Manifestation contre le racisme anti-noirs dimanche à Tunis.
La Tunisie ne pourra pas progresser dans la lutte contre le racisme tant que ses propres ressortissants noirs en subissent encore les affres au quotidien.
Par Abderrazak Lejri *
Dans un déni institutionnalisé, le racisme anti-noir, surtout envers les Subsahariens, reste impuni en Tunisie, un pays qui prétend avoir donné à l’Afrique son nom antique romain Africa (ou Ifriquia en arabe), qui a été l’un des premiers pays au monde à abolir l’esclavage et qui mobilise ses forces économiques pour raffermir sa présence sur le continent noir, un marché qui, de l’avis de tous, représente la seule réserve de croissance au monde.
Une discrimination insupportable
Encore une fois, un crime à caractère raciste a été gratuitement commis, le samedi 24 décembre 2016, par un Tunisien contre 3 ressortissants congolais, dont une jeune fille hospitalisée suite à une grave blessure à l’arme blanche.
Comme d’habitude, certains ont insinué que l’agresseur serait un déséquilibré pour justifier l’innommable, quand la société civile et certains médias ont été alertés et que l’Association des étudiants africains a manifesté, le lendemain, sur l’Avenue Bourguiba, au centre-ville de Tunis, contre la recrudescence des violences quotidiennes et la discrimination systématique subies par les noirs en général et les Subsahariens en particulier.
Je doute fort qu’un progrès puisse être obtenu dans l’éradication de ces pratiques tant que nos propres ressortissants noirs en subissent sournoisement les avatars et que le tunisien «de race pure», donc blanc de peau, alors que la majorité de la population est métissée, pratique une discrimination envers ses compatriotes de peau noire: ghettoïsation, notamment dans certains villages du sud, interdiction de la mixité jusqu’à une forme pernicieuse d’apartheid au niveau du transport des écoliers, sans parler des sobriquets cyniques et vexatoires rentrés dans le langage commun : «Ya labiadh»; «Ya lasmer»; «Ya kahlouch», etc.
Ces pratiques ne sont pas l’apanage du Tunisien lambda car devant s’enquérir du sort des bagages de mes ingénieurs égarés sur un vol Tunisair sur le Sénégal, mon assistante s’est vu répondre par la préposée aux litiges bagages: «Vous savez, on fait de notre mieux avec tous ces ‘‘khalechs’’» (noirauds) !
On peut aussi reprocher au journal gouvernemental tunisien ‘‘La Presse’’ d’avoir écrit «Sit-in des étudiants africains», comme si la Tunisie ne fait pas partie de l’Afrique!
Il m’a déjà été donné de dénoncer le racisme primaire envers les Subsahariens de la part de voisins, de chauffeurs de taxis, et surtout le racket et les humiliations impardonnables qui leur sont infligés aux aéroports et par la police des frontières, pour l’obtention des titres de séjours, où de grosses amendes leurs sont réclamées pour des retards dont seule l’administration est responsable.
Le marché africain subsaharien a un prix
Le paradoxe est que, de l’autre côté, les officiels et les opérateurs économiques ne cessent de faire des mains et des pieds pour pénétrer davantage les pays subsahariens dans l’espoir de combler le déficit de la balance extérieure – sans y mettre les moyens diplomatiques, aériens, logistiques, etc. – et pour rattraper le retard enregistré par rapport à des pays comme le Maroc, qui a pris une longueur d’avance dans ce domaine.
Ainsi, il ne se passe pas une semaine sans qu’une mission officielle ne soit organisée dans un pays ou une région du continent noir où, par pur opportunisme mercantile, des sociétés tunisiennes croient faire un raccourci historique en s’agglutinant, comme des mouches sur un pot de miel, sur un marché certes attractif et fructueux, mais seulement pour ceux qui savent en respecter les règles et la moindre des choses est d’en respecter les populations.
Beaucoup plus que la criminalisation attendue et nécessaire de ces actes racistes, l’action sur le long terme concerne la diffusion, dès l’enfance, des valeurs d’égalité entre les hommes quelle que soit la race ou la religion.
* Responsable d’une entreprise exportatrice de logiciels en Afrique subsaharienne.
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