Lettre ouverte à son excellence le président de la république Béji Caïd Essebsi à propos de la pseudo-alliance entre Nidaa Tounes et Ennahdha.
Par Ali Bakir*
Monsieur le président,
Dès que vous aviez engagé les pourparlers avec Ennahdha pour la constitution d’un soi-disant gouvernement d’union nationale, j’ai commencé à souffrir.
Je ne regrette pas d’avoir couru et braillé, dans diverses régions, pour le succès de votre parti et le vôtre car je l’ai fait pour ma patrie et l’avenir de mes enfants. Je l’ai fait en croyant en vous, en tant qu’héritier des grandes valeurs de Bourguiba.
Ne me parlez surtout pas d’islamiste modéré et démocrate. La meilleure preuve en est Erdogan et son islamisme modéré que nos «Ikhwans» (Frères musulmans) veulent prendre comme exemple de réussite pour nous convaincre de leurs bonnes intentions. La dictature de son parti et sa corruption sont de notoriété publique. Nos Nahdhaouis ne sont pas meilleurs…
Aujourd’hui, il ne s’agit plus de souffrance mais d’abattement en attendant l’agonie si la Tunisie continue d’«avancer» dans la même direction… La déception est le sentiment d’une majorité des Tunisiens et surtout de la majorité de vos électeurs, majorité qui, je vous le rappelle, est féminine.
Au lendemain des élections, j’ai été déçu car j’ai réalisé que plusieurs membres de Nidaa Tounes, auquel j’avais adhéré, ont commencé à «s’entretuer» politiquement en briguant les postes de «responsabilité», au lieu de réfléchir aux stratégies à proposer pour réaliser les actions proposées par le programme du parti en pensant au bien du pays.
Le moins qu’on puisse dire est qu’ils sont en fait «irresponsables». D’ailleurs on ne voit encore rien transparaitre de ce programme depuis plus six mois et c’est normal, puisqu’il ne doit logiquement pas avoir l’adhésion des membres du gouvernement affiliés à d’autre(s) parti(s) qui aurai(ent) dû faire partie de l’opposition !
Vous avez parlé de «moussalha» (réconciliation), je veux bien. Mais comment cela se pourrait sans «mouhassaba» (reddition de compte) de ceux qui ont fait du mal à notre cher pays, aussi bien avant qu’après la «pseudo-révolution»? Qu’on ne fasse que leur demander au moins de reconnaître leurs erreurs et de s’en excuser publiquement ou de les traduire devant la justice est une autre question. Nous pouvons, à la rigueur, fermer les yeux sur ceux qui, publiquement, ont menacé le peuple d’un bain de sang (en particulier le ridicule Sahbi Atig) ou qui ont déclaré que «nous tuer est un devoir» (l’ignare Sadok Chourou approuvé par le triste sire Habib Ellouze)!!
Mais, comment ne pas mettre à jour les détournements de l’argent du peuple : où en sont les enquêtes sur ceux d’avant la révolution qui se sont retrouvés miraculeusement blanchis!! Qui les a blanchis et moyennant quoi et avec quelles complicités? Comment ne pas enquêter sur l’enrichissement «soudain» de certains hauts responsables sous le mandat de la Troïka, l’ex-coalition gouvernementale conduite par Ennahdha, et dont nombreux ministres et secrétaires d’Etat sont hors-la-loi pour n’avoir pas jusqu’à ce jour déclaré leurs biens (fort modestes par rapport aux actuels hypertrophiques) dans les délais requis après leur nomination? Qu’a-t-on fait des sociétés prospères confisquées et qui se retrouvent curieusement en faillite après une gestion douteuse et suspecte? Mais surtout comment ne pas demander de rendre des comptes à ceux qui ont mis en péril les principales institutions qui protègent et assurent la stabilité l’Etat ? Noureddine Bhiri a affaibli l’appareil judiciaire et a été complice dans la libération de criminels patentés, Moncef Marzouki a décapité l’état major de l’armée et Ali Larayedh a complété le démantèlement de la sûreté nationale commencé par L’inénarrable Farhat Rajhi sous l’influence de sa copine Sihem Bensedrine (qui, curieusement, continue à présider l’Instance Vérité et Dignité dont elle est parfaitement indigne).
