Parce qu’il est déséquilibré et contenant de nombreuses zones d’ombre, le projet d’accord sur la migration en cours de finalisation entre l’Union européenne (UE) et la Tunisie, au-delà de son montant ridicule et qui va aggraver l’endettement du pays, va créer plus de problèmes qu’il n’en réglera. Car si les migrants vont sans doute en payer les frais dans l’immédiat, aucune des deux parties contractantes n’en profitera vraiment. Explications… (Illustration : la Méditerranée n‘a jamais été un mur infranchissable pour les migrants, et elle ne le sera jamais).
Par Imed Bahri
Selon le ministre italien des Affaires étrangères Antonio Tajani, l’UE a décidé d’apporter son soutien financier à la Tunisie de manière indépendante du Fonds monétaire international (FMI), et ce «afin de renforcer la stabilité là-bas», selon ses termes.
Dans des déclarations médiatiques, faites hier, mardi 27 juin 2023, Tajani a indiqué que l’accord entre l’UE et la Tunisie pour un paquet d’aides, notamment un financement de 1 milliard d’euros dont 900 millions sous forme de prêt, convenu récemment avec le président de la république Kaïs Saïed, «sera probablement signé dans les prochains jours».
La Tunisie, dos au mur, se laisse faire
Cet accord… pour une bagatelle a été annoncé par la présidente de la Commission européenne Ursula van der Leyen, la Première ministre Italienne Giorgia Meloni et le Premier ministre néerlandais Mark Rutte au cours de leur récente rencontre au palais de Carthage avec le président Saïed.
Aux dernières nouvelles, la visite en Tunisie du commissaire européen à l’élargissement, Oliver Varhelyi, pour la signature du protocole d’accord sur la migration devait avoir lieu cette semaine, mais cette visite a été reportée en raison de la célébration en Tunisie de la fête de l’Aid Al-Adha, mercredi 28 et jeudi 29 juin. C’est ce qu’a annoncé la Commission européenne, indiquant que «les discussions» ont été jusqu’à présent «constructives» et «sont toujours en cours».
«Nous ne pourrons poursuivre les discussions que lundi», a souligné une porte-parole de la Commission européenne, indiquant que «l’objectif est de parvenir à un accord lundi».
Le protocole d’accord ne sera donc pas prêt, comme prévu initialement, avant la réunion du Conseil européen qui se tiendra les 29 et 30 juin à Bruxelles.
Le fait que cet accord a suscité de nombreuses critiques au sein de l’opposition et de la société civile en Tunisie, qui y voient une volonté européenne de se décharger de la gestion des flux migratoires sur «la petite Tunisie», qui fait face aujourd’hui à une grave crise financière et qui doit bientôt se transformer, à la faveur de cet accord, en un grand centre d’accueil des migrants en provenance du Moyen-Orient et de l’Afrique subsaharienne…, ne semble pas gêner outre mesure ces chers démocrates de Bruxelles.
Malgré les vaines dénégations du président Saïed, qui ne cesse de répéter à qui veuille bien l’entendre que la Tunisie ne gardera jamais les frontières des autres pays, c’est sûrement ce qui va arriver à la suite de la signature de cet accord. Nous avons d’ailleurs déjà un avant-goût des problèmes auxquels la Tunisie sera bientôt confrontée avec la présence massive des migrants dans les villes du littoral du centre-est, notamment à Sfax et Mahdia, d’où partent les barques de migrants vers les côtes italiennes et où les habitants commencent à protester massivement contre l’absence de réaction de l’Etat face à l’aggravation de ce phénomène.
Une Europe cynique et hypocrite
Commentant l’accord sur la migration en cours de finalisation, l’ancien ambassadeur Elyes Kasri a écrit dans un post Facebook, aujourd’hui, mercredi 28 juin : «A l’Europe de garder ses quatre sous et ses immigrés. La Tunisie ne sera ni la poubelle humaine d’une Europe hypocrite ni son Auschwitz du 21e siècle». Si tant est, d’ailleurs, que la Tunisie pourra honorer sa part du deal, ce dont on peut sérieusement douter, la tâche étant colossale et au-dessus de ses maigres moyens…
«A la commission européenne et aux gouvernements européens de se rappeler qu’un accord sur une question aussi controversée que la migration qui serait signé en catimini, souffrirait d’un déficit mortel de transparence et de conformité aux principes les plus élémentaires de la gouvernance démocratique», a souligné le diplomate. Et d’ajouter : «Cet accord risque d’exacerber le ressentiment populaire en Tunisie contre une Europe perçue comme cynique, hypocrite et prête à traiter avec n’importe qui et de n’importe quelle manière quand ses intérêts sont en jeu.»
Le fait que la partie tunisienne n’a même pas communiqué sur le contenu de l’accord et ne l’a même pas soumis au débat au sein d’une assemblée pourtant totalement acquise au président Saïed, trahit, s’il en est besoin, la volonté du palais de Carthage de faire passer ce texte en catimini. Ce serait, selon lui, le seul moyen de donner un peu d’air aux finances publiques, au bord de l’asphyxie, alors que les négociations avec le FMI pour un nouveau prêt de 1,9 milliard de dollars traînent en longueur.
S’il ne surprend personne en Tunisie, ce manque de transparence de la part du président Saïed, qui accapare tous les pouvoirs en Tunisie, devrait normalement donner à réfléchir à Bruxelles où, sous les pressions de l’Italie et de l’extrême droite européenne, on semble pressé de conclure. Ce qui fait dire à Elyes Kasri que, «faute de transparence et de soutien populaire en Tunisie, cet accord risque fort d’être un point noir dans les relations entre la Tunisie et l’Europe et confirmerait les accusations et les griefs les plus graves contre une Europe en décadence géostratégique et surtout morale qui n’aurait aucun scrupule à profiter de la faiblesse de son voisin pourtant provoquée en grande partie par ses échecs et méfaits en Afrique et en Libye.»
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