Le projet de loi N°41/2015 sur la responsabilité médicale et les droits des patients examiné par l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) présente de nombreuses carences qu’il s’agit de corriger dans un esprit juste et équitable afin de satisfaire à la fois les professionnels de la santé et les éventuelles victimes des fautes médicales.
Par Nejiba Dabbech *
La Tunisie a vécu des protestations particulières du corps médical et paramédical en 2015 suite à l’accusation des deux cadres de santé (1) de s’être trompés de groupe sanguin lors d’une transfusion à un patient, qui serait décédé (2). Le maintien en prison de ces deux cadres de la santé – accusés de faute médicale – avait entraîné une grève totale du secteur (3) et une extension des mouvements de protestations exigeant de tenir compte de «la spécificité de la profession médicale».
Aujourd’hui, l’acte médical est mis en jeu et les professionnels de santé ont été incriminés dans la quasi-totalité des affaires portées à la connaissance du public. Et, ce en raison du changement de mentalité du patient qui n’a plus un rôle passif dans l’acte de traitement mais devenait adversaire en cas d’insatisfaction. Ce changement de mentalité du patient avec les progrès scientifiques nécessitait l’évolution de la jurisprudence en droit tunisien dans le domaine d’indemnisation des dommages corporels relatifs aux fautes médicales et aléas thérapeutiques.
La reconnaissance de la responsabilité médicale devenue une nécessité absolue
Dans ce contexte, la responsabilité médicale s’est trouvée au cœur d’un débat social et une commission a été mise en place, en février 2016, au sein du ministère de la Santé, afin d’élaborer un projet de loi relatif aux droits des patients et à la responsabilité médicale (4). Un projet de loi qui – normalement – devait refléter l’innovation du fait que la reconnaissance de la responsabilité médicale est devenue une nécessité absolue.
Cette réforme doit surmonter toutes les carences de la nomenclature actuelle (I) pour instaurer une nouvelle perspective (II) impliquant un traitement satisfaisant aussi bien pour le professionnel médical que pour le patient.
I / Un système en place défaillant : aujourd’hui, si le patient subit un dommage corporel, le professionnel de la santé sera soumis aux articles 217 et 225 du code pénal. Donc puni d’emprisonnement ou maintenu en prison en raison de sa négligence ou imprudence… Au plan civil, le patient se trouvera dans l’obligation de démontrer le lien de causalité entre la faute médicale et le dommage subi.
II/ La nouvelle perspective visée est inappropriée : le projet de loi N°41/2015 est basée sur une vision restreinte et présente plusieurs carences et irrégularités sur les plans constitutionnel et juridique. C’est un texte qui ne défend que les professionnels du secteur public (6) qui ont la qualité de fonctionnaires publics et ne bénéficient pas de la couverture des assurances.
Ce projet de loi écarte l’idée de toute réparation équitable et intégrale. Il ne protège que le professionnel du secteur public en négligeant aussi bien le droit des praticiens du secteur privé que celui du patient victime de la faute médicale.
La version actuelle du projet de loi N°41/2019 présenté à l’ARP défend l’adoption d’un fond d’indemnisation sous la tutelle du ministère de la Santé ou qui serait rattachée à la Caisse nationale d’assurance maladie (7) dans un contexte de déficit de cette caisse et des caisses sociales en général!
Ce texte doit subir des amendements pour garantir le droit du patient à une réparation intégrale et équitable à travers la détermination au préalable d’un tableau des montants d’indemnisations par taux d’incapacité et garantir le droit d’indemnisation aux héritiers en cas de décès (8). D’autant plus qu’il faut instaurer l’obligation de conclure des contrats d’assurance pour tous les professionnels de santé des secteurs aussi bien public que privé. Et ce pour garantir la couverture de la faute médicale de tout professionnel de santé et de ne plus chercher à faire entrer le patient dans un cercle vide de recherche d’une faute et d’un lien de causalité entre un acte médical et un préjudice corporel subi.
Dans ce cas la faute médicale sera indemnisée systématiquement par les compagnies d’assurances qui la prendront en charge. En revanche, ledit fonds d’indemnisation sera chargé d’indemniser les victimes des «accidents médicaux» qui ont un caractère flou et qui sont indentifiables.
Avec ce système de «dualité» de l’indemnisation, le patient – partie faible – sera indemnisé quel que soit le dommage subi ou son origine. Avec cette garantie, l’emprisonnement des professionnels de santé n’aura aucune utilité pour le patient ou les siens.
* Doctorante en Droit Public à la F.S.J.P.T de Tunis.
Notes :
1 – L’anesthésiste à Gabès Dr Slim Hamrouni et le technicien supérieur Salah Abdellaoui.
2 – En 2017, le tribunal de première instance de Gabès a condamné le médecin anesthésiste par un an de prison et son aide à six mois ferme de prison.
3 – En mars 2017.
4 – Projet de loi N°41/2019 présenté aujourd’hui devant l’ARP.
5 – Présenté aujourd’hui à l’ARP et avec ses deux versions adoptées par les deux commissions parlementaires de santé, celle présidée par Souhail Alouini et celle présidée par Khaled Krichi.
6 – Selon une étude publiée sur le site du ministère de la Santé, le nombre des médecins de libre pratique est plus que ceux du secteur public
7 – Selon la lecture présentait Par Mme Aida Caid Essebsi dans son article publié sur Zénith.
8 – Ce cas n’est pas présumé dans le projet de loi.
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