Né en 1907, à Vologda, dans le grand nord de la Russie, dans une famille orthodoxe. Très tôt, le poète, journaliste et essayiste, Varlam Chalamov entre en dissidence contre Staline. Pour cela, il connaîtra la prison, l’exil, le goulag et il passera presque vingt ans dans les camps, entre 1929 à 1956, date à laquelle il rejoint Moscou.
Probablement, sa voix fut couverte par celle de Soljenitsyne, dont il a contesté parfois les témoignages et leur exactitude. Il fut victime de l’impossibilité de conserver ses récits et ses poèmes, comme il l’écrit : «Beaucoup de ce qui fut écrit, une centaine de poèmes, a disparu à jamais. En 1949, travaillant comme aide-médecin dans un camp, je me trouvai en mission forestière et pendant tout mon temps libre, j’écrivais sur les revers et les pages de garde de pharmacopées, sur des feuilles de papier d’emballage, sur des sachets.»
A son retour, il continue à écrire et publier. Il décède en 1982, dans de pénibles et dramatiques conditions physiques et psychiques.
Sa poésie reste celle d’une grande voix russe, profonde et sereine, habitée par la souffrance humaine, la résilience et la célébration de la vie, notamment, dans ses poèmes, publiés entre 1957 et 1976. Parmi ses œuvres traduites en français : Correspondance avec Boris Pasternak, 1991; Correspondance avec Alexandre Soljenitsyne et Nadeja Mandelstam, 1995; Les récits de la Kolyma, 2003; Cahiers de la Kolyma et autres poèmes, 1991, 2016.
Tahar Bekri
Pour Boris Pasternak
Dans un passé encore récent,
Le soleil réchauffant les pierres,
La terre brûlait mes pieds
Nus tout couverts de poussière.
Et je gémissais sous les tenailles du froid
Qui m’avaient arraché ongles et chair,
Je brisais mes larmes avec la main,
Non, ce n’était pas un rêve.
Là-bas dans des comparaisons banales
Je cherchais la raison des coups,
Là-bas le jour même était supplice
Et arrangement avec l’enfer.
J’écrasai sous mes mains terrifiées
Mes tempes blanchies et en sueur,
Et ma chemise salée
Se cassait fort bien en morceaux.
Je mangeais comme une bête, rugissant après la nourriture,
Ce m’était merveille des merveilles
Qu’une simple feuille de papier à écrire
Tombée des cieux dans notre triste forêt.
Je buvais comme une bête, lapant l’eau,
Je trempais mes lèvres enflées,
Ne vivais au mois ni à l’année
Et prenais mon parti des heures.
Chaque soir dans la surprise
De me savoir vivant,
Je me disais des poèmes,
J’entendais à nouveau ta voix.
Je les chuchotais comme des prières,
Les vénérais comme une eau vivante
Et dans cette lutte gardais leur image
Et leur fil conducteur.
Ils étaient ce lien unique
Avec l’autre vie, là-bas
Où le monde nous étouffe sous son ordure,
Où la mort se déplace sur nos talons… *
* Publié avec l’aimable autorisation du traducteur du russe, Christian Mouze. Extrait de «Cahiers de la Kolyma et autres poèmes», éd. Maurice Nadeau, 2016.
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