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Tunisie : L’heure de la vérité a sonné pour la consultation «populiste» de Kaïs Saïed

Big Brother rate son coup.

La plaisanterie de la «consultation populaire» dure depuis plus de deux mois. Le «peuple [qui] veut» continue de la qualifier de pilier de l’instauration, dans les faits, d’un exemple inédit de démocratie participative. Cherchez dans tous les coins et les recoins de la planète Terre, vous ne trouverez rien de semblable, répètent les prêcheurs de la bonne parole de Kaïs Saïed. A présent, l’heure de vérité a sonné pour cette supercherie et ses auteurs devront rendre des comptes…

Par Moncef Dhambri *

Nous en sommes au J-3 ou -2 de la clôture de la «consultation populaire numérique», démarrée le 1er janvier 2022, suspendue pour deux semaines, puis redémarrée à nouveau. C’est donc là le terminus, la fin de l’épreuve et, donc, c’est la minute du ramassage des copies d’examen. C’est la fin de la première partie du grand roman de la «république saïedienne» qui est en passe de devenir un royaume ubuesque. Le locataire du Palais de Carthage en a prévues trois. En attendant celles du 25 juillet (le référendum) et du 17 décembre (les législatives anticipées) prochains, il y a ce passage à la caisse obligatoire.

Le «peut» versus le «veut»

D’après la feuille de route –terme que notre président de la république exècre– de cette refonte du système politique tunisien, il y a, à présent, reddition de comptes et peut-être même le recall (la révocation), auquel M. Saïed aime à se référer.

Devant Dieu, l’Histoire et les Tunisiens, notre tout-puissant chef de l’Etat devra reconnaître que sa tentative de mobiliser à fond son «peuple [qui] veut» a échoué, qu’il doit donc revoir sa copie et expliquer comment –et de quel droit, lui l’intègre et l’honnête constitutionnaliste– a-t-il dilapidé les deniers publics dans une opération aussi foireuse.

C’est lui, et lui seul, qui a conçu ce jeu, qu’il en a défini les règles, qu’il a gardé tout le monde à distance et qu’il a pipé les dés comme il l’a souhaité. «Game Over, Mister President !».

Vous l’avez voulu, eh bien là, vous l’avez… Vous avez voulu jouer votre partition en solo, vous, l’homme honnête et intègre, devriez admettre que les choses ne se sont pas déroulées comme vous le souhaitiez ou comme le «peuple [qui] veut» vous a laissé croire, un certain 25 juillet 2021.

La politique, la haute politique, celle qui décide du sort de 12 millions de Tunisiens, celle qui décide de la construction de la IIIe République de Tunisie, c’est l’art et la science du «peut» et non pas du «veut». C’est un savoir-faire vaste qui dépasse de loin, de très loin, le simple fait d’être capable de tordre le cou à un article –en l’occurrence, l’article 80 de la Constitution de 2014– pour embarquer tout notre pays dans une aventure aussi risquée que la réalisation du rêve d’un lycéen ou d’un étudiant de la fac’ de droit…

Les Saïed boys and girls n’en démordent pas

Venons-en aux faits têtus et indiscutables, c’est-à-dire les chiffres qu’affiche la plateforme de la consultation, conçue par les soins de la présidence de la république. A l’heure où nous rédigeons cette phrase de notre tribune, la page d’accueil d’e-istichara indique qu’un total de 445.585 citoyens tunisiens ont fait le libre choix de participer à la consultation numérique : 311.775, pour les hommes, et 133.811, pour les femmes.

Ne pinaillons pas trop et prenons les choses telles qu’e-istichara nous les montre. Analysons le niveau de participation à cette consultation, en procédant à une comparaison de ses chiffres avec les nombres des citoyens tunisiens éligibles à la participation et des électeurs qui ont accordé leurs voix à Kaïs Saïed, au second tour de la présidentielle du 13 octobre 2019.

Désolé pour les Saïed boys and girls, désolé pour Ridha Chiheb Mekki, dit Lénine, pour Ridha Charfeddine, Nasreddine Nsibi, Kamel Deguiche, pour le candide chroniqueur d’Attessia Riadh Jrad et autres zélés de l’e-istichara. Toute leur entreprise a été un véritable flop. Ils n’en rougiront pas, on le sait, mais faisons parler l’arithmétique.

Le nombre de participants (445.585) à l’e-istichara représente 16% du nombre des électeurs (2.777.931) qui ont voté Kaïs Saïed, le 13 octobre 2019. Ces 455.585 représentent 5% de tous les Tunisiens –8,2 ou 8,4 millions, peu importe– auxquels s’adresse la consultation dite «populaire».

Je prends le pari qu’un nouveau clip de Balti ou de tout autre rappeur tunisien réalisera un bien meilleur score –et en deux ou trois jours de sa sortie !

Le plébiscite recherché tourne au camouflet

Donc, il est facile de constater que cette consultation n’avait de «populaire» que le qualificatif que le Chevalier d’El-Mnihla a voulu lui donner. Moins d’un Tunisien sur 5, en comparaison avec le soutien obtenu par Kaïs Saïed, lors de son élection à la présidentielle de 2019. Et un Tunisien sur 20 de ceux autorisés par la loi de participer à la consultation. L’échec est total, reconnaissons-le. Le plébiscite recherché tourne donc au camouflet.

Que Kaïs Saïed et ses groupies fassent amende honorable, qu’ils fassent preuve d’humilité et de fair-play. Qu’ils admettent d’avoir dilapidé notre argent, nous autres pauvres contribuables, et de nous avoir fait perdre notre temps –c’est du temps de 12 millions de citoyens tunisiens qu’il s’est agi.

Permettez-moi, chers lecteurs, cette boutade de quat’ sous : la montagne du «peuple [qui] veut» a accouché d’une fourmi –c’est plus petit qu’une souris !

Ces derniers jours, nous entendons de plus en plus dire, dans les cafés, chez l’épicier, dans la rue, dans le quartier, partout et chaque fois qu’il y a un échange sur cette question de l’e-istichara : «Rendez-moi mon panier, je n’ai plus besoin de raisin !» (A3tini 9artalti ma 7achti b’3neb !).

Les Saïediens ne l’entendront jamais de cette oreille. Pour eux, tout est une affaire de sabotage ourdi par les forces du mal, les  réactionnaires, le contre-révolutionnaires, les Jawhar Ben Mbarek et leurs «Citoyens contre le coup d’Etat», les Ahmed Chebbi, Al-Joumhouri, Attayar, Ennahdha, tous… Ils sont très nombreux !

Tous ceux et toutes celles auxquels les 25 juillet et 22 septembre 2021 «n’ont pas plu» se sont ligués contre le grand projet du Chevalier d’El-Mnihla, accusent les partisans du locataire du «Château de Carthage».

Il est fort à craindre qu’en plus d’avoir concocté comme ils l’entendaient leur e-istichara à la gomme, Kaïs Saïed et son «peuple [qui] veut» ne soient mauvais perdants. Alors, les masques tomberont et –à Dieu ne plaise !– la confusion cèdera la place au chaos… et la Tunisie y perdra –encore plus que ce qu’elle n’a déjà perdu. Car, face aux urgences auxquelles fait face le pays sur les plans économique et social, avec la crise carabinée à laquelle il peine à trouver des solutions, tout cela apparaît au final comme une inacceptable perte de temps. L’enfer, on le sait, est pavé de bonnes intentions…

* Universitaire à la retraite et journaliste.

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