La bataille pour la réforme de l’université n’est pas livrée contre les étudiants. Elle doit être menée avec eux, contre tout ce qui tronque leur formation.
Par Olfa Abrougui *
L’enseignement supérieur est en crise. Ce n’est plus un secret pour personne. Dire le contraire, ce serait du déni, se leurrer et leurrer les autres, en continuant à pérenniser, consciemment ou inconsciemment, la médiocrité.
Cette crise a été relancée ces derniers temps par la décision de supprimer le tirage au sort des épreuves de littérature. Triste décision qui ne fera que rendre la crise encore plus aiguë.
En finir avec la complaisance
À nos étudiants nous souhaiterions dire ceci : nous ne sommes pas vos ennemis. Il faudrait nous accorder votre confiance pour vous mener à bon port. Il faudrait nous écouter comme nous avons autrefois écouté nos professeurs. Nous avons été sur les mêmes bancs que vous. Nous avons travaillé durement, nous nous sommes inquiétés aussi, un peu, beaucoup même, durant nos révisions, craignant de ne rien retenir et de tout oublier le jour de l’épreuve. Cette hantise que tout s’évapore était terrible; finalement, rien ne s’est évaporé, ni le jour de l’examen, ni même après. Nous estimons avoir gardé l’essentiel, cet essentiel est «la substantifique moelle» – comme dirait le grand Rabelais – qui a fait de nous les enseignants d’aujourd’hui.
Il nous est même arrivé de qualifier d’«inhumaines» les épreuves que nos professeurs nous imposaient. Comme cette «inhumanité» en valait la peine! Plus tard, nous avons compris que cela correspondait au meilleur de ce que nos enseignants cherchaient à tirer de nous : nous devions aller au bout de nous-mêmes; en somme, exceller.
Quant à la solution à la crise générale dont pâtit l’enseignement du supérieur, il faudrait que nous – enseignants universitaires de toutes les institutions – nous nous retrouvions autour d’une table, que nous discutions et que nous nous concertions, en posant les vrais problèmes, qui rongent l’enseignement supérieur, en cherchant à les résoudre. Il faudrait que nous nous écoutions, que nous tenions compte concrètement des propositions et des suggestions des uns et des autres; le temps n’étant plus à l’improvisation, à l’arbitraire et surtout pas à la complaisance.
Mettre la barre plus haut
Notre point de mire est – et sera – uniquement : l’étudiant, la formation, le mérite ! Mais cela ne pourra certainement pas se faire par un nivellement par le bas. Le mérite, c’est d’être à même de s’adresser à ses propres élèves ou étudiants, plus tard, avec assurance, en ayant de la compétence.
Nous devrions avoir du courage et de l’humilité, beaucoup d’humilité pour remettre en question nos programmes et nos méthodes de travail. Tout fluctue, tout change, c’est le principe même de toute dynamique, mais le changement doit être fondé : il doit être le résultat d’une concertation.
Certes, les temps ont changé, nous devons négocier avec nos étudiants, non pas en cédant à toutes leurs revendications, car ce serait non seulement leur donner raison – alors qu’ils peuvent avoir tort – mais aussi les infantiliser, puisque nous ne ferons que satisfaire leurs caprices. Nos étudiants sont capables d’intelligence, de lucidité et d’autonomie.
C’est pourquoi nous devons mettre la barre plus haut. À eux de s’y accrocher, de s’y agripper; ils y parviendront, comme ce fut le cas pour nous. Ils auront notre soutien, notre disponibilité, mais point notre disposition à les considérer comme des incapables.
Nos étudiants sont dans l’ici et maintenant. Leur discours campe autour de la note : réussir, «peu importe comment, mais réussir». Nous ne pouvons les blâmer. Nous les comprenons. Ils ne connaissent pas les enjeux, nous, si.
Nous nous sentons parfois rebutés, abattus face à la médiocrité qui sévit. Nous sommes même enclins à abandonner. Mais la spirale de la médiocrité est telle que nous sommes à chaque fois renvoyés à notre responsabilité. Dès lors, il faudrait faire de la résistance. Enseigner est désormais résister, oui résister à la médiocrité qui nous guette partout, résister aux pressions les plus fortes, résister à la tentation de se résigner à ce «il n’y a plus rien à faire».
Car il y a toujours quelque chose à faire.
Ne pas céder à l’incohérence
Reconnaissons-le, nous vivons une drôle d’époque; ce moment «post-révolution» étant assez délicat. Tous les jours, nous sommes confrontés aux revendications les plus incohérentes. Mais nous, enseignants universitaires, parce que nous nous voulons comme tels, pédagogiquement et scientifiquement crédibles, nous ne devons pas céder à l’incohérence. Il y va de notre crédibilité et de la légitimité des diplômes que nous délivrons.
Toujours est-il que nous restons disposés à accueillir ces revendications – si insensées soient-elles. Soyons disposés à discuter avec nos étudiants, quel que soit le temps que cela prendra. Enseigner n’est-il pas faire preuve de patience? Quoi qu’il en soit, ne jamais perdre le nord, être conscient de tous les enjeux et surtout des répercussions qui en découlent car elles toucheront plusieurs générations. Nos étudiants sont les enseignants de demain. Quel savoir vont-ils transmettre, dès lors que parler dans une langue correcte n’est pas acquis ?
Un étudiant est une promesse d’avenir, une aspiration à entretenir, cessons de lui imposer des institutions qu’il n’a pas choisies; un étudiant doit être là où il devrait être, il y a va de son épanouissement personnel et de son insertion plus tard dans le marché du travail. Donnons-nous aussi les moyens de lui expliquer que l’université n’est pas la seule garante de son avenir. La formation professionnelle existe. Promouvons-la, valorisons-la.
Au final, la bataille que nous livrons n’est pas contre nos étudiants; elle est à mener avec eux, main dans la main contre tout ce qui tronque leur formation. C’est une belle bataille que celle de résister à la médiocrité, n’est-ce pas? Très belle bataille, digne de toute institution se réclamant de l’Enseignement supérieur. Alors, bataillons tous pour que le Supérieur retrouve son aura d’antan.
On nous qualifiera d’«idéalistes», si cela désigne le fait de croire en notre métier, alors, oui nous le sommes.
* Université de Tunis.
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