C’est l’histoire d’un fils sans charisme ni compétence, entouré d’une cour de viles opportunistes, qui est en train de détruire ce que son père a mis une vie à construire.
Par Salah El Gharbi*
Si tous les hommes de bonne foi ont salué le prix de Nobel de la paix accordé au Quartet, il serait injuste de ne pas reconnaitre le mérite d’un homme dont la présence active avait contribué à ce grand succès, en l’occurrence l’actuel président de la république, Béji Caïd Essebsi (BCE), dont l’histoire gardera, par ailleurs, le nom pour les précieux services rendus au pays durant les cinq années écoulées…
Après «Si Lahbib», «Si Béji»
En effet, c’est au cours de cette période que «Si Béji», cette force tranquille, grâce à sa sagesse, sa pondération, son habileté politique, a su conquérir la sympathie de la majorité des Tunisiens et s’assurer leur confiance forçant même le respect de ses ennemis politiques. Après Habib Bourguiba, ou «Si Lahbib», «Si Béji» est incontestablement l’homme politique qui aura marqué le plus l’Histoire de la Tunisie de l’après indépendance.
Habib Bourguiba, auquel Béji Caïd Essebsi aime ressembler, a su maintenir son fils loin des manoeuvres du palais.
Toutefois, aujourd’hui, et contre toute attente, l’homme politique qui nous a toujours épatés, par sa clairvoyance, sa détermination et son sens de l’Etat, s’il continue, par ailleurs, à assumer, pleinement et avec brio, sa fonction à la tête de la magistrature suprême, étonne plus d’un quant à son attitude indulgente vis-à-vis des manœuvres conduites sournoisement par son fils et qui menacent la survie même du parti dont Si Béji est le fondateur. Et l’étonnement cède la place à l’indignation.
Certains vont même jusqu’à suspecter le sage homme politique qu’est BCE de complicité avec son fils dans le combat «politique» que ce dernier mène contre ses rivaux. Face à la cacophonie ambiante que suscite les manœuvres politiciens des uns et des autres, on peut que se poser des questions : où allons nous?
En fait, le duel «politique», auquel nous assistons perplexes, oppose manifestement, deux clans incarnés par : d’un côté, le fils, Hafedh Caïd Essebsi. Il s’agit d’un homme sans charisme, ni compétences exceptionnelles et ne brillant que par son honorable filiation, et qui s’est toujours persuadé d’avoir une vocation et un destin politiques. Pour parvenir à réaliser ses rêves d’enfant, le fils s’est entouré d’une cour d’opportunistes qui, pour se faire adouber par le père, s’empressent de louer les «qualités peu communes» et les mirifiques exploits du fils. Le camp adverse, lui, offre une mosaïque de profils. A côté de la réelle compétence, on trouve des gens, à l’image du secrétaire d’Etat qui vient de s’auto-limoger, Lazhar Akremi, très médiocres (au sens étymologique du terme).
D’ailleurs, cette histoire de «l’ambition filiale» nous fait, malheureusement, penser à Jamel Moubarak et à ses hasardeuses ambitions, à l’ombre de son père, lesquelles ambitions ont eu des conséquences néfastes aussi bien sur l’image du père que sur la vie politique égyptienne des années 2000. Certes, BCE n’est pas Moubarak, et le contexte politique n’est pas le même. Mais il serait tout de même affligeant de constater que les agissements irresponsables du fils soient en train de détricoter ce que le père a tricoté laborieusement durant ces dernières années, d’éclabousser quelque peu l’image de cette force tranquille que le père a su incarner contre vents et marées… Pis encore. Il est même légitime de se demander si les fanfaronnades du fils ne seraient pas en train de mettre en danger le parti au pouvoir, compromettant ainsi la bonne marche de cette période délicate par laquelle passe le pays.
Béji et Hafedh Caïd Essebsi: une tentation dynastique.
Les «Frères» aux aguets
En effet, face aux «Frères» aux aguets, Nidaa n’est nullement à l’abri des dissensions et peut sombrer à tout moment. Et si le navire Nidaa sombrait, et faute de véritables alternatives, le pays sombrerait avec. Car, à l’heure actuelle, ni les perdants des dernières élections, ni le Front populaire ne seraient en mesure de faire le poids face aux islamistes. Quoi qu’en disent ses adversaires, la faillite de Nidaa ne pourrait que consacrer le retour à une configuration proche de celle de 2011. D’ailleurs, si certaines âmes trop sensibles comptent sur les déboires de ce parti pour revenir ou accéder aux affaires, elles se trompent.
En somme, la situation actuelle est délicate et exige que tout le monde prenne la mesure des enjeux et de leurs conséquences. Il est temps que la parole politique l’emporte sur l’indulgence paternelle, que le fils, qui devrait, par ailleurs, avoir des qualités dans d’autres domaines que la politique, reconnaisse ses propres limites, au lieu de s’acharner à faire une OPA sur un parti déjà amoindri. Il est temps aussi que les fans et les adversaires du fils soient humbles et cessent de se bousculer pour servir de petits plats insipides aux journaleux avides de petites phrases assassines qu’on lance telles des boules puantes.
* Universitaire et écrivain.
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