur l’économie, et généralisant une mentalité de corrompus que nos jeunes considèrent comme «licites» car ils ont été allaités au lait de la richesse rapide et indue, au point qu’ils ont oublié la «valeur travail» et ses corollaires, le sacrifice, le mérite et la patience.
La Tunisie a eu ensuite sa «révolution» qui n’en est pas une car elle ne porte ni idée, ni idéologie car elle n’est qu’un simple «ras-le-bol» de toutes les couches sociales et un rejet d’un système mafieux familial qui a affecté toutes les catégories sociales.
La soi-disant révolution a engendré une véritable cacophonie avec un premier président «provisoire», Foued Mebazaa, pour assurer une courte transition politique, en 2011, puis un second président provisoire, Mohamed Moncef Marzouki, choisi par le parlement suite à des accords de coulisses, qui a fait étirer son «mandat provisoire», le prolongeant d’un an à trois : de janvier 2012 à décembre 2014.
La Tunisie a eu, à partir de janvier 2015, son premier président élu démocratiquement, Béji Caïd Essebsi (BCE), qui a essayé d’unir les diverses fractions politiques autour de deux rounds de dialogue national, Carthage 1 et Carthage 2, sans succès mais toujours avec l’idée du consensus, qui a caractérisé l’histoire de la Tunisie et qu’on trouve latente chez la classe politique dominante, islamiste ou progressiste.
Aujourd’hui, et depuis le décès de BCE, le 25 juillet 2019, la Tunisie a connu et connaît encore son premier président «temporaire», Mohamed Ennaceur, qui a été récupéré sur le seuil de la maison de retraite juste pour assumer pour 3 mois une présidence pendant laquelle il n’osera pas prendre des décisions pour l’intérêt du pays et adopte la position «voyez la question avec le suivant».
La stupidité d’un vote… d’auto-sanction
Enfin le 15 septembre 2019, le peuple tunisien a élu pour le 2e tour de la présidentielle un candidat en prison même s’il bénéficie de la présomption d’innocence, le magnat de la télévision Nabil Karoui, un universitaire spécialiste de droit constitutionnel, qui n’a aucune expérience politique, sans «brain trust» pour le guider dans ses choix qui seront faits sur la base de ses convictions personnelles comme le ferait tout enseignant universitaire qui n’a jamais été confronté à la dialectique de gestion pour assouplir ses idées.
On doit savoir que le seul corps professionnel qui n’a pas d’inspection ou de contrôle hiérarchique, c’est le corps des enseignants universitaires car la promotion de ces derniers est basée sur leurs travaux académiques personnels et non sur leur capacité de souder les membres de leurs équipes ou de trouver des solutions aux problèmes concrets de la société.
Si on emprisonne une personne et le prive de sa liberté c’est qu’il y a de fortes présomptions de culpabilité même si celles-ci doivent être étayées et prouvées pour justifier une condamnation, car je ne crois pas qu’il y ait des juges d’instruction, des procureurs généraux de république, des chambres d’accusation et des chambres d’appel qui se sont tous mis d’accord pour priver une personne de sa liberté sur la base de simples éléments non probants.
Quant à notre cher académicien, je tiens à rappeler que son parcours académique s’est arrêté à un simple diplôme de 3e cycle. Il n’a pas été un doctorant et n’a pas de références en tant qu’expert constitutionnaliste averti pour que l’on prenne pour argent comptant ses opinions et ses idées, surtout qu’il ne cesse de crier tout haut son conservatisme populiste et va à contre-sens de l’inexorable marche de l’émancipation de la femme ou des libertés individuelles.
Limiter son choix pour la présidence de la république entre un candidat en prison, familier des malversations financières et des opérations occultes et un candidat limité qui n’a aucune expérience de gestion des affaires publiques, il n’y a que le peuple tunisien qui peut réussir ce genre de prouesse.
Envoyer au G20 ou à l’Onu, un ancien prisonnier pour faits financiers à qui ses homologues étrangers pourrait demander, sans ironie aucune mais avec tout le mépris requis: «Alors, président, comment ça été la prison ?», ou un universitaire à qui on doit devoir flanquer un traducteur parce qu’il ne sait pas parler ni la langue de Molière ni celle de Shakespeare, sans oublier qu’il n’a jamais assumé une charge administrative publique ou entrepreneuriale pour se sentir habitué à la gestion humaine.
Ne dit-on pas que nous avons les gouvernants que nous méritons ?
Les jeunes tunisiens sont les plus à plaindre
Ce sont les jeunes tunisiens, dont beaucoup n’ont pas voté, qui me font de la peine, car ces nouveaux gouvernants vont hypothéquer leur avenir. Pour les plus de 50 ans, le train est passé ou en cours de passage, mais ce sont ces jeunes qui vont pâtir des choix des électeurs.
Doit-on interdire aux vieux de plus de 60 ans de voter pour les empêcher d’imposer leur choix aux jeunes, qui représentent l’avenir de tout pays ? Mais là aussi, je ne sais pas si nos jeunes sont conscients du marasme qu’ils auront à gérer à cause de leur absence aux diverses élections.
Espérons qu’ils sauront réagir pour les législatives car c’est là où ils risquent de perdre le plus s’ils vont continuer à observer la même indifférence à l’égard du monde politique et du choix de leurs dirigeants ou députés.
* Avocat.
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