Nidhal Guiga parle ici à Taoufik Jebali de la reprise de sa pièce théâtrale, ‘‘Le Fou’’, d’après Gibran, dans laquelle elle avait jouée, elle-même, il y a 15 ans…
Par Nidhal Guiga *
J’avais un drôle de sentiment en sortant du ‘‘Fou’’ hier soir… En fait, lorsqu’on est dedans, on n’en sort pas vraiment!
Peut-être parce que je trouve que c’est ton spectacle le plus poétique ou qui transmet le plus ta «frêlitude» (le mot n’existe pas mais il te va bien).
Tu ne sais pas ce que ça m’a fait de réécouter ma voix encore jeune, enregistrée il y a 15 ans, et qui lisait cet admirable extrait de Gibran: («Je suis étranger dans ce monde»).
N’était-ce pas visionnaire, comme spectacle, à plus d’un niveau? N’était-ce pas aussi la plus belle transmission d’idées que tu m’as offerte?
Tu ne sais pas ce que ça m’a fait de redécouvrir ce spectacle tellement actuel et qui, avec ce recul de 15 ans, me semble avoir été révolutionnaire alors qu’on ne s’en rendait peut-être pas compte.
Aïe! Ce balancement des corps devant une superposition de «murs de lamentation», ces âmes désarmées, cette morosité des temps modernes, ces paroles élégiaques, ces mères affligées, ces images de deuil universel… et cette «étrangéité» des poètes…
Poètes dans l’humilité, une humilité tellement bien exprimée dans ce passage:
«Dans le flux, j’ai écrit une ligne sur le sable,
J’y ai mis toute mon âme et ma raison aussi,
Et avec le reflux, je suis revenu lire et enquérir,
Ne trouvant dans les plages que mon ignorance.»
Etrangéité face à l’horreur de la petitesse de l’être humain tellement perdu dans sa vanité. Gibran avait raison de dire: «Vous avez votre idéologie, j’ai la mienne (…)
Votre idéologie vaque à la célébrité et court derrière la renommée. La mienne pose la célébrité et la renommée, tels deux grains de sable sur le rivage de l’éternité.
Votre idéologie consiste à ériger des édifices en santal incrustés de joyaux et ornés de plumes. La mienne m’apprend à avoir le corps sain et l’esprit cristallin, même si je n’ai pas d’endroit où reposer la tête.
Votre idéologie vous différencie par vos grades et vos titres. La mienne m’invite à être un serviteur fidèle et utile….»
Comme il avait raison de dire: «Vous avez votre Liban, j’ai le mien».
Comme il avait raison de dire: «Ma langue est la mienne, et la vôtre est à vous»
Taoufik Jebali, Gibran, auquel tu ressembles dans la «frêlitude» et même physiquement, a été ton miroir. Ton ‘‘Fou’’ est un pan du ciel. Ne baisse pas le rideau! **
*Comédienne et écrivaine.
** ‘‘Le Fou’’ est présentée à El-Teatro, à Tunis 10, 11, 12, 16 et 17 novembre 2016, à 19H30, et les 1er, 2, 3, 7, 8 et 9 décembre prochain, à la même heure. Réservation.
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