À ceux qui criaient : «Nous voulons du pain», Marie Antoinette, épouse de Louis XVI, avait répondu : «Donnez-leur des brioches». En Tunisie, à ceux qui crient : «Nous voulons du pain», le président de la république et une bonne partie de la classe politique et des prestigieux juristes répondent : «Donnez-leur une nouvelle constitution.» En attendant, le pays s’enfonce dans la crise un peu plus chaque jour et ses dirigeants, des démagogues incompétents et populistes, continuent de le berner, en s’accrochant comme des affamés à un pouvoir… qui ne peut plus rien.
Par Mounir Chebil *
La maladie d’un bon nombre de juristes et de prétendus hommes politiques, c’est de croire qu’on peut tout changer par un texte de loi. C’est leur fonds de commerce que de provoquer les joutes juridiques bien médiatisées pour se mettre en valeur et monnayer leur savoir de grands manitous. Si on leur disait comment cultiver de bonnes tomates, ils diraient : «Attendez que nous élaborions un texte de loi dans ce sens.»
Ils nous ont fait cette comédie en 2011. À la Tunisie en pleine tempête, ils disaient qu’il fallait une nouvelle constitution pour la faire sortir de la houle et la mener à bon port. Trois ans de palabres sur un article, un alinéa, une phrase, un mot, un point, une virgule, un point virgule et ils nous ont pondus, au forceps, une constitution.
La meilleure constitution du monde, disaient-ils sans craindre le ridicule
En cette soirée du 26 janvier 2014, au sein de l’Assemblée nationale constituante (ANC), c’étaient les youyous, les embrassades, les congratulations, le balancement des ventres, les mains en signe de victoire…, c’était comme si on assistait au soulagement du constipé. La Tunisie a enfin la meilleure constitution du monde, disaient-ils sans craindre le ridicule. Très rares sont les juristes qui ont émis quelques réserves. Les manchettes des journaux et les plateaux TV louaient cet exploit de l’intelligence tunisienne, qui n’a de pareil nulle part dans le monde.
Obama et le congrès américain ont applaudi cette constitution. Hollande a dit qu’elle était bonne pour les Tunisiens, que d’ironie en filigrane ! Même le président de la Somalie était venu nous féliciter. Il faut signaler qu’en quittant le pays, il a laissé la graine somalienne, celle de la discorde, et elle a trouvé un terrain fertile pour pousser. En couronnement, on nous a gratifiés d’un prix Nobel pour cet exploit. Et voilà ces politiciens, syndicalistes, juristes, journalistes… qui pavanaient les jambes écartées tellement ils avaient les glandes bien gonflées.
Avec les Frères musulmans d’Ennahdha au pouvoir depuis 2011, la Tunisie a été mise en faillite. Chaque année, on s’enfonce de plus en plus dans une crise économique récurrente. Aujourd’hui le pays est au bord de la banqueroute. En plus, nous vivons une crise institutionnelle qui a tout bloqué. Au marasme politique, économique, social et culturel, on nous sort que le malheur de la Tunisie a son origine dans la constitution de 2014. Même nos éminents juristes ou politiciens qui a un problème d’érection, il l’impute aujourd’hui au stress dû à cette constitution. Ceux-là mêmes qui avaient applaudi les vertus de ce texte, ceux-là mêmes qui en ont fait un texte sacré, crient, depuis un certain temps, à qui veut les entendre, que les constituants ont fait choux blanc et nous ont pondu une constitution insipide et indigeste.
La constitution de 2014 a consacré un régime parlementaire qui aurait prouvé sa déficience, selon les savants qui l’on enfantée. Il faut la remplacer par un texte qui consacrerait le régime présidentiel, seul capable de guérir le pays de tous ses maux. Pourtant, ils avaient fustigé en 2011 le présidentialisme de la constitution de 1959 l’affligeant de toutes les tares, et fait du parlementarisme la solution miracle que la Tunisie devait suivre. À force d’entendre nos éminents juristes et politiciens, les Américains avaient commencé à douter du bien-fondé de leur régime présidentiel.
À ma connaissance d’humble citoyen, ni le régime présidentiel aux Etats-Unis, ni les régimes parlementaires de par le monde, ni le régime français, ni les systèmes centralisés ou décentralisés, n’ont empêché les pays qu’ils régissent de tourner en rond. L’Angleterre a un régime parlementaire consacré par une constitution coutumière depuis des siècles et le pays ne s’en porte que trop bien. Ces pays connaissent de très graves crises gouvernementales et parlementaires, mais celles-ci finissent par être résolues dans le cadre de leurs constitutions. Ils connaissent les crises économiques et sociales des plus graves et ont n’a jamais entendu ce charlatanisme de vouloir changer la constitution pour résoudre ces crises.
