Avec l’alliance entre Nidaa Tounes et Ennahdha, la Tunisie est passée de la domination d’un parti unique à celle d’un «parti» à deux têtes. La démocratie peut attendre…
Par Jamila Ben Mustapha*
Pour une fois, on peut être d’accord avec Lotfi Zitoun, membre du conseil de la choura d’Ennahdha, qui critique la décision du ministre du Commerce, Mohsen Hassen, de baisser le prix du thé, la qualifiant d’opportuniste.
Bizarre et confortable, cette attitude d’Ennahdha : parti d’opposition quand il s’agit de questions religieuses essentiellement, et parti allié pour le reste; formellement, quasi absent de l’exécutif, mais au pouvoir, de façon tacite – et essentiellement par cette entente, hors institutions, entre son président, Rached Ghanouchi, et le chef de l’Etat, Béji Caïd Essebsi –, renouant ainsi un peu avec sa pratique passée de parti clandestin. En un mot: la chance rare de gouverner sans devoir assumer explicitement ses erreurs !
Les réflexes du passé
Nous sommes dans une phase où la Troïka, l’ancienne coalition gouvernementale conduite par Ennahdha, débarrassée de ses 2 ailes mortes de leur belle mort (Ettakatol et CPR), et réduite de fait à un seul parti, se repose des critiques féroces du passé dont elle a été la cible, en riant probablement en douce de voir l’ancien «adversaire», Nidaa Tounes – pas si adversaire que cela, d’ailleurs, si on considère les positions des deux partis sur le plan économique –, en être victime, à son tour.
Les spécialistes devront se pencher sur cette façon bien tunisienne d’adapter les institutions juridiques à la réalité : quel est le statut exact d’Ennahdha? Quel est le pouvoir de fait du président de la république, et quel est, en conséquence, celui du chef de gouvernement?
La situation politique dans notre pays, pour longtemps encore, aura toutes les caractéristiques d’une situation intermédiaire et d’une phase transitoire. Il y a les textes, mais il y a leurs multiples applications possibles, et surtout, les «tics», «les réflexes» venant du passé qui font que la conformité du réel à ces textes n’est pas pour demain et que les politiciens adaptent les institutions à leurs intérêts, en prenant soin d’amortir leurs angles, au passage !
L’opposition réduite à rien
On retiendra principalement deux caractéristiques de cet état insolite des choses : le chef de l’Etat possède, dans les faits, plus de pouvoir que celui que lui octroie la Constitution, vu l’absence, pour lui, de concurrence et d’hommes politiques d’expérience; et l’alliance entre les deux plus grands partis a réduit à presque rien le statut de l’opposition, représentée essentiellement par le Front populaire, du moins, à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP). On serait passé ainsi du parti unique à un «parti» à deux têtes, presque aussi grand.
Cette conjoncture est problématique au niveau politique – puisque le régime démocratique se trouve par là, sensiblement affaibli, restant encore plus formel que réel –, mais elle est intéressante à analyser intellectuellement, sur le plan de la philosophie et de la sociologie du droit.
* Universitaire.
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