Lorsque des journalistes d’investigation ont tiré la sonnette d’alarme quant à l’existence de groupes de terroristes dans nos montagnes, de l’existence de caches d’armes et dont certaines dans les mosquées, ils ont été démentis, voire menacés par les «hauts» responsables du ministère de l’Intérieur, y compris l’ancien ministre Larayedh qui a dit publiquement que c’était une «fazaa» (épouvantail) manigancée par les anti-Ennahdha. Ce dernier, qui a empêché la capture du chef terroriste Abou Iyadh, se justifie en déclarant qu’il voulait éviter un bain de sang !! Il avoue donc qu’il SAVAIT que la mosquée abritait une «bande» armée!! La police tunisienne dont nous connaissons la haute compétence ne pouvait pas l’ignorer jusqu’à ce fameux jour? Donc on ne peut parler d’incompétence par laxisme mais bel est bien de complicité dont j’accuse les plus hauts responsables de cette obscure époque!!
Qui a donné le visa à la constitution d’un parti qui ne reconnait pas la république et encore moins la démocratie? Plus tard le parti a été classé comme organisation terroriste mais aucun de ses dirigeants n’a été arrêté à ce jour!! Vaste comédie.
Qui a ouvert la porte des prisons aux pseudo-imams pour soi-disant remettre sur le droit chemin des criminels sans les contrôler et qui, en fait, étaient des recruteurs de criminels dont bon nombre se sont retrouvés membres des fameuses Ligues de protection de la révolution si chères à Marzouki…
Qu’ont révélé les enquêtes sur le recrutement, la remise de passeports à ceux qui ont été engagés dans le jihad en Syrie? Ceux qui en sont revenus miraculeusement, n’ont-ils pas été interrogés? N’ont-ils rien révélé? Qui le croirait?
Aujourd’hui, en suivant les débats de l’Assemblée des représentants du peuple (pauvre peuple constamment berné par des députés aussi nuls que leurs prédécesseurs de l’ANC et dont au moins une bonne moitié était absente alors qu’on débattait du sujet brûlant en la présence du chef du gouvernement !!), je riais tristement car, pour la énième fois, j’entendais des représentants de certains partis (dont Larayedh) réitérer un discours qu’ils tiennent depuis l’attentat du Bardo et prônant l’unité nationale pour lutter ensemble contre le terrorisme et pour cela CESSER DE STIGMATISER certains anciens responsables du gouvernement «troïka» !
Il est dramatiquement drôle de voir prôner l’union nationale les mêmes personnes qui ont voulu diviser les Tunisiens en bons musulmans et en laïcs-mécréants allant jusqu’à refuser la nomination d’un ministre parce qu’il est de confession juive en oubliant qu’il est avant tout Tunisien et qu’il a eu plus d’une fois une attitude plus patriotique que la leur! Leur hypocrisie va jusqu’à manifester contre le terrorisme au Bardo et à Sousse, eux qui ont été naguère poseurs de bombes, agresseurs de filles aux acides et qui, il n’y a pas si longtemps, flirté avec certains membres de Ansar Charia.
Qui se sent morveux se mouche… et évidemment cherche des arguments fallacieux. Comment accepter que vous vous unissiez à ces gens-là ?
Monsieur le président,
Vous êtes un éminent juriste doublé d’un politicien fin et expérimenté. Serait-il inutile de vous rappeler que seule la JUSTICE est garante de la démocratie? Et par là on entend tout ce qui implique la justice sociale (respect des droits) dont la principale exigence est l’application de LA LOI à tous sans distinction. Je vous rappelle que le sieur Imed Daïmi, complice d’un faux élu, continue à siéger impunément sans que la justice (sous quelles pressions?) ne demande la levée de son immunité parlementaire!!
Comment voulez-vous que la faillite de la gouvernance, ajoutée aux profondes inégalités sociales et à l’absence de sécurité, ne fasse pas le terreau de la contrebande, du crime et du développement du terrorisme (en toute sécurité).
