Au lieu de se réjouir des difficultés de Nidaa Tounes, il est plus judicieux d’accompagner sa mutation difficile pour devenir une véritable force démocratique.
Par Salah El-Gharbi *
Le vacarme ambiant produit par les «analyses» hâtives et approximatives et parfois tendancieuses de nos journaleux et de leurs «experts» à propos de l’actualité brulante de Nidaa donne le tournis. Rien que des incantations, de hasardeuses supputations et de postures qui frisent le ridicule. Ainsi, la crise politique majeure que vit Nidaa devient prétexte à un règlement de compte avec les islamistes. «Haro sur la coalisation Nidaa-Ennahdha», scande-t-on partout…
Or, s’il y avait un acte politique important à saluer pour l’année 2015, ce serait la «cohabitation» de Nidaa et du parti islamiste, un parti – on l’oublie assez souvent – qui occupe une place importante sur l’échiquier politique. Isoler Ennahdha aurait été un pari risqué sur l’avenir. L’avoir associé ne pouvait, et malgré les réserves qu’on pourrait formuler – que responsabiliser cette formation politique et l’aider ainsi à évoluer sereinement.
L’heure n’est plus aux approches manichéennes
En fait, certains semblent oublier qu’en 2011, c’est l’auto-victimisation qui avait contribué au triomphe des islamistes. Aujourd’hui, l’histoire risque de se répéter si l’on continue à les diaboliser gratuitement, cherchant ainsi à les exclure faisant d’eux, une fois encore, des victimes aux yeux de la population…
D’autre part, il est incongru de constater que cette campagne de dénigrement anti-Ennahdha soit orchestrée par d’anciens staliniens ou des adorateurs de Gamal Abdel-Nasser ou de Michel Aflak, en l’occurrence des personnes qui n’ont rien à envier aux islamistes en matière de rigidité idéologique.
En somme, l’heure n’est plus aux approches manichéennes des questions politiques. Il est temps que le débat politique gagne en sérénité et que les incantations et les attaques outrancières cèdent la place à la confrontation des idées et des projets.
Par ailleurs, la crise de Nidaa devient, pour certains, l’occasion inespérée pour faire le procès du «vote utile» en culpabilisant tous ceux qui ont suivi «Si Béji» comme si cette douloureuse épreuve venait opportunément exacerber l’intarissable aigreur des «perdants» et le dépit de ladite «opposition de gauche».
Ainsi, depuis des mois, les uns et les autres ne ratent pas une occasion sans faire les Cassandre, en se frottant les mains : «Nous vous avons pourtant prévenu!», martèlent-ils avec véhémence. Et les «chefs» de ces «partis» de profiter de toutes sortes d’opportunités pour fustiger sournoisement, l’action du gouvernement. «C’est Ghannouchi qui détient effectivement le pouvoir dans notre pays!», soutient même et sans la moindre hésitation, il y a quelques semaines, un de leurs ténors au micro d’une radio privée.
A Sousse, une page fut tournée
Il serait naïf de croire que la déconfiture de Nidaa puisse profiter aux «parti-clubs» (en Egypte, on parle de «partis de salon»), ni au «Front». Seuls les islamistes – qui se retiennent sagement en attendant des jours meilleurs – sont capables d’en tirer profit à moyen terme. Au contraire, la défaite de Nidaa serait la défaite de tous, celle de notre fragile démocratie. Ainsi, au lieu de se réjouir des difficultés que connait ce parti, il est plus judicieux de se demander si la crise n’était le signe que Nidaa vit une nouvelle dynamique et que c’est cette mutation difficile qui va lui permettre de se structurer, de s’affirmer comme une véritable force démocratique. Les petites rivières ne connaissent pas de remous. Il est normal qu’un aussi grand parti, dans un pays qui n’a pas de traditions démocratiques comme le nôtre, puisse tituber, connaisse des hésitations, des secousses et des soubresauts.
Contrairement aux apparences, l’échec du «Congrès» de Sousse n’a fait que consacrer le triomphe de la démocratie en dévouant les manœuvres sournoises de la bande de Hafedh, le fils du président de la république Béji Caïd Essebsi.
A Sousse, l’arroseur fut arrosé. Ni le charme, ni l’aura présidentiels n’étaient suffisants pour cacher l’arnaque, faire passer la pilule.
A Sousse, et contre toute attente, l’Histoire fut écrite par le parterre. BCE qui comptait sur son charisme et son capital de sympathie auprès des Nidaistes pour aider son fils à réussir son OPA sur le parti, non seulement il a perdu son pari, mais il est aussi sorti de la lutte fragilisé, décrédibilisé. La surprise fut de taille, celle de voir ces militants embrigadés, supposés acquis au fils, qui refusent d’être cantonnés dans le rôle de figurants et qui revendiquent leurs droits à être associés aux décisions qui concernent le devenir de leur parti.
A Sousse, une page fut tournée. Ainsi, la figue du père qu’on avait longtemps adulée est désormais entachée et la sympathie se transforme en méfiance… Le temps du «leader suprême» qui fascine et terrifie à la fois est révolu. Pour la première fois, «Si Béji», qui semble avoir sous-estimé la réaction de la base, perd de sa perspicacité habituelle, trahi, vraisemblablement, par le sentiment paternel.
Toutefois, cet élan avorterait s’il n’était pas soutenu par la hiérarchie, en l’occurrence par la présidence de la république. En effet, cette «affaire» pourrait n’être qu’une simple crise passagère, à la seule condition que les remèdes à la crise correspondent aux attentes des militants soucieux de voir leur parti géré non pas comme une propriété privée mais comme une formation politique moderne qui mérite sa place de locomotive œuvrant pour le bien être du pays. L’étape est critique et les rafistolages et combines ne feraient qu’aggraver une crise qui a déjà assez duré.
* Universitaire et écrivain.
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