Rached Ghannouchi piégé par sa folie des grandeurs.
Les dirigeants du parti Ennahdha, et à leur tête leur gourou Rached Ghannouchi, ignorent-ils que l’humanité, depuis les anciens grecs, a «pensé» la réalité et la vérité comme le fondement de la raison (ou «âql» chez les philosophes arabes)? Ayant longtemps cru pouvoir noyer la vérité sous des tonnes de mensonges, ils ont fini par être rattrapés par la réalité et balayés par le cours irréversible de l’Histoire, et comment ?
Par Dhaou Ben Tahar **
Le président d’Ennahdha Rached Ghannouchi est arrivé en 2011 à l’aéroport de Tunis-Carthage avec comme seul programme politique la chariâ. Clairement, il débarquait avec son prosélytisme («tabligh») et son messianisme («tabchir») pour reconvertir un peuple de mécréants, d’apostats et d’infidéles fourvoyés par le bourguibisme.
Dans sa première intervention télévisée dans l’émission «Chahed wa chawahd», il n’osait pas dire que Habib Bourguiba était athée, mais il glisse insidieusement qu’«il n’était pas croyant» («mouch moumen»), ce qui dans l’esprit d’un fondamentaliste religieux comme lui avait le sens d’une condamnation à mort.
M. Ghannouchi, ce jour là, vous avez gagné votre titre d’émir de droit divin pour charger «la conscience des autres»… Quelle tartufferie !
Votre ami Habib Ellouze déclarait le jour de l’inauguration de la première session de la Constituante à la télévision Al-Watania : «Nous étions élus pour l’application de la chariâ». On ne pouvait être plus clair.
D’une trahison l’autre
Dès les premiers jours, après votre arrivée, vous avez pris contact discrètement avec les responsables régionaux du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD, ancien parti au pouvoir sous la dictature) pour apaiser leur inquiétude et, surtout, les recruter.
Première trahison : celle de tous ceux qui vous avaient défendus ainsi que vos amis incarcérés dans les prisons de Ben Ali pendant des dizaines d’années. Plus que ça, vous les avez traités de «laïcards» («âlmaniyin»), de vendus à la France , et d’apostats.
L’histoire écrira un jour que c’est un «laïcard» et un francophile qui vous a sauvé politiquement après les assassinats des leaders de gauche Chokri Belaid et Mohamed Brahmi: votre sauveur s’appelait Béji Caïd Essebsi, fondateur de Nidaa Tounes, qui, aussitôt arrivés en tête des élections, lui et son parti, en 2014, a accepté de constituer une coalition gouvernementale avec votre parti, lui remettant ainsi le pied à l’étrier. Les historiens ajouteraient un jour – peut-être – que c’était une méprise ou une grave erreur.
Le rêve insensé du sixième califat
Vous avez lâché vos milices violentes des Ligues pour la protection de la révolution (LPR) et Ansar Al-Chariâ contre l’UGTT, contre «les gauchistes», les «athées»… Et cerise – plutôt poison – sur le gâteau, votre meilleur ami, Hamadi Jebali, devenu chef de gouvernement provisoire, en janvier 2012, faisait part publiquement de sa volonté d’instaurer le sixième califat.
Avez-vous oublié ce que vous avez dit au leader d’Ansar Chariâ, Abou Iyadh : «L’armée et les forces de sécurité ne sont garantis pour nous» ? Avez-vous oublié que des membres fondateurs de votre parti et leur progéniture étaient au premier rang dans le meeting d’Ansar Chariâ à Kairouan pour acter l’appel au jihad armé contre l’Etat surnommé «taghout».
Quand les médias européens avaient révélé les camps d’entraînement des terroristes dans les montagnes du nord-ouest de la Tunisie, à la frontière de l’Algérie, vous avez préféré parler de «jeunes sportifs qui cherchent à perdre du poids».
Et vos manipulations pour effrayer certains opposants politiques, comme celle de la liste des personnalités susceptibles d’être assassinées par vos amis, fuitée par un journaliste, après les assassinats de Belaid et Brahmi?
Une démocratie de façade au service d’un projet foncièrement violent
Savez-vous que le ministre de l’Intérieur islamiste, Ali Larayedh, a armé une milice pour tirer à la chevrotine sur les manifestants à Siliana ? Et vous avez le culot de venir aujourd’hui «discourir» sur votre prétendue esprit démocratique. Arrêtez de prendre les citoyens pour des «raâyas», des sujets du calife que vous n’êtes pas !
Vous voyagez souvent en Falcone à 45.000 dinars le voyage. Certains de vos proches amis possèdent des belles maisons à 1 million de dinars, on ne compte plus les séjours et les colloques dans les hôtels 5***** et les limousines dans les parkings. Votre premier iftar (rupture du jeûne), en Tunisie, avec vos invités, dans un superbe hôtel à Gammarth, avait coûté 20.000 dinars. Oui, l’émir Ghannouchi, les photos de ce dîner avaient déjà annoncé la couleur de votre appétit pour «les choses d’ici bas», en attendant les délices du paradis.
