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La démocratie est davantage réalisable en Tunisie qu’en Egypte et au Maroc

Tunisie-Maroc-Egypte

Les perspectives du processus de démocratisation sont plus réelles en Tunisie qu’au Maroc et en Egypte. Les Etats-Unis doivent en tenir compte.

Par Sarah Yerkes *

Face à toute la confusion et la tragédie auxquelles la région moyen-orientale est confrontée aujourd’hui, il y a eu peu de développements positifs récents, particulièrement dans les domaines de la réforme politique en Tunisie, au Maroc et en Egypte.

Dans le premier cas, d’une manière générale, je reste optimiste quant aux perspectives à long terme du processus de démocratisation, alors que, dans les deux autres cas, je demeure sceptique sur les chances du moindre effort sérieux de réforme.

Dans mon analyse, j’essaierai de présenter les éléments positifs et négatifs dans chacun de ces cas et je conclurai ma réflexion par quelques remarques sur les conséquences que les évolutions dans ces trois pays peuvent avoir sur la politique des Etats-Unis.

La Tunisie: une lueur d’espoir et quelques taches

Dans le cas de la Tunisie, il y a de nombreux éléments positifs à relever – à commencer, par exemple, par la récente attribution du prix Nobel de la paix au Quartet du Dialogue national. Cette consécration a valeur de reconnaissance internationale du succès de la Tunisie et d’un constat de la voie semée d’embûches que le pays a parcourue.

Les scrutins présidentiel et parlementaire de 2014, sur l’indépendance et la liberté desquels les observateurs nationaux se sont accordés unanimement, ont été un autre élément positif dans le cas tunisien. Cette année, la Freedom House a également reconnu la Tunisie comme étant le seul pays arabe «libre». Et la Tunisie est pays où la société civile est forte et dynamique, bien que n’étant pas nécessairement toujours victorieuse: elle a critiqué, haut et fort, les décisions récentes du gouvernement sur la loi antiterroriste et les efforts de la vérité et de la réconciliation.

En dépit de ces réussites, la Tunisie est confrontée à des enjeux de taille. Premièrement, la Tunisie doit s’entendre sur la loi de la réconciliation et la mise en œuvre des mesures de la réconciliation économique, qui ont donné lieu à de vives controverses. La Tunisie ne s’est toujours pas attaquée, comme il se doit, à cette question des abus de l’ancien régime.

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Le prix Nobel de la paix au Quartet du Dialogue national a valeur de reconnaissance internationale du succès de la Tunisie.

Deuxièmement, la Tunisie compte tenir ses premières élections municipales libres en octobre 2016 – bien que cette date pourrait changer. Ce scrutin offre à la Tunisie la chance de s’engager dans la sérieuse entreprise de la décentralisation de son système politique et de la dévolution du pouvoir à l’échelle locale. Ceci représente un pas décisif dans toute transition démocratique et offre la possibilité de créer un lien plus direct entre le peuple et son gouvernement. La décentralisation peut, dans le même temps, soulager le gouvernement central de certaines tâches ayant trait, par exemple, à la collecte des ordures ou la prestation d’autres services de tous les jours.

La Tunisie fait également face au risque d’autres attaques terroristes. Le gouvernement est toujours à la recherche du juste équilibre entre la garantie de la défense et de la sécurité du pays, d’une part, et la dérive autoritaire, de l’autre – ainsi que l’ont démontré la nouvelle loi antiterroriste, les arrestations en masse et l’instauration de l’état d’urgence au lendemain de l’attentat terroriste de Sousse, l’été dernier. Cette tâche requiert un degré élevé de professionnalisme des services chargés de l’application de la loi et de la sécurité, dans le cadre d’un vaste programme de réforme de l’appareil sécuritaire tunisien.

Maroc: Ne vous laissez pas induire en erreur par la façade

Le Maroc a pu réaliser quelques progrès sur la voie de la réforme démocratique. Les mouvements de protestation de 2011 ont donné lieu à l’adoption d’une nouvelle constitution, permis l’élection d’un nouveau parlement et d’un chef de gouvernement islamiste, Abdelilah Benkirane. Cet aspect est d’importance à double titre: avant 2011, le parti de Benkirane, le Parti de la justice et du développement (PJD), a toujours été dans l’opposition; le PJD est le seul parti islamiste qui a accédé au pouvoir à la faveur d’élections au lendemain du Printemps arabe et il y est encore.

