Dans une lettre adressée à la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, publiée jeudi 27 juillet 2023, 37 eurodéputés ont accusé l’exécutif européen d’ignorer les «graves violations» des droits humains dans son accord avec la Tunisie dans le cadre duquel l’Union européenne accepte notamment d’accorder à Tunis une aide financière en vue de dissuader les mouvements migratoires en direction de l’Europe.
Par Benjamin Fox
La lettre, signée par des eurodéputés issus de différents groupes politiques, estime que l’accord UE-Tunisie «ne répond pas aux préoccupations essentielles en matière de droits humains observées en Tunisie».
«L’absence de réponse à ces préoccupations, qui comprennent de graves violations des droits des migrants et des demandeurs d’asile ainsi qu’une escalade des restrictions des droits civils et politiques, exposera les politiques de l’Union européenne au risque de contribuer ou de perpétuer ces violations et de permettre l’impunité des responsables», affirment les députés.
Le mémorandum d’entente définissant les détails de l’accord a été signé à Tunis le 16 juillet, en présence du président tunisien Kaïs Saïed, de Mme von der Leyen, de la Première ministre italienne Giorgia Meloni et de son homologue néerlandais Mark Rutte.
En échange de l’intensification des efforts de la Tunisie pour contrôler et endiguer les flux migratoires à travers la mer Méditerranée, la Commission européenne fournira cette année 785 millions d’euros au pays nord-africain pour soutenir son économie et des projets de câbles sous-marins de fibre optique et d’électricité entre l’UE et l’Afrique du Nord.
Préoccupations en matière de droits de l’homme
Cependant, le traitement réservé par le gouvernement Saïed aux migrants, en particulier ceux originaires d’Afrique subsaharienne, suscite depuis longtemps des inquiétudes.
Début juillet, la police tunisienne, la garde nationale et l’armée ont mené des raids dans et autour de la ville de Sfax, arrêtant des centaines de migrants, après quoi environ 1 200 personnes ont été expulsées vers les frontières libyenne et algérienne.
«Compte tenu des antécédents récents de la Tunisie en matière de droits des migrants, une référence générale au respect des droits humains dans le mémorandum d’entente est un déni de responsabilité politique qui semble confirmer davantage le décalage flagrant entre l’attention déclarée de l’UE pour les droits humains et la réalité de ses politiques d’endiguement et d’externalisation des responsabilités en matière d’immigration», peut-on lire dans la lettre.
Dans plusieurs questions prioritaires posées à l’exécutif de l’UE qui seront officiellement déposées le 1er août, le groupe d’eurodéputés a demandé quelles sont les mesures que prendra la Commission pour s’assurer que le financement ne profite pas aux institutions impliquées dans des violations des droits humains. Ils demanderont également pourquoi le mémorandum d’entente n’inclut pas de demandes pour un dialogue national global ou la libération des prisonniers politiques.
Parmi les autres questions, on retrouve notamment celle de la mise en place d’évaluations des droits humains avant la distribution de fonds, celle de la base juridique de l’accord et celle du droit de regard du Parlement sur ce dernier.
Large soutien à l’accord
Bien que le groupe des 37 eurodéputés représente les principaux groupes politiques, à l’exception des Conservateurs et Réformistes européens (CRE), des fonctionnaires du Parti populaire européen (PPE) de centre droit et du groupe des Socialistes et Démocrates (S&D), les deux groupes plus influents de l’hémicycle, ont indiqué à Euractiv qu’une majorité d’eurodéputés soutiendraient l’accord.
Lors du sommet du Conseil de l’UE de juin à Bruxelles, les diplomates nationaux ont confié à Euractiv que les préoccupations en matière de droits humains étaient éclipsées par la nécessité pour l’Union d’en faire plus pour prévenir la migration irrégulière.
Les dirigeants de l’UE ont confirmé lors du sommet qu’ils souhaitaient que l’accord avec la Tunisie serve de modèle pour des accords similaires avec d’autres États d’Afrique du Nord.
En Tunisie, le régime du président Saïed est devenu de plus en plus autoritaire depuis qu’il a suspendu le parlement national et limogé le gouvernement en juillet 2021. Une liste croissante de responsables politiques de l’opposition, de journalistes et de militants de la société civile ont également été arrêtés et détenus cette année sur la base d’accusations politiques.
La position de l’UE sur cette situation a été une cause majeure de frustration pour les dirigeants de l’opposition tunisienne.
Les eurodéputés ont ajouté qu’ils étaient «profondément inquiets du silence assourdissant […] sur la répression croissante des opposants politiques en cours en Tunisie».
La lettre conclut que «le mémorandum d’entente n’aborde en aucune manière la situation politique intérieure, qui est l’une des causes principales du départ des Tunisiens de leur pays».
Traduit de l’anglais.
Source : Euractiv.
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