La campagne électorale de Donald Trump a donné le ton de sa future politique au Proche et au Moyen-Orient. Mais qu’en sera-t-il réellement ?
Par Roland Lombardi *
La victoire du sulfureux Donald Trump à la présidentielle américaine, le 8 novembre dernier, a, comme on pouvait s’en douter, littéralement affolé les chancelleries européennes.
Dans un aveu confondant de naïveté, la pathétique déclaration du président français François Hollande sur l’ouverture «d’une ère d’incertitude» en est la triste preuve…
A l’inverse, la Russie, par la voix de son président, Vladimir Poutine, s’est, elle, félicitée de l’élection de Trump. Au Proche et Moyen-Orient, le président égyptien Abdel Fattah Al-Sissi a été le premier chef d’Etat arabe à complimenter officiellement la victoire du milliardaire américain. Le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, a salué solennellement le succès de son «ami» Donald.
A Téhéran, par contre, la prudence fut de rigueur et, dans les pays du Golfe, qui espéraient la victoire de la candidate démocrate Hillary Clinton qu’ils soutenaient ostensiblement, c’est clairement l’inquiétude qui prévaut.
Rester prudent avec les promesses électorales
Ces différentes réactions sont essentiellement dues aux déclarations de campagne, anti-islam ou tonitruantes et parfois révolutionnaires, du candidat Trump. Dans son discours prononcé le 15 août dernier à l’Université d’Etat de Youngstown (Ohio), le candidat républicain avait listé les grandes lignes de sa future politique étrangère : retour à l’isolationnisme, réchauffement des relations avec Israël, rapprochement avec la Russie, lutte totale contre le terrorisme de l’islam radical et la fin d’une forme de «bienveillance» américaine à l’égard de l’islam politique et enfin, révision, voire annulation, de l’accord sur le nucléaire iranien.
Si le 45e président de la première puissance mondiale venait à tenir ses promesses électorales, cela signifierait une véritable révolution dans la politique moyen-orientale américaine engagée depuis 2001.
Toutefois, tous les observateurs sérieux de la politique savent pertinemment qu’il faut toujours rester extrêmement prudent avec les promesses électorales… Plus que toutes les autres, celles-ci n’engagent finalement que ceux qui les reçoivent ! D’ailleurs, certains points du programme de Trump traitant de la politique intérieure, comme extérieure, ont déjà, depuis sa victoire, disparu de son site officiel de campagne… Et oui, Trump est en train d’apprendre que la politique est aussi l’art du compromis…
C’est la raison pour laquelle, en dépit de l’enthousiasme apparent de Jérusalem et de Moscou, les responsables russes comme israéliens restent très vigilants et sur leurs gardes…
Alors, essayons ici d’analyser sereinement quelles pourraient être les inflexions importantes de la politique américaine au Moyen-Orient du nouveau président américain.
D’abord, si Donald Trump, novice en politique comme dans les relations internationales, est décrié, comme en son temps, Ronald Reagan, il faut toutefois reconnaître qu’il n’est pas aussi désinformé ou inculte qu’on le pense. Rappelons que ses trois principaux conseillers en matière de défense, d’affaires étrangères et sur les dossiers moyen-orientaux sont Sam Clovis, ancien colonel de l’US Air Force, le libanais Whalid Phares et, surtout, le général Michael Flynn, trois fins connaisseurs de la région. Le général Mike Flynn est l’ancien patron de l’Agence américaine du renseignement militaire. Avec le général Petraeus, il peut être considéré comme un des artisans du rétablissement de la situation en Irak et en Afghanistan de 2007 à 2010. Il est surtout connu, comme d’autres généraux du Pentagone d’ailleurs, pour avoir fermement critiqué le soutien des forces américaines à des groupes islamistes en Syrie et en Irak et être un fervent partisan d’un rapprochement avec Moscou notamment dans la lutte contre le terrorisme islamique. Par ailleurs, Trump a rencontré plusieurs fois Henry Kissinger, le pape du réalisme en relations internationales…
Les futures relations entre Washington et Moscou
Condamnant l’interventionnisme dogmatique et moralisateur américain de ces dernières décennies, Donald Trump s’est clairement déclaré comme un isolationniste sur le plan international et ses principales préoccupations sont donc l’économie de son pays et le commerce international, d’où une attention particulière pour le Mexique et la Chine.
Ainsi, nous pourrions assister à un revirement de la stratégie américaine notamment au Moyen-Orient et particulièrement en Syrie, où certains responsables de la CIA étaient malheureusement restés bloqués sur le vieux logiciel du Frankenstein djihadiste né en Afghanistan dans les années 1980…
L’administration Trump pourrait alors mettre fin à l’utopie dévastatrice du Regime change et du Nation building. Cette inflexion peut alors séduire Le Caire, Ankara et bien sûr Damas et surtout la Russie, qui aurait alors les mains libres en Syrie, d’autant plus si elle se voit proposer par le nouveau locataire de la Maison Blanche une coopération étroite et sincère dans la lutte contre Daêch en Irak et l’islam radical en général.
Les Etats-Unis et les pays du Golfe
La perspective de ce tournant majeur de la politique américaine a bien entendu de quoi inquiéter les Etats du Golfe au premier rang desquels l’Arabie saoudite. D’ailleurs, les pétromonarchies ont été fortement critiquées par le candidat Trump puisqu’il les considère, à l’instar des Frères musulmans, comme les promoteurs de l’islam radical.