Le mois dernier, des élections régionales et municipales ont eu lieu au Maroc, en vertu d’un nouveau processus de décentralisation. Sur le papier, l’objectif consiste à déléguer aux autorités locales certains pouvoirs du gouvernement central, accorder le droit au peuple d’établir une relation directe avec les instances de la prise de décision – ainsi que je viens de l’examiner, dans le cas de la Tunisie. Seulement, à l’image de tout le processus de réforme au Maroc, cet effort de décentralisation, en réalité, n’implique aucunement une véritable dévolution de pouvoir, étant donné que les walis (gouverneurs), qui sont choisis par le roi, conservent un droit de véto absolu sur les décisions des conseils régionaux.

Pour plusieurs raisons, je doute qu’il existe des chances au Maroc pour la réalisation de réformes réelles. Premièrement, la Constitution de 2011 n’a pas engagé de changement réel. Le pouvoir dans sa quasi-totalité est toujours aux mains du roi et du Makhzen (le cercle restreint de la prise de décision). En outre, quatre ans plus tard, plusieurs lois organiques de la nouvelle constitution attendent encore d’être mises à exécution. Ainsi, bien qu’étant un document impressionnant, la nouvelle constitution marocaine n’a rien changé à la réalité politique du pays.

Plus inquiétant encore, l’an dernier, le gouvernement marocain a donné libre cours à l’usage de la force brutale contre les journalistes et certains dirigeants de l’opposition, a interdit les rassemblements des associations de droits de l’Homme et menacé de porter des accusations criminelles contre les activistes récalcitrants. De plus, les prochaines étapes de la réforme au Maroc n’ont toujours pas été définies. L’effort de décentralisation récent aurait pu être une avancée sérieuse sur la voie de la réforme. A présent que cette démarche a été, pour une bonne part, mise en application, il faudra attendre de voir ce que le gouvernement fera pour que cette entreprise continue de progresser et qu’elle soit menée jusqu’à son terme.

Egypte: De faux pas en avant et de véritables pas en arrière

Il est difficile de trouver des signes positifs dans le cas égyptien, mais les élections législatives qui se tiennent actuellement dans le pays pourraient inspirer un certain espoir. Tout d’abord, étant donné que l’Egypte n’a plus eu de parlement depuis 2012, le fait qu’un scrutin parlementaire s’y tienne, finalement, peut représenter, à priori, une bonne chose.

En outre, à cette occasion, le gouvernement égyptien a autorisé la présence d’observateurs nationaux internationaux, y compris des Ong et des ambassades étrangères –ce qui n’a pas été le cas auparavant.

De plus, théoriquement, le nouveau législatif égyptien peut exercer une certaine influence sur le chef de l’exécutif égyptien et servir de contrepoids au pouvoir du président Al-Sissi. Selon la constitution égyptienne de 2014, le parlement avalise le gouvernement nommé par le président, ou refuse de le cautionner, il a le droit d’appeler, par le vote des 2/3 de ses membres, à la tenue d’élections anticipées afin d’écarter le président.

Cependant, ces dispositions permettant au législatif de circonscrire les pouvoirs du président de la république égyptienne n’auront de sens que si les Egyptiens élisent des représentants du peuple ayant des vues politiques différentes de celles du président et étant prêts à faire le sacrifice de leur avenir politique (et à prendre le risque de se trouver derrière les barreaux) en s’opposant au président de la république. Qui sont-ils ces candidats aux élections législatives égyptiennes?

