Dans sa guerre contre le terrorisme, la Tunisie a besoin d’une autre politique, d’un gouvernement de battants, de ministres déterminés et d’un chef à poigne.
Par Tarak Arfaoui
La situation sécuritaire critique de la Tunisie a besoin sans discussion d’une prise en main urgente, vigoureuse et intransigeante au niveau du pouvoir pour s’opposer d’une manière radicale à la gangrène extrémiste qui s’incruste dans le pays. Les remèdes actuellement préconisés par la présidence de la république et, surtout, par le gouvernement, venus trop tard après une longue période d’errements, de tergiversation et de calculs politiques faits d’opportunisme et d’hypocrisie n’auront aucune portée tant que les donneurs d’ordre naviguent à vue avec hésitation, mollesse et sans une réelle détermination.
Trop de politique tue la politique
Il est évident que le président Caïd Essebsi n’est en définitive pas un caïd. Fin politicien, sentimental et paternel, il n’a pas la vocation de vêtir le costume d’un dictateur éclairé. Ses prérogatives limitées, mais aussi son accointance malheureuse et inattendue avec les islamistes d’Ennahdha ont plongé le pays dans des eaux troubles où la navigation se fait à vue.
Vis-à-vis de ses électeurs M. Caid Essebsi est coupable de ne pas avoir honoré ses promesses électorales. Il a peut être agi à contrecoeur dans ce qu’il croit être le bien de la Tunisie en associant les islamistes au pouvoir mais les événements de tous les jours démontrent qu’il a fait malheureusement fausse route. La condescendance, le langage trop raisonnable, l’indulgence excessive ne sont plus à un certain moment des armes politiques. Trop de politique tue parfois la politique.
Le président de la république n’est pas dupe; il savait très bien qu’il allait gouverner avec un parti qui est idéologiquement aux antipodes de ses convictions, qu’il aurait à faire à des opportunistes aptes à toutes les manigances, à des revanchards machiavéliques, à des anciens militants qui n’ont jamais renoncé ouvertement à la violence. Croyant les amadouer en pratiquant la politique de la carotte mais sans le bâton, il doit avoir la lucidité de se rendre compte qu’il s’est ouvertement mis dans une impasse, et qu’il est de la plus grande urgence de changer de direction.
Lion rugissant ou matou docile
Le choix de M. Essid comme chef de gouvernement rentre dans la même logique. Censé être le principal responsable des destinées du pays, M. Essid, au lieu d’être un lion rugissant, s’est révélé plutôt un matou docile et ronronnant depuis qu’il a pris ses fonctions. Parachuté à un poste de très haute responsabilité, peut être malgré lui, à la suite d’innombrables joutes politico-politiciennes, ce grand commis de l’Etat s’est trouvé dans l’obligation de composer avec un panel gouvernemental hétéroclite (Nidaa tounes, Ennahdha, Union patriotique libre, Afek Tounes, indépendants), qui lui a peut-être été imposé, où les ambitions personnelles des uns se disputent avec la suspicion des autres et où l’incompétence le dispute à la suffisance.
Peut-on lutter contre le terrorisme quand les rouages de l’Etat sont paralysés par les accointances politiques, quand les ministères clés sont infiltrés par des responsables douteux nommés du temps de la Troïka par les islamistes; quand des terroristes impliqués jusqu’au cou dans des actes criminels sont vite remis en liberté par des magistrats partisans sinon couards; quand des purges annoncées tant au ministère de l’Intérieur qu’à celui des Affaires religieuses sont renvoyées aux calendes grecques; quand des imams takfiristes infestent encore les mosquées; quand les contrebandiers se délectent dans un trafic florissant; quand une poignée de criminels psychopathes défient encore et toujours l’Etat tunisien dans les montagnes du centre du pays?
Un cirque politique
Le récent discours du chef du gouvernement à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) est à la limite risible et caricatural du marasme actuel. Se réveillant soudainement de sa torpeur, voila que M. Essid, après plus d’une centaines de martyrs, se résout à déclarer une énième fois la guerre aux terroristes en promettant de remettre sur la table une loi antiterroriste qu’il n’a jamais appliquée auparavant et voilà qu’il assure qu’il va appliquer, cette fois-ci, l’état d’urgence «bikolli hazm» (sans dilettantisme, sic!), qu’il va bloquer tous les sites jihadistes qui infestent Internet et qu’il a de tout temps tolérés, qu’il ne va plus accueillir avec bienveillance les assassins qui reviennent de Syrie mais les surveiller (re-sic !), qu’il va enfin fermer pendant 15 jours les frontières poreuses avec la Libye, malgré sa fameuse barrière protectrice, principal fournisseur d’armes en tout genre aux terroristes tunisiens, voilà qu’il se vante d’avoir arrêté 2700 terroristes depuis qu’il est aux commandes tout en omettant de dire combien ont été libérés depuis et combien ont été jugés.
Discours décevant d’un chef qui résonne comme une fausse note débité d’une voix hésitante par un homme peu convainquant qui n’arrive plus rassurer ses concitoyens.
Le terrorisme a été banalisé et s’est installé dans notre vie quotidienne comme un fait divers. Bon nombre de Tunisiens n’arrivent plus à gober ces boniments, ce cirque politique, ces éternels blablabla sur les plateaux de télévision d’une classe politique usée qui n’a plus aucun crédit, ces litanies creuses de «tarahom» sur la mémoire des martyrs, ces appels à l’unité nationale avec un parti, en l’occurrence Ennahdha, dont le passé violent est connu de tous.
La Tunisie a besoin d’une autre politique, d’un gouvernement de battants, de ministres déterminés et d’un chef à poigne intransigeant. Tout le reste est du folklore national.
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