Grâce à une indépendance énergétique croissante et poursuivant la politique de désengagement de la région, initiée sous la présidence d’Obama, les Etats-Unis de Trump pourraient, sans pour autant rompre définitivement les liens, s’écarter notablement du royaume saoudien, d’ailleurs de plus en plus isolé et déconsidéré dans le monde arabe.
Enfin, comme Ronald Reagan contre le communisme dans les années 1980, Trump se présente comme le futur champion du combat contre l’islam politique et radical. Il annonce vouloir lancer une guerre globale contre l’islamisme. Peut-être en faisant évoluer l’Otan vers une puissante méga structure anti-terroriste tout en bannissant les lourdes dépenses inutiles pour une guerre fantasmée et un affrontement qui n’aura en définitive jamais lieu ! La Russie est bien sûr partante. Reste à savoir si l’Europe, pour son intérêt et surtout celui des musulmans, suivra… A l’heure actuelle, c’est peu probable…
Israël et Iran
Donald Trump et Benyamin Netanyahou sont de vrais amis. Ils ont d’ailleurs eu les mêmes mécènes lors de leurs campagnes électorales respectives… Même s’il a fait, surtout au début de sa campagne, de nombreuses déclarations contradictoires sur le conflit israélo-palestinien, le candidat républicain s’est finalement déclaré être un farouche supporter de l’Etat hébreu. En tant qu’ami sincère d’Israël, Trump sera sûrement respecté et écouté par les Israéliens. Mais grâce à ce statut, il pourra aussi leur demander beaucoup plus que ne l’ont fait ses prédécesseurs…
Au sujet de l’Iran, le candidat Trump a accusé Téhéran d’être également un vecteur du terrorisme international. Il a par ailleurs dénoncé l’accord sur le nucléaire iranien signé en juillet 2015, évoquant même son éventuelle abrogation. Je pense que nous aurons sur ce dossier le premier exemple de promesses non tenues du nouveau président. En effet, Trump ne pourra pas (ni ne le voudra réellement) tenir ses engagements. D’abord, car il s’agit d’un accord multilatéral et les Etats-Unis ne peuvent pas l’annuler au nom de la Russie, de la Chine, et de l’UE. Ensuite, si le rapprochement entre Moscou et Washington devient effectif, les Russes seraient de parfaits médiateurs sur ce dossier sensible. Et enfin, l’Iran, l’Etat phare du chiisme est (re)devenu incontournable dans la région. De plus, faut-il rappeler que dès 2001, après le choc du 11 septembre, quelques experts et officiers américains avaient déjà proposé de «lâcher» l’Arabie saoudite pour se tourner vers l’Iran? On sait aujourd’hui qu’ils n’ont pas été entendus mais le général Flynn était de ceux là. D’ailleurs, lorsqu’il était en poste en Irak et en Afghanistan, le conseiller de Trump avait renoué et développé discrètement les relations avec les services secrets iraniens afin d’avoir leur soutien en Irak et en Afghanistan notamment contre les talibans…
Alors pour calmer certains Israéliens et républicains du Congrès encore hostiles à l’accord, l’administration Trump pourra toujours décréter une rallonge sur l’aide financière accordée à l’Etat hébreu en septembre dernier…
Finalement, ce qui peut sembler rassurant concernant le nouveau président américain, c’est qu’il n’est pas un idéologue. Certes, l’ancien homme d’affaires est un pragmatique et un réaliste attaché aux seuls intérêts des Etats-Unis.
Il faut également rappeler qu’il ne sera pas seul. C’est aussi son équipe qui orientera et guidera les objectifs et les choix de la nouvelle politique étrangère américaine. Reste à savoir qui seront nommés aux postes de secrétaire d’Etat et de secrétaire à la Défense.
Pour le secrétariat d’Etat, on évoque les noms de trois conservateurs «classiques» : Newt Gingrich, l’ancien président de la Chambre des Représentants, ou, Bob Corker, l’actuel président de la Commission des Affaires étrangères du Sénat, ou encore, John Bolton, l’ancien ambassadeur aux Nations unies sous Georges Bush.
Comme secrétaire à la Défense, les noms du sénateur Jeff Sessions ou Stephen Hadley, l’ancien conseiller à la sécurité nationale, sont avancés. Le général Flynn serait quant à lui pressenti pour le poste hautement stratégique du National Security Advisor ou encore, celui de directeur du renseignement national (DNI).
Enfin, le président Trump devra composer avec un Congrès, certes républicain, mais non totalement acquis à sa vision du monde.
Arrivera-t-il, par ailleurs, à surmonter les oppositions d’un puissant «système» et de tous ceux, comme le complexe militaro-industriel américain, qui ont un quelconque avantage à entretenir l’image du grand croque-mitaine russe?
Quoiqu’il en soit, Donald Trump avait promis qu’en politique étrangère, il serait «imprévisible» et c’est ce point précis qui inquiète tant. Mais en relations internationales, c’est un immense avantage car vos interlocuteurs, même les plus durs, vous craignent et sont alors paralysés et donc plus enclins aux concessions. Souvenons-nous que, dans les années 1970, Richard Nixon avait sciemment adopté la posture du «fou furieux Nixon», ce qui lui permit alors de renouer, en position de force, le dialogue avec l’URSS, d’«ouvrir» la Chine et surtout, de mettre fin à la guerre du Vietnam…
* Consultant indépendant, associé au groupe d’analyse de JFC Conseil.
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