Artiste féru de rencontres et globe-trotter à ses heures, Hamadi Ben Saad est un artiste iconoclaste, libre dans ses choix et audacieux dans ses peintures.
Par Hamadi Abassi
Retranché derrière une attitude réservée, il demeure attentif au grouillement de la ville qui l’enivre et dont il aime débusquer les strates et les humeurs à travers les portraits familiers qu’il capte tout au long de ses pérégrinations.
Ces instantanés de vie, il nous les restitue dans son travail sur les icônes à l’aide d’un graphisme à la fois épuré et fauve. Ses tableaux sont d’interminables portraits d’individus aux regards exorbités, rescapés d’un temps immémorial. Au final, son intrigante sarabande de masques totémiques nous propulse sur des rivages insondés.
Les mains pour donner vie à la matière.
Un art nouveau dégagé de toute convention
La peinture de Hamadi Ben Saad ne cherche pas à séduire, mais à interroger une autre spatialité aux résonances sourdes, façonnées au burin.
Des déchets de tissus de récupération pour une œuvre graphique.
Ce créateur aux multiples ressources cultive un rapport charnel avec la matière pour lui donner vie et forme à l’aide de ses doigts. Cette démarche tactile, il l’entreprend sur différents supports de papier journal, papier kraft marouflé et déchets de tissus jetés par les industriels de la confection. Des produits de récupération avec lesquels il façonne un nouvel imaginaire dégagé de toute convention.
La superposition des couleurs et de la matière, mine de plomb, acrylique, pastel à l’huile, lui permet d’obtenir une texture portée par une lumineuse chromatique.
Inquiétante sarabande de masques totémiques.
Sans rompre avec la Tunisie, son pays d’origine où il aime venir se ressourcer, Hamadi Ben Saad réside maintenant à Osnabrück, en Allemagne, grâce au soutien de l’association «Parente des Arts» (Osnabrück) en Basse Saxe.
Ce séjour fructueux lui a permis d’effectuer de très intéressantes rencontres avec des universitaires et de travailler dans des conditions optimales, en développant une démarche artistique novatrice portée par une soif de liberté.
Interminables portraits d’individus aux regards exorbités, rescapés d’un temps immémorial.
Un artiste polymorphe aux sandales de vent
Insatiable, avide de découverte, il poursuit ses investigations artistiques en voyageant vers d’autres horizons : la France, la Suisse, la Hollande, la Belgique et Amsterdam, la ville de Rubens. Autant de haltes européennes avant de pousser vers le Nouveau Monde : New York, Philadelphie, Washington DC, Atlanta, Caroline du Sud, San Francisco et San Diego, plusieurs provinces du Canada et le Mexique.
Dans l’atelier poussiéreux encombré de châssis de tableaux de son ami Hassen, encadreur à la rue du Caire à Tunis, où je le rencontrais, l’artiste engoncé dans un pardessus stricte, le regard caché par des lunettes de soleil, un léger sourire esquissé sur les lèvres, me parle passionnément de sa résidence à Osnabrück et me montre ses récentes toiles qui attendent d’être encadrées avant de partir pour une galerie à New York.
L’antre du peintre.
Des tableaux de petits formats qui ne sont que des croquis, des exercices, qui seront intégrés par la suite dans la perception et la vision d’une fresque monumentale. «J’ai besoin d’espace pour accomplir pleinement mes rêves et libérer mon geste créateur. C’est ainsi que je m’exprime le mieux», confie-t-il, en replaçant par des gestes méticuleux les toiles dans le grand porte document qui leur est réservé.
«Les artistes peintres tunisiens doivent voyager et s’ouvrir davantage aux autres expériences artistiques. La Tunisie a signée 187 accords culturels avec différents pays qui ne sont pas mis en application. Ils végètent encore dans les tiroirs du ministère des Affaires étrangères. Dans le cadre des échanges bilatéraux, les ambassades étrangères à Tunis nous proposent leur culture picturale et les oeuvres de leurs artistes, alors que nous sommes incapables de faire de même pour faire voyager nos artistes et leurs oeuvres. Or, pour un artiste, voyager c’est vivre, aimer la vie et créer», dit-il, avant de répondre à un appel sur son portable.
Des toiles en papier journal de récupération.
Artiste polyvalent, Hamadi Ben Saad persévère dans sa démarche créatrice en entreprenant simultanément un nouveau projet en phase de finition. En récupérant les déchets de tissus jetés par les grandes manufactures de confection, et leur couture sur la toile, il obtient une composition picturale qu’il traite avec de l’acrylique et de la colle vinylique. Un patchwork saisissant qui s’intègre harmonieusement dans une perception graphique et chromatique.
C’est une nouvelle étape dans son parcours artistique foisonnant, qu’il compte présenter dans le cadre d’une exposition itinérante en Tunisie, ensuite grâce à la fondation Lafayette à la galerie Gramercy Squart à New York, et finalement à Düsseldorf.
Alternance de la matière et des couleurs.
Altruiste, il envisage, avec le soutien de l’université Converse Collège à Spartanbürg, en Caroline du Sud, d’encadrer des artistes peintres tunisiennes et leur offrir davantage de visibilité aux Etats Unis. C’est ainsi que Feriel Lakhdhar, Emna Masmoudi, Naïma Karoui, Rouma Bel Hiba, Mouna Amma exposeront, aux côtés d’artistes allemandes, américaines et suisses, au musée de Converse Collège sur le thème «Transatlantic voyage».
Dans ce lieu de rencontres et d’échanges, une grande salle d’exposition porte sur son fronton le nom de Hamadi Ben Saad, un artiste polymorphe aux sandales de vent, en reconnaissance à toutes ses aptitudes.
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