Le peuple, de visu, est au courant de toute votre richesse. D’ailleurs, vous et vos amis, vous n’êtes même pas discrets, c’est vrai que le goût de l’ostentation est cher à de nombreux Tunisiens.
En vous écoutant parler durant une quarantaine d’années, je n’ai jamais senti l’once d’une posture culturelle dans votre verbiage. Votre vocabulaire se limite à une centaine de phrases que vous répétez inlassablement.
Certes l’islam est une religion, mais c’est aussi une civilisation, multiculturelle, qui avec l’apport des Perses, des Romains, des Byzantins et des descendants des Pharaons avaient rayonné sur le monde avec Avicenne, Al-Kindi, Al-Farabi, Ibn Rochd…, étudiés dans les meilleures universités européennes et américaines. Sans les Mutatazilites, il n’y aurait pas eu St François d’ Assises, refondateur du catholicisme. Toutes les encyclopédies sont unanimes, le premier texte sur la laïcité a été écrit par Averroes.
Depuis 1000 ans, la Zitouna avait été une université rayonnante sur tout le Maghreb et le Machreq. A partir de 2012, vous aviez voulu en faire un «koutab», une medersa d’intégristes avec la pédagogie consistant à apprendre sans comprendre. Heureusement que ses professeurs avaient bien résisté à votre démagogie.
Depuis les Hafsides, des communautés venues des Cités-Etats de Gènes, de Venise, de Lombardie, ainsi que des Marseillais et des Catalans vivaient à Tunis, ils représentaient avec les autochtones de confession juive 20% de la population tunisoise.
Monsieur Ghannouchi, lisez l’histoire de votre cher pays pour découvrir que les derniers évêchés et églises n’avaient disparu de Tunis, de Kairouan et de Gafsa qu’au XIIe siècle.
Cette terre est celle de la tolérance et de mansuétude et non point celle du dogmatisme idéologique.
Non, M. Ghannouchi, vous n’êtes pas dans l’islam des lumières, vous êtes dans un islamisme politique animé par des novices dont la majorité se nourrissent d’idées archaïques et anachroniques.
Une élection douteuse obtenu par l’argent de la corruption
Enfin, comment le chef du premier parti politique peut-il dîner avec des miliciens de l’ancien RCD reconvertis en révolutionnaires et dont les seuls moyens de communication sont l’insulte grossière et les coups de poings ? Est-ce que votre ADN politique a eu, toujours, des signaux borderline? Arrêtez vos discours d’«istiblah», que je te traduirait volontairement par «charlatanisme politique».
Quel premier parti politique du pays quand les résultats révèlent que, certes vous gagnez des élections avec un taux de participation de 35% pour les municipales : 517 000 voix sur 5.300 000 inscrits , ce n’est même le 1/10e.
Pour les législatives, vous n’avez pas atteint la barre symbolique des 20%, 560 000 sur 7 000 000 d’inscrits, ce n’est même pas 10% des inscrits.
Nous n’oublions jamais votre déclaration de 2013 : «La majorité des salafistes sont porteurs d’une nouvelle culture et ne sont pas une menace pour la sécurité du pays». On a eu largement le temps de le vérifier avec les dizaines d’attentats et d’assassinats commis par ces têtes brûlées, bras violent d’un islam qui se dit démocrate.
«La Tunisie est une bouchée qui de vous étoufferra», vous disait Om Ziyad en 2012
Il y a trois ans, vous en remettez une couche dans le journal Al Qods Al Arabi en affirmant que «Daech, c’est l’islam en colère», croyant ainsi pouvoir vendre votre islam soi-disant apaisé…
Manipulation, diabolisation de vos adversaires, infiltration à la bolchevique et stratégie de l’esquive n’ont jamais fait pas partie d’un bon dictionnaire politique. Dans la vie publique, la vertu et l’éthique sont les piliers de la réussite. Alors, posez-vous cette question: en ce moment, est-ce que c’est vous ou le peuple qui a raison?
Kais Saied a agi en recourant à l’article 80 de la Constitution, et ce à la demande iTunisiens. Vous devriez regretter de ne pas avoir bien compris la lettre ouverte que Oum Ziad vous a adressée, en 2012. Aujourd’hui cette lettre est «votre actualité». Elle écrivait que «la Tunisie est une bouchée qui risquerait de vous étouffer». C’est déjà fait…
«La politique est le premier des arts et le dernier des métiers», disait Voltaire. Vous avez choisi d’en faire un métier avec une ambition et une soif démesurées de pouvoir, qui vous ont sûrement empêché d’appréhender la vérité et la réalité dans lesquelles vivent les Tunisiens depuis 2011.
* Retraité.
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