Quand la future architecture ferroviaire européenne tend à consolider et à promouvoir le couloir Mer du Nord – Méditerranée au détriment de Marseille Fos.
Par Jean Fouqoire *
I- Un nouveau maillon ferroviaire à travers les Alpes
La presse nationale et régionale française a été relativement discrète, pour ne pas dire quasi-muette, lors de l’inauguration du Tunnel de base de Saint Gothard, dont la mise en service régulier est intervenue le 11 décembre 2016.
Il représente un tronçon de 57 km sur le parcours Stuttgart-Zurich-Milan-Gênes.
La réalisation de cette infrastructure s’inscrit dans le programme fédéral suisse des Nouvelles Lignes Ferroviaires à travers les Alpes qui propose, à terme, une alternative aux passages alpins routiers. L’objectif de désaturation des réseaux routiers par le report de la route vers le rail intègre également les enjeux environnementaux et ceux liés au développement durable.
II- Le futur réseau ferroviaire européen
Plus largement, le programme helvétique s’insère dans le développement du Réseau Transeuropéen de Transport (RTE-T) qui tend à rendre cohérente les liaisons ferroviaires entre le Nord (le delta d’or Rotterdam-Anvers-Zeebrugge : la porte d’entrée de l’Europe Rhénane) et le Sud de l’Europe à travers un espace continental considéré comme la zone d’excellence économique de l’Europe en limitant l’usage du mode routier.
A terme, ce réseau devrait redresser le transport européen de marchandises en dédiant des sillons internationaux performants au fret, soit par des nouvelles infrastructures, soit par des périodes d’utilisations protégées et en recourant au ferroutage.
Pour tenir compte des contraintes technologiques, logistiques et économiques ainsi que le recours à des matériels plus longs et à des convois plus lourds, les ouvrages de franchissement des Alpes seront des tunnels «de base» (abandon des tunnels d’altitude)(1) pour éviter les pentes trop fortes et les tracés «louvoyants» à travers les vallées. Ils seront aussi les plus longs d’Europe (de 20 à 60 km sous le massif alpin).
Actuellement, en complément du Tunnel Saint Gothard, 4 autres ouvrages sont en cours de réalisation.
– Le Tunnel du Lötschberg (34km) pour améliorer la ligne Berne-Milan par le tunnel du Simplon (20km). L’ouvrage comporte 2 tubes : à ce jour, faute de financement 1 seul a pu être mis en service. Il figure dans le couloir A : Rotterdam-Gênes.
– Mise au gabarit du Tunnel de Saint Maurice sur la ligne du Simplon.
– Tunnel du Brenner : ouverture du chantier 20 mars 2015 (56km) – mise en service prévue en 2026 – liaison Autriche-Italie (en fait Nuremberg-Munich-Vérone-Gênes et Venise).
– Tunnel Euralpin Lyon-Turin (57 km) – chantier ouvert en juillet 2016 et mise en service prévue en 2030 –, il constitue la seule traversée des Alpes dans le sens Est-Ouest.
Toutefois, les échéances de mise en service pour les 2 derniers ouvrages cités sont à nuancer, dans la mesure où les pouvoirs publics auront peut être des difficultés à assumer les coûts correspondants (8,6 milliards d’euros pour le Lyon Turin : valeur 2012) dans les délais annoncés.
Par ailleurs, l’ampleur des travaux a crée des mouvements d’opposition de la part des futurs riverains, de mouvements de protection de la nature contribuant à d’éventuels rallongements des délais.
III- Les nouveaux enjeux
L’examen du Schéma RTE-T et la liste des principales métropoles qu’il met en réseau montrent à l’évidence que l’effort européen porté sur les grandes infrastructures ferroviaires tend à arrimer l’Europe de l’Est à celle du Centre, et à l’intérieur de cette dernière, à privilégier les liaisons Nord-Sud.
La future ligne Lyon-Turin apparaît même comme un débranchement du sillon rhodanien pour le greffer très en amont de Marseille sur le réseau italien, en faisant de Gênes l’aboutissement de plusieurs axes qui trouvent leur tête à Rotterdam (où à Londres!!!)
L’axe ferroviaire rhodanien étant saturé (la ligne fer de la rive droite inadaptée aux longs convois) il est difficile de ne pas constater que le GPPM risque de se trouver marginalisé au profit de ports italiens: Gênes, la Spezia, Livourne… voire Venise ou Trieste (même si les réserves foncières de ces ports n’offrent pas les potentialités de Marseille Fos). Il faut également relever que le réseau ferré italien, centré sur Milan, présente aussi des risques de saturations, qui seront à traiter.
IV – Les conséquences pour le Grand Port Maritime de Marseille
A l’échelle de 10 à 15 ans, l’économie du fret européen sera également conditionné par le développement prévisible des ports du Sud et de l’Est Méditerranéen (Proche Orient-Turquie-Egypte-Maghreb…). Les ports du sud Européen, branchés sur le RTE-T disposeront de positions intéressantes : l’Adriatique pouvant (re)devenir attractive.
Soucieuses d’élargir leur hinterland, les autorités du GPPM recherchent de nouveaux trafics, notamment vers la Suisse qui fut une de leur clientèle, il y a une décennie environ.
Eu égard au contexte, tel que décrit plus haut, cette démarche sans doute nécessaire, s’avère malaisée à moyen-long termes.
Par ailleurs, à partir de 2025-30, le prolongement de la ligne à Grande Vitesse de Marseille à Nice ouvrira des meilleures capacités pour le fret. Mais le réseau italien de Vintimille à Gênes ne présente pas de caractéristiques de haut niveau et à ce jour aucun projet d’amélioration ne semblant envisagé pour joindre les 2 niveaux, la frontière ne sera pas uniquement qu’administrative.
Les conditions des échanges par le fer dans le sens Est-Ouest (Espagne-Barcelone, France- Marseille, Italie-Gênes) ne semblant donc pas devoir évoluer de manière significative dans un avenir décelable. Suivant le RTE-T, c’est la liaison performante Madrid-Barcelone-Montpellier- Avignon-Lyon-Turin qui se dessine. Et on a noté que les ports italiens de Ligurie ne disposaient pas de vastes disponibilités foncières, contrairement à Fos.
Plutôt de se lancer dans une concurrence qui ne manquerait pas d’être nuisible à chacun, ne vaudrait-il pas mieux que les autorités portuaires de cette façade nord de la Méditerranée, conscientes de leurs potentialités respectives, s’engagent dès à présent dans une coopération pour mieux répartir et traiter les différents et futurs trafics ? Et ce, afin de maîtriser les conditions de leur développement face aux impératifs environnementaux.
* Urbaniste (e.r.), associé au groupe d’analyse de JFC Conseil.
Note :
1- Les nouveaux ouvrages ferroviaires de franchissement des massifs montagneux doivent permettre le passage de trains à grande vitesse (+200km/h), de fret, et de ferroutage (camions sur wagon). Ces trains sont longs, lourds et rapides, ce qui nécessite des tracés dans les vallées qui réduisent les courbes. Au XIXe et XXe siècle les tracés privilégiaient les passages en altitude qui permettaient des ouvrages, tunnels et viaducs, plus courts mais avec des courbes et contre-courbes serrées.
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