Accueil » Mehdi Ben Barka: Faire sauter les verrous de la raison d’Etat(s)

Mehdi Ben Barka: Faire sauter les verrous de la raison d’Etat(s)

Verite-sur-Mehdi-Ben-Barka

La société civile internationale continue d’exiger la vérité sur l’assassinat du militant marocain Mehdi Ben Barka, 50 ans après ce crime d’Etats.

Par Habib Trabelsi

«Nous sommes rassemblés chaque année, aussi nombreux et aussi heureux de nous revoir, mais également aussi déterminés à ne pas laisser le temps qui passe se transformer en oubli et en résignation. Nous sommes ici pour adresser aux dirigeants [marocains, français, israéliens et américains, NDLR] ce message: ‘‘Vous avez organisé l’oubli, vous souhaitez qu’on laisse tomber. Mais on n’oublie pas ! On ne laisse pas tomber ! Au bout de 50 ans, on est là ! On exige toujours la vérité ! Qui sont les assassins de mon père ? Où est son corps ? Quelles sont les responsabilités de la France, du Maroc et des Etats-Unis ?’’», a lancé Bachir Ben Barka avec aplomb.

Verite-Mehdi-Ben-Barka-son-epouse

L’épouse de Mehdi Ben Barka.

Pour le fils aîné de l’opposant marocain, comme pour les centaines de sympathisants (dont des représentants de partis politiques et de syndicats, des ambassadeurs, des magistrats, des avocats, des militants associatifs, des artistes, des journalistes…) présents devant cette brasserie mythique sur le boulevard Saint-Germain, il n’y a pas l’ombre d’un doute: le Maroc, la France, Israël et les Etats-Unis sont impliqués dans la disparation et l’élimination de Mehdi Ben Barka, une icône, au même titre que Che Guevara, Amilcar Cabral, ou Salvador Allende.

«Leurs responsabilités morales, historiques et juridiques sont partagées. Leur crime est à la mesure du danger que représentait pour eux l’organisation d’une solidarité internationale que préparait Ben Barka, dans la perspective de la Tricontinentale [la Conférence des peuples des trois continents: Afrique-Asie-Amérique Latine, NDLR]. Ses prises de position contre le néo-colonialisme et le colonialisme, contre l’apartheid, pour un socialisme non aligné, en firent la cible de bien des services secrets: ceux du Maroc, où Hassan II l’avait condamné deux fois à mort par contumace, ceux complices de la France, mais aussi la CIA et le Mossad israélien qui surveillaient de près ses positions sur le monde arabe», a-t-il expliqué.

Bachir-Ben-Barka

Bachir Ben Barka.

«Les autorités marocaines doivent permettre, sinon encourager, que les anciens agents de leurs services spéciaux soient entendus par la justice française. Elles doivent permettre, sinon ordonner, que des fouilles soient effectuées là où on pense qu’il y a des parties du cadavre de mon père [en particulier au PF3 (Point Fixe 3), le nom de code d’une prison secrète à Rabat, où se trouverait notamment la tête de Mehdi Ben Barka, NDLR]. Les autorités françaises devraient lever le secret Défense sur l’ensemble des archives de leurs services de sécurité (…). Les autorités israéliennes doivent donner à la justice française des précisions claires sur le rôle du Mossad dans la disparition de mon père (…). Les autorités des Etats-Unis devraient lever le secret Défense sur plus de 3000 pièces relatives à Mehdi Ben Barka, actuellement dans les archives de la CIA», a précisé l’orateur, en reprenant une expression chère à Louis Joinet, expert indépendant auprès du Comité des droits de l’Homme de l’ONU: «Il faut que la raison d’Etat cède la place à la raison politique».

Verite-Mehdi-Ben-Barka-son-epouse-2

Cinquante ans après, la mobilisation pour la vérité ne faiblit pas.

«Lutter contre les disparitions, c’est lutter contre l’oubli organisé par l’Etat», a renchéri Louis Joinet, qui préside le «Comité pour la vérité dans l’enlèvement et la disparition de Mehdi Ben Barka».

«Cinquante ans après… une chape de plomb pèse sur l’Affaire Ben Barka !.. Basta !!», «Faisons échec à l’organisation de l’oubli et à l’impunité!», devait scander des sympathisants.

«Ce mort aura la vie longue. Ce mort aura le dernier mot»

Saluant l’assistance imposante et les  nombreuses personnalités – en particulier les ambassadeurs de Cuba et de Bolivie en France, Hector Igarza et Jean Paul Guevara Avila, l’ancienne ambassadrice de la Palestine auprès de l’Union européenne, Leila Shahid «qui a toujours été présente pour le combat pour la vérité et pour la Palestine, à l’instar de Mehdi Ben Barka», ainsi que le Marocain Mustapha Brahma, secrétaire national de  la Voie Démocratique  (Annahj) –, Bachir Ben Barka s’est félicité de «la réunion des trois continents» sur le boulevard Saint-Germain.

