Pour éviter que la surconsommation pendant ramadan ne nuise à leur santé et à leur bourse, les Tunisiens sont appelés modérer leur boulimie alimentaire.
La consommation des Tunisiens, au cours de ramadan, augmente jusqu’à 80%, pour certains produits très prisés. C’est le cas, notamment, des viandes, des oeufs et du lait, dont les ventes, au cours du mois saint musulman, enregistrent des pics, ce qui a incité l’Institut national de la statistique (INS) à réserver un indice des prix spécifique à ces produits, qui sera calculé, tous les trois jours, tout au long de ramadan, qui commence le jeudi 18 juin 2015.
Les Tunisiens s’apprêtent donc, comme chaque année, à accueillir le mois du jeûne avec leur boulimie habituelle et leurs habitudes de consommation.
Hausse de la demande
Depuis plusieurs jours déjà, les magasins et marchés grouillent de consommateurs qui ne pensent qu’à remplir le couffin pour le mois du jeûne, formant de longues files d’attente devant les caisses des grandes surfaces, qui se sont bien préparés à faire face à une forte demande, notamment de produits alimentaires.
Béchir Zaafouri, secrétaire général du groupe Monoprix, a indiqué, à l’agence Tap, que le groupe prend ses dispositions, bien à l’avance, comme chaque année, en prévision de ramadan. «On s’approvisionne davantage en produits alimentaires dont on soigne la présentation dans des rayons dédiés, aux dépens d’autres articles qui sont éliminés ou relégués au second plan», a-t-il expliqué. Et d’ajouter: «Nous établissons nos prévisions et passons des commandes afin d’assurer le stock nécessaire et éviter ainsi toute pénurie».
Par ailleurs, des promotions spéciales sont consenties durant ramadan. «Cette année, on a programmé une remise de 10% appliquée, chaque jour, sur un seul rayon de produits et des jeux sur le réseau social Facebook permettent aux clients de gagner des points sur leur carte de fidélité», a aussi indiqué M. Zaafouri.
Les dépenses explosent
Certains consommateurs, entraînés par leurs envies effrénées, augmentent considérablement les niveaux de leur consommation au cours de ramadan, censé être le mois du jeûne, de l’abstinence et de la piété, les fidèles devant s’abstenir de manger, boire, fumer et d’entretenir des relations sexuelles de l’aube au coucher du soleil.
Selon des témoignages recueillis par l’agence Tap, la facture moyenne pour une liste de produits destinés aux besoins de consommation des 10 premiers jours du mois atteint 200 dinars, sans compter les dépenses quotidiennes pour l’achat des légumes, fruits et viandes.
Les dernières statistiques de l’Institut national de la consommation (INC) révèlent que la consommation des œufs et des pâtes alimentaires augmente de 100% au cours de ce mois. Les viandes rouges (ovines et bovines) viennent ensuite en grimpant, respectivement, de 55% et de 50%. La consommation du lait et dérivés augmente, quant à elle, de 70% et celle des viandes blanches de 40%.
Selon la même source, la courbe de variation de la consommation, au cours de ramadan, montre une hausse de 35% des dépenses ménagères au cours de la 1ère semaine du mois, avant de baisser au cours des 20 derniers jours. Cependant, un retour à la hausse est relevé pendant la dernière semaine, n raison des préparatifs de la fête de l’Aid marquant la fin du mois du jeûne.
D’après l’INC, le tiers des revenus des familles tunisiennes est consacré à l’achat des produits alimentaires pendant ramadan. Cette frénésie d’achat, qui intervient dans une conjoncture économique et sociale difficile, caractérisée par un taux de chômage élevé (15% au cours du premier trimestre 2015) et une inflation galopante de plus de 5%, s’explique par une volonté du Tunisien de compenser sa privation de manger et de boire pendant la journée, en augmentant sa consommation durant les heures de la soirée, explique le sociologue Taieb Touil. D’où, selon lui, l’approvisionnement en fruits secs, feuilles de brik, bsissa, sorgho, soupe d’orge et autres produits…
D’après le sociologue, on ne peut dire que le jeûneur n’accorde pas, aujourd’hui, d’intérêt à l’aspect religieux, mais cette préoccupation a perdu de son importance. De nouvelles habitudes, liées notamment au stockage de la nourriture et aux soirées festives, sont venues, en effet, s’ancrer progressivement dans le comportement du consommateur tunisien, indique encore le sociologue, qui regrette, à ce propos, l’absence d’études sur le comportement du Tunisien pendant ramadan.
