Invitée furtive de l’émission ‘‘Liman Yajro Faqat’’, l’ex-Femen Amina Sboui a été délibérément malmenée et «mise à mort» par Samir El-Wafi.
Par Marwan Chahla
Pendant les 8 à 9 minutes de son apparition, la jeune militante féministe n’a eu droit qu’à des bribes de réponses à l’avalanche de questions, de remarques désobligeantes et de remontrances vaguement moralisantes que déversait sur elle l’animateur de la chaîne El-Hiwar Ettounsi. D’ailleurs, c’est à se demander si Samir El-Wafi souhaitait vraiment qu’Amina Sboui s’exprime…
En somme, elle était là tout simplement pour faire de la figuration. Elle était là pour «encaisser», pour subir toutes les humiliations, notamment celle du très sulfureux Rached Khiari, le directeur du site électronique islamiste ‘‘Assada’’, devenu un invité permanent de la chaîne El-Hiwar Ettounsi. Ce dernier a déclaré à El-Wafi, dans les coulisses, qu’il préférait prendre place à côté de l’ancienne Rcdiste et actuelle présidente du Mouvement destourien, Abir Moussi, que de s’asseoir à côté d’Amina Sboui. Traduire : dans l’échelle de la saleté, celle-ci a atteint les sommets…
La mise à mort peut commencer
L’ancienne militante Femen était venue défendre ses droits citoyens contre une pétition d’une nébuleuse association appelée Ouled Sidi Bou-Saïd – 800 signatures ! – qui exige son expulsion de cette banlieue chic du nord de la capitale.
Au terme de sa courte interview, la cause d’Amina Sboui n’a pas été entendue et la vindicte publique a été, dans une très large mesure, satisfaite. Ce sont, on l’imagine, les extrémistes religieux qui vont être satisfaits de la prouesse médiatique de Samir El-Wafi et d’El-Hiwar Ettounsi.
Mal préparée, la jeune militante (22 ans, en décembre prochain) ne pouvait faire jeu égal face à un animateur déchaîné contre elle qui, très visiblement, l’a invitée, non pas pour l’écouter ou lui donner le droit de se défendre contre la bien-pensance ambiante, mais pour la sermonner, lui rappeler qu’elle a tort d’agir comme elle le fait et pour parler au nom de la société tunisienne «qui a ses lois, ses règles, ses us et coutumes que tous Tunisiens sont tenus de respecter.»
La pauvre avait beau balbutier qu’elle n’avait rien commis qui soit répréhensible ou qui tombe sous le coup du code pénal, l’animateur l’interrompait sciemment et l’empêchait carrément de parler, avant de la congédier d’une manière pour le moins inélégante, pour ne pas dire grossière, s’agissant, qui plus est, d’une jeune femme.
Tout était contre Amina Sboui, hier soir: de bout en bout de sa brève intervention, elle était desservie par son look garçon (quelle horreur !), les insinuations malicieuses de l’animateur sur son homosexualité (dont d’ailleurs elle n’a jamais fait mystère) et les attaques des autres invités de l’émission.
Très haut perchée sur ses talons, courtement et étroitement vêtue, elle arrive sur le plateau le pas incertain, presque titubante, pour s’installer, seule dans un premier temps, sur la gauche de l’animateur et à la droite de l’invitée principale de l’émission, Abir Moussi.
De l’interview, on retiendra que la jeune militante est une marginale, une malade mentale, un paria qui n’a pas place à Sidi Bou-Saïd – ou ailleurs dans la société tunisienne.
Amina plus dangereuse qu’Abou Iyadh
Pour Samir El-Wafi, Amina Sboui est plus dangereuse que le terroriste Seifallah Ben Hassine (alias Abou Iyadh). «Vous rendez-vous compte de la gravité de votre situation? Abou Iyadh, du temps où il habitait à Hammam Lif, ses voisins de personne indésirable», lui assène-t-il.
Viennent ensuite les avis assassins des autres invités. Pour l’avocat Imed Ben Hlima, «il ne peut pas y avoir d’universalité des droits de l’Homme. Il y a des normes sociales, des traditions que l’individu, tout en jouissant de ses pleins droits, doit respecter.» Rached Ghannouchi et Abou Iyadh aurait sans doute applaudi, surtout que Me Ben Hlima a cru devoir nous mettre en garde «contre le complot de certains pays puissants» (occidentaux, croyons-nous deviner) qui utilisent leur conception des droits humains pour «coloniser d’autres peuples.» (sic !)
Tout le monde était prêt, hier soir, à descendre encore plus bas de Samir El-Wafi et son alter-égo Rached Khiari.
Abir Moussi, elle, nous a servi le plat fade de la politicienne qui tente de louvoyer: pour elle. «C’est une question de principe: la liberté individuelle est garantie par la loi. Cependant, liberté de l’un s’arrête là où celle de l’autre commence (…) Notre modernité ne doit en aucun cas contredire notre appartenance et notre identité», a-t-elle bafouillé. Grande laïque et moderniste devant l’Eternel, c’est du moins ce qu’elle prétend, elle n’a pas jugé politiquement correct de défendre les droits d’Amina, ses droits de femme et de citoyenne. La lâcheté, on le sait, peut aussi porter des jupons.
Le journaliste réactionnaire Rached Khiari, tressautant sur son fauteuil, nous a expliqué, quant à lui, que «même la chrétienté n’autorise pas ce type de manifestations (des activistes Femen, ndlr). Tenez, à titre d’exemple, en Russie, ce mouvement est interdit. Pour cela, les autorités russes ont eu recours à la loi. Et elles ont raison: elles ont peur pour leurs enfants; elles veulent protéger leurs enfants…».
C’est ainsi que Sami El-Wafi clôt, à sa manière inculte de Bac moins 3, le dossier Amina Sboui vs. Ouled Sidi Bou-Saïd. Circulons, il n’y a rien à voir. C’est le degré zéro du journalisme et de la télévision.
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