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In memoriam : Lazhar Chraïti, père, pardonne-nous !

Lazhar-Chraiti

L’auteure rend hommage à Lazhar Chraïti, son père, ancien chef des fellagas, accusé de tentative de putsch contre Bourguiba et fusillé le 24 janvier 1963.

Par Djemaa Chraiti*

Soudain, des cris de détresse, la voix de Lazhar Chraïti : «Ce n’est pas possible, j’ai tout sacrifié pour mon pays. Ô mes enfants!»

Claquements de portes, puis un silence. Il sera fusillé à l’aube du 24 janvier 1963.

En passant devant son portrait, je le regarde et n’ose pas lui dire: Père, rien n’a changé en 53 ans, les pauvres sont toujours aussi pauvres. La région de Gafsa, là où tu es né, est toujours aussi délaissée et méprisée, tout le sud que tu aimais tant est devenu une rivière de larmes! Tu gis encore dans une fosse commune, personne n’a daigné t’enterrer comme un homme qui s’est battu et est mort pour son pays.

Lazhar-Chraiti-Bourguiba-en-1955

Lazhar Chraiti, avec Habib Bourguiba, à son retour triomphal à Tunis, le 1er juin 1955.

Son regard se pose sur moi, fier et tranquille, je sais qu’il peut être fier de nous. Il ne nous a rien laissé, personne ne pourra dire qu’il s’est battu pour amasser des richesses, et le peu qu’il avait lui a été volé. La maison dans laquelle nous sommes nés, à Ezzahra, une maison vieille et délabrée, a été investie par un policier après 2011 et qui menace de son arme de service quiconque s’en approche, personne au gouvernement ne bougera, parce que c’est la loi du plus fort, la loi des pistons, la loi des pots-de-vin pour acheter le silence et l’incurie.

Le regard tranquille posé sur moi, il sait que le changement est long, sa vie sacrifiée n’y a pas suffi ! Il sait que défendre les pauvres est le plus rude des combats car on ne gagne rien à défendre la dignité des plus faibles, on y laisse sa peau et son sang, mais c’est le seul combat qui mérite d’y laisser sa vie.

Lazhar-et-Viviane-Viviane

Lazhar Chraiti et sa seconde épouse suissesse Viviane, qui lui a donné 5 enfants: Dalila, Slim, Yamina, Rebah, Hamza, Djemâa et Karim, qui vivent en Suisse.

«Une maison n’est rien, ce ne sont que quatre murs qui finiront par se lézarder, ma fille, c’est la dignité qui compte, donner à chacun l’espoir d’une vie meilleure, d’une justice pour tous, d’un travail qui te permette de te nourrir et nourrir les tiens la tête haute. Ne pleure pas ma fille, je suis devenu poussière, mais j’ai laissé à mon peuple, en héritage, l’esprit de la révolution et le goût de la liberté. Va, mon enfant, continue ton chemin, digne et fière!»

* Activiste et blogueuse suisse d’origine tunisienne.

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