Les Tunisiennes face ramadan
Pour Hela Zaied (36 ans, femme au foyer), les dépenses de consommation pendant ramadan atteigne au minimum pour ce qui la concerne 1.500 dinars. «Il m’arrive de m’endetter pour satisfaire les besoins de ma famille durant ramadan… Mon mari, qui travaille dans une société privée, touche un salaire de 1000 dinars, totalement dépensé dans l’achat de produits alimentaires», explique la mère de famille. Elle ajoute : «Pendant ramadan, mes dépenses ne sont pas identiques à celles du reste de l’année. Nous mangeons plus de viandes rouges ainsi que du poisson et davantage de sucreries, qui deviennent nécessaires après la rupture du jeûne».
Contrairement à Hela, Khadija, la quarantaine, ne change pas son comportement de consommation pendant le mois saint. Elle est également femme au foyer, mais se dit «rationnelle», c’est-à-dire, selon ses mots, «ni très économe, ni très gaspilleuse». «Mes dépenses demeurent les mêmes tout au long de l’année, ne dépassant pas les 500 dinars par mois, y compris pendant ramadan. Elles me permettent de faire mes emplettes en légumes, fruits et viandes rouges et blanches et autres produits divers», dit-elle.
Toutefois, pour y parvenir, Khadija reste fidèle à certaines habitudes, dont la «oula» ou «mouna», qui consiste à préparer des réserves alimentaires. Elle compte ainsi beaucoup sur ses provisions en huile d’olive, sorgho, pâtes, couscous et épices pour répondre à tous les besoins de sa famille. «La oula me permet de réduire mes dépenses, d’autant que les prix, au cours de ramadan, connaissent une hausse considérable, malgré les contrôles», explique encore Khadija.
Hana (44 ans), inspectrice des finances, a elle aussi son «truc» : au cours de la 1ère période de ramadan, elle achète de grandes quantités de conserves alimentaires. «Puis je fais mes emplettes au jour le jour, pour ce qui est des viandes blanches, poissons, fruits et légumes, moyennant une somme oscillant entre 15 et 20 dinars par jour. Ce qui est éreintant au plan coût… Nous sommes une famille nombreuse et je me trouve obligée de préparer plusieurs plats, à savoir la soupe, la salade, le plat principal, les amuse-gueules et le brik, qui est une entrée préparée tous les jours», ajoute-t-elle.
L’ODC appelle à rationaliser la consommation
Pour Thoraya Tabassi, vice-présidente chargée des affaires sociales au sein de l’Organisation de défense du consommateur (ODC), le Tunisien doit faire preuve d’un certain niveau de conscience, en rationalisant sa consommation surtout avec l’avènement de ramadan afin d’éviter le recours aux crédits de consommation, qui connaissent une forte hausse au cours de ce mois.
«Malheureusement, le comportement du consommateur tunisien n’est pas rationnel, surtout lorsqu’on voit cette frénésie d’achats se propager en dépit de l’appauvrissement de la classe moyenne tunisienne et des dépassements que l’on relève sur le marché (contrebande, commerce parallèle, monopole, tricherie…)», dit Mme Tabassi. «Le Tunisien devrait éviter d’acheter les produits de consommation exposés dans la rue de manière anarchique et boycotter, s’il le faut, les produits vendus à des prix gonflés», explique-t-elle.
D’après la responsable, le boycott est un moyen très efficace pour induire une réduction des prix. Elle souligne le rôle de l’ODC dans le contrôle du marché durant ramadan: «Nous avons tout un programme de sensibilisation au cours de ce mois, à travers l’organisation de soirées ramadanesques destinées à diffuser une nouvelle culture de consommation faisant appel à la vigilance et à la responsabilité du consommateur».
«On pourrait lutter contre la hausse des prix, qui est le souci majeur du Tunisien, en évitant la frénésie de consommation et en tenant compte de son pouvoir d’achat, très affecté par la spéculation, la contrebande et le commerce parallèle sévissant dans le marché tunisien», fait remarquer la responsable de l’ODC, qui estime aussi que le gouvernement doit jouer pleinement son rôle de régulation, de contrôle et de lutte contre les abus du marché parallèle.
Mme Tabassi, appelle à ce propos, à amender la loi sur la concurrence et les prix, afin de criminaliser les infractions commises à l’encontre du consommateur et renforcer les sanctions prévues à cet effet.
I. B. (avec Tap).
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