Cette façon qu’a le président Saïed de crier au loup, à chaque fois qu’il ouvre la bouche pour parler, nourrit des peurs chez les citoyens et refroidit toute bonne volonté, contribuant ainsi à enfoncer le pays dans la crise. S’il est à court d’idées et ne peut rien faire pour améliorer la situation, qu’il cesse au moins de faire des déclarations inutilement incendiaires et belliqueuses, qui ajoutent la crise à la crise.
Par Ridha Kéfi
Dr Lotfi Mraihi, secrétaire général de l’Union populaire républicaine (UPR), a peut-être de bonnes raisons d’être choqué par les déclarations faites par le président de la république Kaïs Saïed à la chaîne France 24 en marge de sa visite à Paris pour participer à un sommet sur le financement de la relance économique en Afrique. Nous l’avons tous été à divers degrés. Et pour cause…
On a vraiment du mal à comprendre l’entêtement du président à bouder tous les médias nationaux, y compris les médias publics, et à s’exprimer souvent dans des médias étrangers. On ne comprend pas non plus cette manie qu’il a de laver le linge sale de la politique intérieure, et Dieu sait si elle en a, dans ces médias, ce qui, on l’imagine ternit encore davantage l’image du pays et met des doutes sur ses capacités à gérer ses problèmes en interne. Si ce n’est pas là un appel aux puissances étrangères pour s’immiscer dans les affaires tunisiennes, cela lui ressemble beaucoup.
Chef d’Etat ou analyste politique ?
M. Saïed a-t-il au moins conscience de la gravité de ses dérapages ? Il ne nous en donne pas du tout l’impression puisqu’il persiste et signe et récidive avec une hargne qui en dit long sur les ressentiments et les haines qui l’animent, qui d’ailleurs apportent de l’eau au moulin de ses adversaires et les unifient contre lui.
Si le président était parti à Paris pour plaider la cause de son pays, qui traverse une grave crise financière, mobiliser les soutiens internationaux en sa faveur et, éventuellement, attirer d’éventuels investisseurs étrangers, c’est complètement raté, car le tableau qu’il a brossé de la Tunisie ne rassure guère sur sa capacité à honorer ses engagements.
D’ailleurs, on est de plus en plus convaincus que M. Saïed, tout professeur de droit constitutionnel qu’il est, ne comprend même pas son rôle de chef d’Etat, ce qui est attendu de lui, ce qu’il peut dire ou faire et ce qui lui est pour ainsi dire interdit, car il agit souvent non comme un chef d’Etat, mais comme un chroniqueur ou un analyste politique qui se contente de donner son avis sur ce qui se passe dans son pays.
En prenant cette distance, il cherche à faire accréditer l’idée qu’il n’est responsable en rien des problèmes actuels de la Tunisie. Cela est certes vrai, car ces problèmes sont la conséquence des effets cumulés de dix années de gabegie et de mauvaise gouvernance. Mais ne l’a-t-on pas élu pour aider à trouver des solutions ? Or, depuis qu’il est au Palais de Carthage, il multiplie les actes de rébellion, prenant la posture d’un irréductible opposant, s’isolant dans une logique de refus de tout et de rien.
Dans ses déclarations à France 24, M. Saïed, fidèle à son style à la fois péremptoire et imprécatoire, a réparti les Tunisiens en deux groupes, pire l’un que l’autre : les corrompus et les incompétents, et il s’est mis lui «âla raboua» (au sommet de la colline), comme on dit dans la tradition arabe, pour observer tout beau monde avec condescendance, sans se sentir concerné et sans agir ou, au moins, expliquer ce qui l’empêche de nettoyer les «écuries d’Augias» ou désigner nommément ceux qui l’empêchent de le faire.
Des déclarations inutilement incendiaires et belliqueuses
Pour justifier son inaction, M. Saïd ne pourrait sérieusement invoquer les limites des prérogatives qui sont concédées au président de la république par la Constitution de 2014, car, de l’avis de nombreux constitutionnalistes, il a toute la latitude, dans ces limites même, d’entreprendre des actions visant à assainir une situation qui ne saurait perdurer sans mettre en péril l’avenir de la nation, quitte à prendre le peuple pour témoin et… allié.
Cette façon qu’a le chef de l’Etat de crier au loup, à chaque fois qu’il ouvre la bouche pour parler, nourrit des peurs chez les citoyens et refroidit toute bonne volonté, contribuant ainsi à enfoncer le pays dans la crise. S’il est à court d’idées et ne peut rien faire pour améliorer la situation, qu’il cesse au moins de faire des déclarations inutilement incendiaires et belliqueuses, qui ajoutent la crise à la crise.
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