Ces dernières années, des polémiques ont éclaté conjointement à des crises politiques autour de questions se rapportant aux ressources qu’abrite le sous-sol national tunisien. Le débat fait rage dans les médias et les réseaux sociaux, mais l’information scientifique objective est souvent déficiente face à la désinformation. Comment remédier à cette situation ?
Par Hakim Gabtni *
«Connaître son sous-sol pour mieux gérer ses ressources» est une des priorités de la Recherche-Développement (R&D) dans les pays développés afin de se placer sur l’échiquier international, savoir négocier et prendre les bonnes décisions en termes de bonne gouvernance (aussi bien à l’échelle nationale que locale).
On peut extraire de la ressource à partir du sous-sol (eau, pétrole, gaz, minerais, géothermie, etc.) mais aussi en stocker (eau, CO2, hydrocarbures, etc.).
Le suivi de cette dynamique de la ressource sur le territoire national se fait généralement de quelques mètres de profondeur (Zone superficielle sujette à tous les stress, pollution, intrusion marine, etc.) à 4000m en moyenne (considérant les fenêtres à huile/gaz dans le cas d’une ressource conventionnelle).
Pour une bonne maîtrise de ces informations stratégiques, il faudra mobiliser les ressources humaines, les moyens logistiques, les équipements scientifiques et implanter un observatoire/institut scientifique constituant le véritable cadastre du sous-sol national.
Sachants et faux-sachants
Que connaissons-nous de notre sous-sol ? Qui le connait ? Comment accéder à l’information ? Ces dernières années, plusieurs polémiques se sont répandues conjointement à des crises politiques autour de questions se rapportant aux ressources qu’abrite le sous-sol national tunisien. Des questions entre mythes, vérités et réalités : «Où est le pétrole ?»; «Pourquoi octroie-t-on des permis d’exploration pétroliers/miniers aux sociétés étrangères?»; «A-t-on de l’or à Nefza?»; «Y’aura-t-il un séisme éminent à Kairouan ?»; «Comment expliquer l’apparition d’un lac d’eau douce à Gafsa ?».
Le constat est sans appel au niveau des médias et des réseaux sociaux, l’information scientifique objective est déficiente face à la désinformation. De plus, les protagonistes qui détiennent l’information sont éparpillés entre les ministères et les institutions. On relève donc d’une façon récurrente des questions sans réponses, des demi-réponses des experts, des prétendus experts, des sachants, des faux-sachants, etc.
Manque d’information scientifique et désinformation scientifique
Le philosophe Aristote, a dit : «La nature a horreur du vide». L’esprit comme la nature a aussi horreur du vide. L’information sur le sous-sol et nos ressources doit être révélée, en partie, pour le citoyen, le journaliste, le politicien, etc. Cependant, elle devra être gérée par un institut ou un observatoire où la rigueur scientifique règne afin d’y assurer le tri, le traitement, l’analyse et la diffusion officielle.
Dans ce cas, l’information intégrale pourra aussi être fournie, sous conditions, aux acteurs de la recherche scientifique afin de développer les connaissances, soutenir les doctorants dans leurs travaux et surtout développer une politique nationale de gestion de l’exploitation du sous-sol mais aussi de planification rationnelle de son occupation.
L’accès à l’information scientifique est un droit
L’accès à l’information scientifique est un droit dans les pays développés. En démocratie, les priorités nationales et les axes stratégiques de développement ne peuvent être acceptés par la population que si l’information est claire, fluide et transparente. Un traité, un permis ou des choix à prendre comme par exemple dans le secteur énergétique, la sécurité hydrique et alimentaire, ne peuvent être adoptés que si la majeure partie de la population a accès à l’information au préalable. C’est au moyen d’un accès à l’information scientifique plus ou moins vulgarisée que l’adhésion aux politiques peut être palpable.
En France, la banque de données du sous-sol (BSS) du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) constitue la base nationale conservant plus de 800.000 descriptions d’ouvrages souterrains (tels les forages, puits, sondages, etc.). Ces données sont téléchargeables sur Infoterre pour l’utilisation et la réutilisation conformément aux conditions d’utilisation des données du BRGM.
Rassembler, ouvrir et partager les données publiques et les rendre accessibles à tous sont aussi les objectifs d’Etalab qui est un département de la direction interministérielle du numérique (DINUM) coordonnant notamment la conception et la mise en œuvre de la stratégie de l’État français dans le domaine de la donnée.