Les nouvelles constitutions ne guérissent pas… les morpions
Ces crises se résolvent en opérant les ajustements nécessaires, indépendamment de l’instabilité politique qui a ses propres instruments pour être résolue. Dernièrement, Israël a vécu successivement des élections législatives anticipées et une grave crise gouvernementale, cela n’a arrêté ni la machine économique ni la machine de guerre. L’Italie a le record de l’instabilité gouvernementale, cela ne l’a pas rétrogradée dans le camp des pays pauvres. Donc, la question réside non dans les constitutions mais dans les hommes qui dirigent ces pays et la maturité des citoyens. Nous, on veut guérir les morpions qui collent aux culs par de nouvelles constitutions.
Ceux qui veulent changer la constitution, le gouvernement, les ministres… peuvent-il nous dire comment vont-ils résoudre la crise économique, comment vont-ils combler le déficit du budget, comment vont-ils résoudre la crise sanitaire et les agitations sociales, comment vont-ils endiguer la pauvreté, comment vont-ils convaincre les 21 000 agents de la CPG de la nécessité de travailler, comment vont-ils faire avec les voyous qui bloquent la production et l’acheminement du phosphate, comment comptent-ils mater les bandits empêchant l’accès aux champs pétroliers et gaziers, comment arrêter le blocage des routes, comment s’opposer aux site-ineurs de tous acabits, comment stopper les grèves anarchiques et les sabotages de tous genres ? Et le plus important, vont-ils réellement lutter contre le terrorisme qui s’est même incrusté dans les institutions de l’Etat ? Nous voulons bien savoir leurs projets de restructuration des entreprises publiques qui tournent à vide et qui grouillent de bras cassés ? Que vont-ils faire avec les contrebandiers, les spéculateurs, les corrompus et les mafieux de tous genres ? Comment vont-ils parer au régionalisme, au clanisme et au corporatisme ravageur. Qu’ils exposent leurs politiques en matière d’infrastructure, de santé, d’enseignement, d’emploi et tout et tout !
Au-delà de leur démagogie populiste, ces amateurs qui jouent à vouloir tout changer ont-ils un projet de constitution à nous mettre sous la dent ? Ont-ils un chef de gouvernement consensuel ? Ont-ils des personnes qui savent gouverner ? Non ils n’en ont pas, ils l’ont prouvé depuis 10 ans. Depuis 10 ans toute la classe politique actuelle sans exception aucune, Ennahdha en tête, est responsable de l’état lamentable du pays. Dans leurs luttes effrénées pour le positionnement sur l’échiquier politique, tous ont usé du populisme le plus abject pour provoquer la déchéance et la faillite de l’Etat. Quelle sortie de crise peuvent-ils proposer quand ils sont le cancer même qui ronge ce pays ?
Ces charlatans qui veulent cacher leur incompétence et leur échec, par l’appel à changer constitutions et gouvernements comme on change de chemises, font partie de cette petite bourgeoisie parasitaire à col blanc. Ils ont leur confort. Ils ont leurs bailleurs de fonds. Ils peuvent passer tout leur temps à palabrer car, le baratin est leur gagne-pain. Mais entre-temps, le pays peut-il supporter plus de gabegie et le pauvre peuple peut-il continuer de vivre de misère et d’eau plate ?
En Tunisie, les hautes compétences existent dans tous les domaines, mais même les meilleurs économistes, financiers, sociologues et ministres du monde ne peuvent rien faire pour ce pays gangrené par l’anarchie et l’insubordination à tous les niveaux et la déliquescence de l’Etat.
Non, à la Tunisie de tous les maux, il ne faut pas une nouvelle constitution, mais des personnes capables de siffler la fin de la récréation et de mettre les égarés dans les rangs. Il faut des hommes patriotes, compétents et imbus du sens de l’Etat et qui ont du cran et le sens de l’autorité surtout. Les hommes de l’indépendance ont pacifié le pays et commencé l’œuvre sociétale ainsi que l’œuvre de développement, des années bien avant la promulgation de la constitution de 1959.
* Ancien haut cadre de l’administration.
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