Dans son entretien téléphonique hier, samedi 2 octobre 2021, avec son homologue français, Emmanuel Macron, le président de la république Kaïs Saïed aurait parlé d’un projet de «dialogue national» qui serait bientôt lancé en Tunisie dans le cadre du «processus institutionnel» inauguré par l’annonce des «mesures exceptionnelles», le 25 juillet dernier. Ce dialogue, dont il avait longtemps écarté l’idée, aura-t-il finalement lieu et qui en seront les principaux acteurs?
Par Imed Bahri
Le plus grand problème avec le président de la république Kaïs Saïed ce sont ses cachotteries ou pour dire les choses en termes plus lisses, les carences de sa politique de communication, qui d’ailleurs le desservent beaucoup et donnent du grain à moudre à ses adversaires. Encore faut-il qu’il en soit conscient, or il n’en donne pas l’impression.
On pourra toujours déplorer le fait que, près de deux ans après son investiture, le chef de l’État n’ait pas encore jugé utile voire nécessaire de doter la présidence de la république sinon d’un porte-parole pour porter la voix présidentielle et dissiper les éventuels confusions et malentendus que pourraient susciter ses déclarations ou ses silences, et Dieu sait que ces derniers sont souvent assourdissants, du moins d’un service de communication digne de ce nom, c’est-à-dire disponible, réactif, proactif s’il le faut et qui maintienne des relations minimales avec les médias, locaux et étrangers.
Le problème n’est cependant pas là et on ne pourrait le solutionner par de simples réglages pour ainsi techniques, en nommant un porte-parole ou en réformant le service de communication en place au palais de Carthage. Car le problème réside, en réalité, dans le tempérament de M. Saïed, sa personnalité revêche, sa rigidité doctrinale et cette manière qu’il a de considérer que les affaires de la présidence de la république sont «ses» affaires propres (et non celles de tout un pays et de douze millions de ses concitoyens) et que même les journalistes n’ont pas à y fourrer leur nez.
Une communication insuffisante, partielle et tronquée
M. Saïed a du mal à admettre, également, que les Tunisiens ne sont pas de simples sujets qui doivent subir ses décisions et y applaudir à tout rompre le cas échéant, mais des administrés et des électeurs, qui sont légalement ses égaux et, de ce fait, en droit, en tant que citoyens d’une république, de lui demander sinon des comptes du moins des explications de ses faits et gestes, car ces faits et ces gestes les engagent aussi et engagent leur avenir et celui de leurs enfants.
Cette longue réflexion nous a été inspirée par les carences que nous ne cessons de relever dans la communication présidentielle : trop insuffisante, trop partielle et trop orientée pour être un tant soit peu crédible. Non seulement le palais de Carthage refuse de communiquer avec les médias nationaux et M. Saïed ne donne des entretiens, assez rarement du reste, qu’aux médias étrangers (allez comprendre pourquoi!), mais on est souvent obligés d’aller chercher l’information juste et complète sur le contenu de ses entretiens avec les responsables étrangers dans les sources extérieures, la présidence de la république en donnant souvent sur son site web une version tronquée, ne rapportant que ce que M. Saïed a bien voulu retenir de ses entretiens ou ce qu’il croit devoir en transmettre aux Tunisiens, comme si ces derniers étaient des mineurs dont on doit ménager l’intelligence et la sensibilité.
Ainsi, de l’entretien téléphonique de M. Saïed avec son homologue français Emmanuel Macron, hier, samedi 2 octobre 2021, le palais de Carthage a retenu qu’il a porté sur «la coopération entre la Tunisie et la France dans les divers domaines et les préparatifs du XVIIIe Sommet de la Francophonie, prévu en novembre prochain à Djerba».
Carthage rapporte aussi que M. Saïed a «regretté la décision de Paris de baisser le nombre de visas délivrés aux Tunisiens» et que M. Macron «a affirmé que cette mesure est susceptible d’être révisée.»
S’agissant de la question de la migration irrégulière, le président Saïed a indiqué que ce dossier «ne peut être traité que sur la base d’une nouvelle approche», assurant que Tunis se penchera dessus après la formation du gouvernement.
Le président Saïed s’est d’autre part félicité de la nette amélioration de la situation sanitaire en Tunisie, une amélioration réalisée selon lui «grâce aux efforts entrepris au niveau international et à l’appui des pays frères et amis qui a permis d’endiguer la propagation de la pandémie de Covid-19».
Un dialogue national avec qui et pour quoi faire ?
La version donnée par l’Élysée de l’entretien entre les chefs d’État tunisien et français est – et pas que légèrement – différent et il semble même plus juste et plus complet que celle diffusée par Carthage. Lors de cet entretien, M. Macron a indiqué qu’il «suivait avec la plus grande attention la situation politique, économique, sociale et sanitaire de la Tunisie», tout en rappelant «son souhait que la Tunisie soit en mesure de répondre rapidement à l’ensemble des défis auxquels elle était confrontée», et affirmant que la France se tient aux côtés du peuple tunisien et qu’elle poursuivra son appui à la Tunisie.
Toujours selon le communiqué de l’Élysée, le président français a évoqué «le calendrier institutionnel attendu par la population tunisienne et la communauté internationale» et a exprimé son attachement à la mise en place d’un «dialogue, associant les différentes composantes de la population tunisienne, sur les réformes institutionnelles envisagées».
De son côté, le président tunisien a indiqué que «le gouvernement serait formé dans les prochains jours et qu’un dialogue national serait lancé dans la foulée. Il a rappelé son attachement à l’État de droit», ajoute le communiqué de l’Élysée.
Outre qu’aucun mot n’a été dit par l’Elysée sur les «regrets» du président Saïed «quant à la réduction du nombre de visas accordés aux Tunisiens» ni du fait que le président Macron ait affirmé que «cette mesure est sujette à révision», ce qui nous interpelle le plus c’est le silence du palais de Carthage sur le «dialogue national sur les réformes institutionnelles envisagées»» qui serait lancé après la formation du gouvernement et qui devrait associer «les différentes composantes de la population tunisienne».
Pourquoi ce silence de Carthage ? Et que doit-on en comprendre ? Que l’idée de ce dialogue a été «soufflée» par M. Macron et retenue, à contre-cœur, par M. Saïed, qui, n’en étant pas vraiment convaincu, l’a très vite oubliée ? Doit-on considérer que cette promesse de «dialogue» n’engage que ceux qui y croient et que ce «dialogue», dont l’idée a été vaguement évoquée dans un entretien téléphonique, n’aura jamais lieu et que le calendrier de M. Saïed contient d’autres urgences ? Sinon pourquoi le président en discute avec ses interlocuteurs étrangers et ne croit pas devoir en parler aux premiers concernés, les Tunisiens, qui ne cessent pourtant d’appeler à sa tenue ? Selon les termes du communiqué élyséen, ce «dialogue» devrait associer «les différentes composantes de la population tunisienne». Est-ce à dire que les partis et les organisations nationales n’y seront pas associés, puisque la formulation choisie les évacue totalement ? Si c’est le cas, qui va représenter «les différentes composantes de la population tunisienne» ?
Comme on le voit, il y a à ce sujet qui engage l’avenir de douze millions de Tunisiens trop de non-dits et d’ambiguïtés que la présidence de la république serait bien inspirée de clarifier pour dissiper les malentendus et les confusions qui pourraient en naître et empoisonner la vie de la nation, laquelle a déjà fort à faire avec la crise économique et sociale et les graves difficultés de ses finances publiques.
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