C’est le président de la république Kaïs Saïed, dont on connaît l’attachement à l’histoire, où il croit trouver les réponses à tous les problèmes du présent, qui a soulevé le problème de la relation des Tunisiens à leur passé récent assimilé, tour à tour, à la «belle époque» ou à la «décennie noire». C’était en rencontrant vendredi 4 juin 2023, Awatef Dali, la directrice générale de l’Etablissement de la télévision tunisienne (ETT).
Par Elyes Kasri
La plupart des Tunisiens semblent braqués sur le passé, certains avec adulation et d’autres avec une phobie obsessive.
Chacun semble avoir sa propre nostalgie d’une belle époque ou d’un âge d’or allant de la conquête islamique, à la suzeraineté à la porte sublime de l’empire ottoman, au règne beylical pour finir avec les nostalgiques de «ommek el akri» (sobriquet dont nos grands pères affublaient la France coloniale, Ndlr) et ceux de l’époque de l’indépendance précédant ce qui est communément qualifié de «décennie noire» (les années ayant suivi la révolution de 2011, politiquement dominées par le parti islamiste Ennahdha, Ndlr).
Des hauts et des bas
S’il est admis que certains secteurs étaient plus performants durant la période postindépendance qu’ils ne le sont actuellement, il n’en reste pas moins que la loi de la nature est cyclique et que l’histoire des nations a toujours connu des hauts et des bas. Le propre des peuples qui méritent de figurer dans l’histoire de l’humanité est de trouver l’énergie et les moyens de rebondir encore plus forts après une crise ou une phase de reflux.
Une petite dose de nostalgie peut être un exutoire mais un excès peut virer à l’obsession maladive et même à une fuite et une peur de l’avenir et de ses défis.
S’il est communément admis que personne ne peut arracher une page de l’histoire et qu’un peuple sans mémoire n’a pas d’avenir, il serait judicieux d’éviter tout excès de passion vis-à-vis du passé et de faire de l’avenir un projet commun si nous voulons rester un peuple souverain et indépendant, acteur et non pas une relique de l’histoire.
La déraison partagée
Par ailleurs, on ne peut s’empêcher de ressentir, à ce propos, une atmosphère empreinte de confusion en Tunisie. Ainsi, dans un monde en pleine mutation et avec d’innombrables inconnues et incertitudes, le principal thème de débat dans notre pays est le passé au lieu d’être l’avenir.
Sans parler de la confusion dans les chiffres où la différence entre milliers, millions et milliards s’estompe comme d’un coup de baguette magique.
Si Descartes avait pensé à son époque que le bon sens est la chose du monde la mieux partagée, un bref séjour, même post-mortem, en Tunisie, bousculerait sérieusement ses convictions.
* Ancien ambassadeur.
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