Plusieurs anciens membres de l’armée et responsables de la police et d’anciens membres du parti de Hosni Moubarak, le Parti national démocrate (PND), prennent part au scrutin législatif sur des listes partisanes différentes ou en tant que candidats indépendants. Plusieurs des listes en lice sont ouvertement en faveur du régime en place, y compris la liste «Pour l’amour de l’Egypte», à laquelle les sondages accordent de bons scores. Le Front de la coalition égyptienne est reconnu comme étant étroitement associé au régime de Hosni Moubarak. En définitive, tous ceux qui auraient pu représenter une opposition sérieuse et crédible ont été soit disqualifiés ou ils ont décidé de boycotter l’élection parlementaire: les partis de gauche ont refusé de prendre part au scrutin et le Parti (islamiste) de la liberté et de la justice a été tout simplement interdit et dissous en 2014.

La première grande épreuve du nouveau parlement sera la révision des 200 décrets-lois que le président Al-Sissi a adoptés en l’absence du pouvoir législatif. Alors que la constitution stipule que tous ces décrets soient soumis à la révision du parlement et qu’ils soient abrogés, si le parlement n’agit pas dans un délai de 15 jours, un parlement qui sera constitué, selon toute vraisemblance, d’éléments pro-Al-Sissi ne fera sans nul doute qu’entériner ces décrets-lois et les transformer en lois, sans même prendre la peine de les lire.

En somme, l’Egypte et le Maroc se trouveront avec des parlements dans une large mesure impuissants.

Que devrait faire Washington?

A bien regarder, l’administration américaine actuelle a montré peu d’intérêt à appuyer la réforme politique au Moyen Orient. Dans ses déclarations publiques, le président Obama a laissé comprendre que les questions de la démocratie et des droits humains, bien qu’importants à ses yeux, ne constituent pas des intérêts centraux pour les Etats-Unis.

Dans le discours, la Maison Blanche et le département d’Etat soutiennent le principe de la réforme démocratique et ils ont salué, à maintes reprises et avec beaucoup d’enthousiasme, le succès de la Tunisie. Pourtant, la réalité est une histoire tout autre: la distribution de l’aide américaine n’a jamais suivi les belles paroles du gouvernement des Etats-Unis.

De fait, le niveau de l’assistance militaire et économique américaine à la Tunisie restent très en-deçà de ce dont le pays a besoin pour consolider ses acquis démocratiques.

Cette contradiction de l’administration américaine est particulièrement évidente lorsque l’on compare le volume des aides des Etats-Unis (de plusieurs milliards de dollars !) accordées à l’Egypte et à la Jordanie – en dépit de la dérive autoritariste dans le premier pays et de l’absence de progrès démocratique, dans le second.

Bien évidemment, chacun de ces pays a ses spécificités et chacun fait face à des défis particuliers. Mais, si l’administration américaine entend sérieusement donner un coup de pouce à la réforme politique, elle devrait appuyer son soutien théorique par un volume d’aide substantiel et digne de ce nom.

Indépendamment de l’issue des prochaines présidentielles américaines et de l’appartenance politique du prochain président ou de la prochaine présidente des Etats-Unis, il est peu probable que le locataire de la Maison Blanche investisse beaucoup de son temps et de son énergie à faire progresser la démocratie dans le monde arabe. D’ailleurs, fait très révélateur, cette question de la démocratie dans le monde arabe n’a pas jusqu’ici figuré dans les débats des primaires démocrates et républicaines. La plupart des candidats des deux partis maintiendront, selon toute vraisemblance, les mêmes relations avec l’Egypte, le Maroc et les autres pays de la région, et je ne m’attends pas à ce que la prochaine administration se tourne vers le ‘‘Freedom Agenda’’ de George W. Bush – pour le meilleur comme pour le pire.

Traduit de l’anglais par Moncef Dhambri

Source: ‘‘Brookings’’.

*Sarah Yerkes est collaboratrice émérite auprès au Center for Middle East Policy et membre du Council on Foreign Relations International Affairs. Elle a servi auparavant dans la section planification du Département d’Etat américain, où elle s’est spécialisée dans les Affaires nord-africaines. Elle a également été membre du staff chargé des dossiers palestinien et israélien, dans ce même département. Sarah Yerkes a occupé la fonction de consultante géopolitique auprès de la Direction de la planification et des politiques stratégiques (J5) au sein du Pentagone.

** Le titre est de la rédaction et les intertitres sont de l’auteur.

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