Les Tunisiens devraient faire comprendre à Angela Merkel, leur hôte cette semaine, que comprendre la Tunisie aujourd’hui, c’est servir aussi l’intérêt allemand bien compris.
Par Farhat Othman *
La chancelière allemande Angela Merkel vient, le vendredi 3 mars 2017, en Tunisie avec une mission bien précise : obtenir des autorités tunisiennes la satisfaction des exigences refusées par le chef du gouvernement Youssef Chahed, lors de sa récente visite officielle à Berlin : il les trouvait périlleuses pour la sécurité de la Tunisie. Saurait-on y résister encore et comment ?
Peu satisfaite des résultats de cette visite de M. Chahed, la chancelière allemande mettra, à n’en pas douter, une énorme pression sur la Tunisie pour obtenir gain de cause. On la dit prête pour cela à user l’argument lourd de l’aide allemande.
Réfugiés et clandestin de la discorde
De quoi s’agit-il? Essentiellement du problème des réfugiés et des clandestins, et accessoirement donc de l’aide allemande à la Tunisie en cas de réticence tunisienne à ce qui relève d’une sorte de diktat pour certains observateurs.
Il est vrai, la situation politique de la chancelière est délicate, ayant des élections législatives futures s’annonçant périlleuses sous la pression des partis extrémistes. Pour cela, elle ne lâchera rien aux Tunisiens qui ont intérêt à contrer intelligemment ses arguments.
En faisant état, de nouveau, du fait que la Tunisie fait face à des dangers autrement plus graves, le péril terroriste s’ajoutant à la fragilité de l’État encore instable.
Angela Merkel et Youssef Chahed déposent une gerbe de fleurs à la mémoire des victimes de l’attentat de Berlin.
Aussi, le lien doit être clairement établi entre la sécurité de la Tunisie et celle de l’Allemagne et toute l’Europe. Or, la Tunisie est dénuée des moyens dont dispose l’Europe, ce qui implique un minimum impératif de solidarité.
Comprendre la Tunisie aujourd’hui, c’est servir aussi l’intérêt allemand bien compris.
Toutefois, si le refus tunisien pour les réfugiés est justifié, ne pouvant rééditer ce qui a été fait en 2011, sa position est un peu moins aisée à défendre avec les arguments habituels s’agissant des clandestins, dont les 1200 Tunisiens qui se seraient infiltrés dans les rangs des réfugiés accueillis en Allemagne.
On sait que non seulement l’Allemagne, mais l’Europe aussi exigent que le refoulement des clandestins soit systématique, jugeant insatisfaisante, car lente, la procédure actuelle du laissez-passer, nécessitant confirmation d’identité. L’Union européenne (UE) n’arrête ainsi de relancer la Tunisie pour la conclusion d’un accord de réadmission.
Plaider le visa biométrique de circulation
Ce que la partie tunisienne est en droit de dire avec pertinence est qu’un tel accord, et le raisonnement qu’il emporte de rapatriement sans formalités, sont viciés à la base. En effet, une réadmission automatique suppose au préalable une admission dans les mêmes conditions; ce qui n’est pas le cas avec la fermeture des frontières et les visas délivrés au compte-gouttes.
La Tunisie serait donc bien inspirée de proposer le dépassement d’une telle difficulté avec l’outil parfaitement respectueux des réquisits sécuritaires qu’est le visa biométrique de circulation. Il s’agit d’une catégorie juridique parfaitement connue dans les chancelleries européennes et dont on use, mais très peu. Proposer de la généraliser suppose que la formalité actuelle du visa demeure en place tout en changeant de nature, muant en visa de circulation délivrable à tous les Tunisiens qui le demandent sans formalités et gratuitement pour un an au moins avec renouvellement automatique.
Ainsi, sans rien changer au présent état juridique, on ouvrirait en quelque sorte les frontières de manière sécurisée, puisque les empreintes digitales continueront à être prélevées. La seule différence est que cette importante concession à la souveraineté nationale aura enfin une contrepartie : le droit de circuler librement aux Tunisiens.
La Tunisie pourrait de la sorte avoir le beau rôle de soutenir que dans un tel cadre d’admission libre de ses ressortissants, elle serait amenée d’accepter la réadmission sans formalités également de ses ressortissants refoulés, s’il en reste. Car un tel régime de libre circulation aura fatalement pour conséquence de faire disparaître les clandestins.
Anis Amri, le Tunisien auteur de l’attaque terroriste de Berlin.
En effet, il faut bien se rendre à l’évidence que c’est la frontière fermée qui crée la clandestinité dans laquelle nul n’a intérêt à se maintenir du moment qu’il peut circuler librement et en toute légalité. Sauf, bien évidemment, s’il a quelque chose à se reprocher sur le plan pénal; c’est alors de l’intérêt des deux pays d’arrêter de tels vrais délinquants au lieu de se concentrer aujourd’hui sur des innocents n’ayant pour seul crime que de vouloir circuler librement et bénéficier d’un des droits humains consacrés. Avec un tel argument massue, la Tunisie pourrait parfaitement faire pièce de la menace allemande de conditionner son aide à l’acquiescement à ses desiderata aux allures de diktat.
Si les deux pays se veulent, ainsi qu’ils le disent, des partenaires stratégiques, ils ont intérêt à prendre la mesure du changement dans le monde qui ne peut plus être pensé, ni géré à plus forte raison, selon des concepts obsolètes parmi lesquels le visa actuel.
Encore mieux, pourquoi l’Allemagne ne propose-t-elle pas à la Tunisie d’adhérer à l’UE. Et pourquoi la Tunisie, renchérissant, ne le demanderait-elle pas? N’est-ce pas la meilleure façon d’obtenir une totale implication tunisienne aux soucis de l’Europe tout en tenant compte des siens, tout aussi légitimes, sinon plus? Ceux-ci trouveraient ainsi solution dans le cadre européen qui est un horizon incontournable pour la Tunisie, l’orbite sur laquelle tourne son présent et avenir. Autant donc que cela soit de manière officielle avec les avantages découlant de l’adhésion de laquelle relève déjà la Tunisie, bien que de manière informelle, sa dépendance de l’Europe étant quasi totale.
* Ancien diplomate et écrivain, auteur de ‘‘L’Exception Tunisie’’ (éditions Arabesques, Tunis 2017.)
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