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Yadh Ben Achour : «Ennahdha a contribué à l’essor du terrorisme en Tunisie»

Après l’attaque terroriste du commissariat de police de Rambouillet, au sud de Paris, le 23 avril 2021, la deuxième du genre, en moins de cinq mois, commise par un ressortissant tunisien sur le sol français, l’éminent juriste tunisien, Yadh Ben Achour, membre du comité des droits de l’homme des Nations unies, dénonce, dans un entretien avec le magazine français ‘‘Le point’’, paru le 25 avril, le rôle d’Ennahdha au pouvoir dans l’essor du djihadisme en Tunisie. Extraits…

«Il y a, à mon avis, un problème tunisien, indépendamment de l’attentat de Rambouillet. Je vous rappelle qu’après l’assassinat de Samuel Paty, certains islamistes tunisiens ont déclaré sur les réseaux sociaux, et jusqu’à l’intérieur de l’Assemblée, qu’il ne fallait pas permettre d’insulter l’islam et de caricaturer le prophète. Comme s’ils justifiaient le passage à l’acte du terroriste. Il y a un laisser-aller en Tunisie face aux questions de radicalisation et de terrorisme. En tant que Tunisien, je dénonce les politiques laxistes du gouvernement en la matière. Je désigne la responsabilité de la troïka [le gouvernement de coalition de 2011 à 2014 formé d’Ennahdha, du Congrès pour la République et d’Ettakatol, NDLR], et notamment du Parti islamiste qui a remporté les élections de 2011. À l’époque, pendant que les sonnettes d’alarme étaient agitées, et que les journalistes attiraient l’attention sur la présence de groupes qui s’entraînaient dans les montagnes du Chambi, le ministre de l’Intérieur islamiste répondait qu’il ne s’agissait que de camps de sport et qu’il était impossible de les arrêter ! De la même manière, les autorités islamistes ont empêché l’arrestation dans une mosquée à Tunis du djihadiste tunisien Abou Iyadh, chef du groupe Ansar Al-Charia, qui sera finalement tué en Libye. Ces multiples complicités des autorités tunisiennes vis-à-vis de la violence et du terrorisme sont répertoriées dans le livre de Moustapha El Haddad ‘‘L’embrigadement des jeunes pour le djihad : le paradoxe tunisien’’, aux éditions Arabesques.

«Si, je les nomme (le parti islamiste Ennahdha, Ndlr), il s’agit bel et bien du parti Ennahdha. Même s’ils ne sont pas directement liés à l’attentat de Rambouillet, le fait est que ces islamistes ont contribué au développement de la violence et du terrorisme en Tunisie, et surtout à son exportation au Moyen-Orient. Ils ont pactisé à une époque avec les wahhabites [tenants d’une vision ultrarigoriste de l’islam, Ndlr], des esprits totalement intégristes qu’ils ont invités en Tunisie pour prêcher des discours rétrogrades, comme la justification de l’excision des femmes.

«Bien que la Tunisie connaisse une démocratie naissante, bien qu’elle se fasse remarquer par certains exploits dans les domaines de l’art, du cinéma, du sport et même de la conquête spatiale, même si de nombreux médecins en France sont Tunisiens, il faut dénoncer certaines réalités : nous, Tunisiens, sommes victimes d’une politique de complicité vis-à-vis du terrorisme sciemment maintenue par les autorités de notre pays. Elles ont à mon sens une responsabilité dans le départ de nombreux jeunes Tunisiens embrigadés en Syrie et en Irak, dans leur adhésion à des mouvements terroristes comme Daech ou Ansar Al-Charia. Il y a un problème politique en Tunisie.

«Les islamistes d’Ennahdha sont tout d’abord les champions du double discours, en fonction de leur interlocuteur. Ils ont ainsi tout intérêt à se tenir publiquement éloignés de toute violence. Maintenant, même si leur prise de distance était réelle, le mal est déjà profond en Tunisie. La complicité que je dénonce a débuté en 2011 après la prise du pouvoir par les islamistes [qui ont remporté une majorité de sièges à l’Assemblée constituante, Ndlr]. Jusqu’ici, nous n’avons pas élucidé leur part de responsabilité dans l’assassinat des opposants tunisiens Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi en 2013. Or, d’après les renseignements dont on dispose, tout a été fait pour brouiller les pistes afin que la vérité n’éclate pas au grand jour.»

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