Vous pourrez déclarer la guerre au terrorisme, mais vous n’aboutirez à aucun résultat, à part l’arrestation de quelques groupuscules (actions mineures dont se gargarisent certains) qui seront immédiatement remplacés par d’autres qui continueront de profiter de la complicité des marginalisés et des contrebandiers et ces derniers de la protection d’intouchables cerveaux hauts placés, dont certains, démasqués, n’ont pas plus été inquiétés!! Et vous aurez sur la conscience la mort de plusieurs autres agents et soldats dont les familles n’ont reçu une indemnité de compensation digne de ce nom, contrairement à certain faux-révolutionnaires qui se sont bien sucrés au passage…
Monsieur le président,
Je n’ai certainement pas la compétence ni les moyens d’un chef d’Etat pour qui, connaissant les dossiers, il est primordial d’avoir une vision globale des actions à entreprendre. Mais le bon sens populaire, vu l’état des lieux, dicterait:
– qu’il faille préserver l’Etat et pour cela avoir un gouvernement fort (ce qui est loin d’être le cas) et qui prenne ses responsabilités! Par exemple en faisant fi des déclarations de certains obscurs «droits-de-l’hommistes» qui refusent d’appliquer l’actuelle loi antiterroriste (en attendant la nouvelle) en agitant le spectre du retour à la justice de Ben Ali. De quels droits parle-t-on et dont pourraient bénéficier des terroristes? Parmi ceux-là certains (dont la Samia Abbou) ont nié l’existence de cellules dormantes de Daêch chez nous et les évènements viennent de prouver le contraire;
– que personne ne doive échapper à la justice y compris le chef de l’Etat comme dans toutes les démocraties qui se respectent. Cela implique, bien évidemment, d’abolir la loi d’autoprotection de Ben Ali et surtout de remettre sur pied notre système judiciaire qui doit jouir d’une réelle indépendance vis-à-vis l’exécutif et ceci bien sûr sous contrôle;
– créer une instance judiciaire spécialisée dans la lutte antiterroriste et dont les membres et leurs familles doivent être protégés pour éviter qu’ils soient menacés et soumis à des pressions;
– que vous exhortiez le gouvernement à faire le nécessaire à fin de diminuer, autant que faire se peut, les inégalités sociales. Pour cela, j’aurais des suggestions sur des mesures, entre autres celles permettant de réduire les dépenses de l’Etat, et que je me réserve de faire dans une prochaine lettre ouverte au chef du gouvernement ;
– que vous ordonniez de «reconstruire» l’appareil de la sûreté nationale. La suppression de la fonction d’un directeur général de la sûreté est incompréhensible. L’affaiblissement de cet appareil a été prouvé par les défaillances lors de l’attentat du Bardo et la grave erreur de ne prendre aucune mesure efficace et dissuasive nécessaire après le Bardo malgré les menaces émises ouvertement depuis début Ramadan. A côté des incompétences des complicités ne sont pas à exclure.
Est-il normal que la police mette 40mn pour arriver sur les lieux du crime à Sousse et que nous découvrons par la presse étrangère le portrait robot du second terroriste qui a réussi à échapper et demeure introuvable?;
– que vous renforciez les moyens de l’armée qui risque d’avoir des moments encore plus pénibles à affronter;
– que vous protégiez la nouvelle génération des laveurs de cerveau des écoles coraniques et des faux imams et que vous fassiez réviser les programmes d’enseignement catastrophique;
– que vous protégiez et fassiez confiance à nos braves journalistes et nos responsables de l’information qui ont un rôle déterminant dans l’édification d’une vraie démocratie. Ce que viennent de subir, par une procédure illégale, un grand journaliste-animateur et un chroniqueur hyper compétent du meilleur plateau politique télévisé est simplement honteux et indigne!
Bien d’autres mesures sont à prendre mais celles-là seront suggérées au chef du gouvernement car elles relèvent de sa compétence.
Monsieur le président,
Agir FERMEMENT EST URGENT et est la condition sine qua none du sauvetage du pays qui risque d’aller à la dérive.
Par la faute de Ben Ali, le comportement du peuple tunisien n’est certainement pas exemplaire car il a été «déculturé», marginalisé, encouragé à «combiner» et, pour finir, après la «pseudo révolution» la débande et l’indiscipline non réprimées ont aggravé les choses. Mais attention, le peuple n’est pas crédule. Disons tout haut ce que la majorité du peuple pense et exprime tout bas : on a l’impression que cette pseudo-union entre Nidaa et Ennahdha relève d’un simple et bas marchandage: Ennahdha ferme les yeux sur les exactions de certains anciens hauts responsables RCDistes, aujourd’hui récupérés par Nidaa (en particulier enrichissement illicite, intervention dans la justice, etc.) et Nidaa ferme les yeux sur celles de certains Nahdaouis, et on se partage le gâteau.
Aujourd’hui le peuple, qu’il faudrait remettre au travail et discipliner à commencer par le haut de l’échelle qui doit donner l’exemple pour pouvoir être exigent, commence à gronder et à protester par des grèves souvent sauvages et des manifestations de moins en moins pacifiques.
Demain ce peuple risque d’en avoir ras-le-bol général une fois encore et ce sera la fois de trop qui ouvrira nos portes à la destruction du pays souhaitée par les inconscients qui rêvent encore du 6e califat…
Puisse Dieu vous mettre sur le «Bon Chemin» !
* Professeur en médecine.
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