Aux Etats-Unis, les banques digitales rassemblant toutes les informations sur le sous-sol américain sont accessibles en partie au grand public et en intégralité aux chercheurs et scientifiques. L’Institut d’études géologiques des États-Unis (USGS) par exemple, qui est une agence rattachée au département de l’Intérieur des États-Unis), gère des millions d’informations et de données sur des thèmes stratégiques comme la géologie, l’eau, les informations géospatiales la géographie et la biologie dont certains sont accessibles immédiatement sur le web.
Au Japon, le Geological Survey of Japan propose une panoplie de bases de données sur le sous-sol japonais. Des données telles les cartes gravimétriques, informations capitales pour déceler les structures et les ressources géologiques du sous-sol, sont téléchargeables directement (1 et 2).
Au Canada, «le gouvernement ouvert» vise à rendre le gouvernement plus accessible à tous. Participez à des conversations, trouvez des données et des dossiers numériques, et apprenez-en davantage sur le gouvernement ouvert. Des sites tels Basin GDR ou celui de Ressources naturelles Canada cherchent à renforcer le développement et l’utilisation responsables des ressources naturelles du Canada et la compétitivité des produits tirés des ressources naturelles du pays.
En Suisse, connaître et gérer les ressources souterraines et le sous-sol est une des activités de gestion d’une commune, de ses infrastructures et de son développement. En effet, les élus communaux sont amenés à être à la page afin de se positionner dans les meilleures conditions pour une prise de décision réfléchie et argumentée (permis de construire, exploitation de ressources, etc.). Les décisions à prendre doivent prendre en compte des contraintes liées à la nature du sous-sol ou à l’utilisation de certaines ressources. Dans ce sens, un cadastre géologique est disponible pour mieux connaître le sous-sol au moyen d’un guichet cartographique cantonal.
Pour quand un institut national pour gérer une banque de données sur le sous-sol national ?
Dans ce contexte ont également été créés l’Institut de géophysique du Pérou, l’Institut de géophysique de Téhéran (Iran), l’Institut de géophysique de l’Alaska (Etats-Unis), l’Institut national de géophysique à Rabat, l’Institut géophysique d’Antananarivo (Madagascar), le Centre de recherche en astronomie, astrophysique et géophysique (CRAAG) en Algérie, etc. Pour quand un Institut national de géophysique ou un Observatoire de physique du globe en Tunisie ?
Plusieurs spécialistes peuvent assurer la transmission du savoir et la mise en place d’un tel institut : enseignants-chercheurs de renommée, ingénieurs et techniciens sont répartis un peu partout dans le pays sans oublier des centaines de spécialistes œuvrant dans des universités et des entreprises renommées dans le monde.
Cet institut s’occupera des missions d’observation, d’acquisition, de traitement et d’archivage de toutes les données se rapportant au sous-sol tunisien. Il œuvrera à coopérer avec des organismes publics, privés et internationaux et à être le portail incontournable de l’information scientifique fiable et viable sur le sous-sol national.
L’importance de la planification rationnelle de l’occupation du sous-sol
À la suite de la pandémie de Covid-19, un surplus de production d’hydrocarbures a complètement saturé les capacités mondiales de stockage. La Tunisie est dotée d’une capacité limitée de stockage d’hydrocarbures. Dans un contexte similaire qui pourra se reproduire, un programme à court terme d’une pré-sélection de sites potentiels pour un stockage d’hydrocarbures doit être envisagé par l’Etat tunisien (voir la tribune de Ali Gaaya sur «Le stockage souterrain des hydrocarbures : opportunités pour la Tunisie», publiée le 30 avril 2020 par Webmanagercenter).
Les sites potentiels sont décrits comme étant des sites géologiques naturels garantissant une étanchéité totale. Les trois techniques majeures de stockage des HC/gaz sont le stockage en couche aquifère, le stockage au niveau des pièges pétrole/gaz épuisés et le stockage en cavités salines.
Le stockage souterrain est en moyenne deux fois moins cher que le stockage de surface avec une capacité volumique beaucoup plus importante. Ce stockage est réalisé en souterrain dans tous les pays industriels : une réserve stratégique (Strategic Petroleum Reserve) de 700 millions de barils (100 millions de tonnes) de pétrole brut est constituée au Texas et en Louisiane (États-Unis), en cavités salines, mobilisable.
Si nous prenons seulement ce dernier exemple de stockage en souterrain, les couches géologiques de sel d’épaisseur, de profondeur et d’extension variables sont abondantes en Tunisie, essentiellement au Nord-Ouest, sous forme de diapirs et de glaciers du Trias (250 à 200 millions d’années). Plusieurs forages pétroliers et de nombreux sondages miniers ont recoupé ces couches.
A suivre…
* Professeur des universités en géosciences – Certe, Tunisie.
Carte de l’intensité de l’anomalie magnétique et coupe A-B de la structure lithosphérique passant par la Tunisie.
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