Dans ‘‘Fenêtre sur…’’ **, dernière pièce de théâtre de Raja Ben Ammar, le «moi» de l’individu tangue sous le poids du «surmoi» collectif.
Par Ezzedine Ferjani *
Cette pièce de deux heures, qui a ouvert, samedi, le 52e Festival international de Hammamet, aurait pu avoir plus d’un titre : ‘‘Errance’’, ‘‘Schizo’’, ‘‘Danse avec la solitude’’ ou encore ‘‘Folie ordinaire’’, car il s’agit de tout cela et beaucoup plus à la fois.
Le ton est grave. Pas un rire du public durant tout ce spectacle poignant, qui vous prend à la gorge et vous secoue. La multitude des tableaux (en cages) est cimenté par la solitude dans la promiscuité et l’individualisation du drame collectif au quotidien; tableaux brossés à partir de personnages ordinaires mais combien beaux dans leurs nudité, magnifiques car profonds, vrais, sincères…
Le corps bouge, s’exprime, se libère du tabou et du correct. L’âme, elle, souffre, peine, est en désarroi.
Tunisie martyre de la post révolution : une révolution qui tourne mal, prise en otage par tous les maux, intrinsèques ou conjoncturels, par les égoïsmes assassins, le bien prenant le visage hideux du mal, du mensonge, de l’hypocrisie, du populisme et son discours creux, du machiavélisme, de l’utopie et de l’arrogance…
Diagnostic terrible !!Où en sommes-nous ? Et l’avenir ? Tellement incertain, brumeux, menaçant…
Qu’avons-nous fait du rêve? Des espoirs? Des ambitions? Des cris du peuple? Anéanti tout cela? Perdu? Fini? Crevé?
Interpellation légitime. Et la peur !! Et le désarroi. Et la légèreté assassinée par le poids de la mort banalisée, mort spectacle, mort en chiffres insignifiants car l’être s’est anéanti et les larmes ont tari; le meurtre officialisé, les dirigeants qui n’essaient même plus de sauver la face, à peindre l’échec, à camoufler leur petitesse. Et ces voyous qui triomphent, qui reviennent en force, qui ressuscitent, qui volent le pouvoir et violent les consciences et les rêves : désarroi, tristesse, violence, folie…
* Professeur à Université de Carthage.
** La pièce, produite par le Théâtre national tunisien, réunit, autour de Raja Ben Ammar, les comédiens Abderrahim Bahrini, Ahmed Taha Hamrouni, Aymen Mejri, Bassem Aloui, Marwa Manaï, Mouïn Moumni, Mouna Belhaj Zekri, Nesrine Mouelhi, Toumadher Zrelli, Wissal Labidi, et s’appuie sur le travail du vidéaste Ghazi Frini.
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