Parmi les causes qui attirent notre jeunesse vers les extrémismes, quels qu’ils soient, figure en bonne place la misère sexuelle dont elle souffre.
Par Farhat Othman *
Nos jeunes sont, en effet, émasculés dans ce qui fait leur vigueur même, la libido, l’énergie vitale sans laquelle l’être humain n’a ni son unité ni son équilibre.
La libido arabe, une sensualité
Les élans sexuels que manifeste une libido saine chez les jeunes est contrariée chez nous où les jeunes, des deux sexes, et surtout féminin, sont soumis à des lois injustes, scélérates même étant supposées inspirées de la morale. Or, elles sont sinon immorales, du moins relevant d’une morale pudibonde, cette moraline dont parlait Nietzsche et qui n’a rien de l’éthique musulmane.
Pourtant, on n’a plus à le démontrer : le sexe sainement assumé et bien vécu en une vie sexuée paisible est un ingrédient essentiel dans l’équilibre de la personnalité. Cela n’empêche que dans les pays d’islam, le jeune est privé de ce droit intangible, n’ayant la possibilité ni d’avoir les relations sexuelles imposées par son âge, ni de le faire librement et sainement.
Pour tout rapport sexuel, on exige le mariage, qui est un engagement de vie, et la majorité; or, ni l’un n’est facile à réaliser ni l’autre ne peut effacer le désir de l’autre, se réveillant de plus en plus assez tôt. Et dans nos pays où la sensualité est à fleur de peau et le désir renforcé par la convivialité poussée à outrance, il devient envahissant.
De fait, on a moins affaire à du sexe chez nos jeunes qu’à de la sensualité, ce que j’ai qualifié d’érosensualité, mélange d’érotisme et de sensualité, une libido en tout conforme à la sociopsychologie et de l’Arabe et de l’Amazigh au Maghreb(1). Or, étant contrariée, cette sensualité emprunte des chemins de traverse.
Sensualité contrariée
Bien qu’elle soit naturelle en notre société, la sensualité est de plus en plus contrariée tant qu’elle ne dépasse pas un certain niveau d’hypocrisie, une sorte de jeu de soi et avec soi que j’appelle «jeu du je». Et ce non seulement par les lois injustes, mais aussi le recours de plus en plus systématique à ces textes mis au service d’une religiosité rampante.
Aussi assistons-nous à la multiplication de phénomènes comme le mariage dit du plaisir en islam, qui n’est qu’une justification et/ou couverture religieuse pour des jeunes désireux de satisfaire le besoin vital en eux sans encourir les foudres de la loi liberticide.
D’où aussi les rapports recherchés avec les touristes, dont certains pratiqueraient le tourisme sexuel, exploitant la misère de nos jeunes, surtout les mineurs pubères, tenté alors par les rapports tarifés, alliant l’utile à l’agréable.
Voilà comme nos autorités, supposées civiles, encouragent une religiosité déguisée en ne reconnaissant pas leurs droits aux jeunes par l’abolition de toutes les lois scélérates opposées à un sain épanouissement de notre jeunesse !
Deux amants, peint par Riza Abbasi (1565-1635).
Une législation obsolète
La loi en Tunisie, au prétexte du respect d’une foi violée et caricaturée, dessert les bonnes mœurs au lieu de les servir véritablement. Car l’islam n’a jamais contrarié la nature humaine et il est le moins pudibond des religions.
Aussi, le temps est venu pour que les responsables de ce pays cessent de se montrer irresponsables en osant enfin reconnaître leurs droits à nos jeunes. Assurément, cela aidera à leur éviter de se laisser allers sur les chemins de traverse.
C’est d’autant plus impératif que ni la morale ni la religion correctement interprétées, outre la constitution du pays — enfin mise en œuvre — ne sortent grandis du maintien en l’état de la législation honteuse de la dictature, dont des pans entiers datent de la colonisation en matière de droits et de libertés dans le vie privée des gens.
Jusqu’à quand l’État se souciera-t-il de l’intimité des citoyens qu’ils dépossèdent de leurs droits citoyens et de cette intimité qui ne regarde qu’eux? La loi doit-elle continuer à s’immiscer dans les lits des gens et leur stricte vie privée sacrée en islam?
La constitution supposée des plus modernes est restée lettre morte en ses dispositions les plus positives en matière d’État de droit ainsi que l’a pronostiqué un cacique du parti religieux. Elle n’a nulle valeur étant ainsi vidée de ses dispositions fondamentales les plus en vue en société.
Une morale immorale
Cet état d’injustice flagrante rejaillit aussi sur la religion, la morale islamique étant plutôt éthique au sens de strict respect des pulsions naturelles en l’humain, dont la pulsion sexuelle qu’il s’agit moins de nier que de bien gouverner. Car le musulman vrai est celui qui se maîtrise et gère bien ses instincts reconnus et non niés.
Au vrai, c’est la négation de l’instinct sexuel qui relève de l’immoralité et c’est dangereux, car cela entraîne le retour du refoulé, bien connu en psychanalyse pour être toujours désastreux. Veut-on donc produire des générations futures de refoulés en Tunisie? N’est-ce pas cette jeunesse émasculée qui se révolte contre tout, osant transformer son instinct de vie bafoué en instinct de mort?
On sait depuis Freud et encore plus Jung que si l’instinct sexuel naturel en l’humain, Éros, est contrarié et non admis dans une cité, c’est Thanatos, l’instinct meurtrier, qui s’y substitue. C’est alors l’horreur dont Daech est une illustration basique.
Tant que notre jeunesse n’aura pas eu son droit intangible à vivre librement et sainement sa libido, elle sera son seulement tentée, mais aussi irrésistiblement attirée, par une volonté farouche et sauvage de l’assumer, usant pour cela des voies les plus extrêmes, forcément extrémistes.
On sait d’ailleurs que le lien entre la mort et la jouissance a été scientifiquement établi; ce qu’on appelle sperme du pendu le prouve bien : la strangulation s’accompagnant d’une jouissance manifeste.
En rappelant que la libido n’est pas seulement l’énergie sexuelle, mais bien l’énergie tout court, soit le moteur essentiel de la vie, il nous faut la vouloir saine et épanouie en agissant pour une jeunesse sexuellement libre.
Cela suppose de changer notre mentalité; ce qui impose d’abord d’abolir les textes de loi scélérats.
* Ancien diplomate.
Note :
1- Cf. l’essai publié à Paris et Bruxelles ‘‘Érosensualité arabe. Sociologie de la libido maghrébine, Tunisie en exemple’’.
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