Aussi a-t-il annoncé la prochaine mise en ligne d’une pétition appelant le rejet du fait accompli et la détermination à défendre la justice.

Leila-Shahine-et-Bachir-Ben-Barka

Leila Shahine devant la plaque commémorative.

«Des milliers et des milliers de personnes sont appelées à lancer un message très fort aux dirigeants français, marocains et autres pour briser le mur du silence et faire sauter les verrous des raisons des Etats, qu’elles soient marocaines, françaises, israéliennes ou américaines», a lancé Bachir, en répétant la fameuse formule de l’historien et journaliste français Daniel Guérin

«Ce mort aura la vie longue. Ce mort aura le dernier mot».

Puis il est allé déposer une gerbe de fleurs sur un trottoir, face à la brasserie Lipp, au pied de la plaque commémorative dédiée en octobre 2005 par l’ancien maire de Paris, Bertrand Delanoë, au leader de l’opposition marocaine, 40 ans après l’enlèvement.
Bachir, qui n’avait que 14 ans lorsque son père a disparu, était au côté de Rita Ben Barka, qui ne s’est jamais remise de la disparition de son époux, mais qui n’a jamais été reçue par aucun des présidents qui se sont succédés à l’Elysée.

Cinquantenaire-de-la-mort-de-Ben-Barka-Lipp

L’Etat français doit honorer ses engagements envers la vérité.

«La France a perdu sa souveraineté face au Maroc»

Interrogé par Kapitalis avant la fin du rassemblement sur  les réticences de Paris à lever le secret Défense sur toutes les archives relatives à «l’Affaire Ben Barka», alors que le président François Hollande s’était «engagé au nom de la France» en  juillet 2013 dans un discours à l’Assemblée nationale constituante (ANC) en Tunisie pour que toutes les archives relatives à l’assassinat en 1952 du leader syndical Farhat Hached soient rendues publiques, Bachir s’est borné à dire: «Il faudrait poser cette question à François Hollande».

Bachir Ben Barka a en revanche déploré la signature en juillet dernier d’un protocole d’entraide judiciaire controversé entre la France et le Maroc, qui a mis fin à une brouille diplomatique avec Rabat.

Le nouveau protocole d’entraide judiciaire prévoit notamment que les plaintes déposées en France contre des ressortissants marocains seront désormais examinées prioritairement par Rabat.

Cette nouvelle convention de coopération judiciaire franco-marocaine a été vivement contestée par des organisations de défense des droits de l’Homme et des magistrats français, y voyant un moyen de favoriser l’impunité pour les responsables marocains suspectés de graves violations des droits humains.

Le Premier ministre français Manuel Valls devait ensuite tenter de dissiper ces inquiétudes. «C’est là une garantie d’impunité à tous les dérapages et actes criminels que seraient tentés de commettre les agents sécuritaires du régime marocain», a toutefois répété Bachir Ben Barka.

Habib-Trabelsi

Habib Trabelsi.

Pour Joseph Tual, Grand Reporter à France3 et auteur du documentaire inédit ‘‘Ben Barka, l’obsession’’, ce protocole est «une honte : la France a capitulé sur ses valeurs. Elle a perdu sa souveraineté face au Maroc».

«Peu avant de quitter ma fonction, j’ai fait une démarche, inhabituelle pour moi, qui était d’aller rencontrer un haut responsable du parti socialiste pour faire passer le message au président Hollande en lui disant que la France grandirait à faire que la vérité avance, que des pressions seraient exercées auprès des autorités marocaines et que les mandats d’arrêt, première démarche juridique simple, soient diffusés. Je m’attendais à un plus grand enthousiasme de la part de mon interlocuteur qui a transmis, m’a-t-il dit, mais je ne crois pas avoir aperçu que les mandats d’arrêt avaient été finalement diffusés. Donc, je crois que cette démarches a été inutile», confie Patrick Ramael, juge d’instruction de 2003 à 2014, l’un des dix juges d’instruction qui se sont penchés jusqu’à ce jour sur l’«Affaire Ben Barka», «sans conteste, l’un des plus gros scandales d’État du XXe siècle», écrivait récemment Marc Leplongeon, dans ‘‘Le Point’’.

* Journaliste.

Donnez votre avis

Votre adresse email ne sera pas publique.

error: Contenu protégé !!