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Tunisie et Ukraine, pivots stratégiques pour les Etats-Unis

Femme-Tunisie

Selon ces deux experts américains, les Etats-Unis doivent assurer une aide exceptionnelle à deux pays : la Tunisie et l’Ukraine.

Par Kristin M. Lord et William B. Taylor *

La Tunisie, qui est aujourd’hui confrontée à la pire agitation sociale depuis le début des soulèvements du Printemps arabe, en 2011, présente ainsi la preuve de la vulnérabilité de ce pays qui a su mener à bien et jusqu’à son terme sa transition démocratique, sans guerre civile ni retour de la dictature.

En Europe, l’Ukraine se débat pour préserver sa jeune démocratie et faire face au mécontentement que suscitent auprès des populations les réformes courageuses mises en œuvre par la nouvelle équipe gouvernementale – à un moment où la Russie voisine exerce sur ce pays une forte pression militaire et économique.

Des chances précieuses pour les Etats-Unis et leurs alliés

Pour de nombreux citoyens américains, et très certainement aussi pour quelques uns des hommes politiques aux Etats-Unis, ces deux pays – qui comptent respectivement des populations de 12 et 45 millions – pourraient tout simplement représenter deux problèmes de plus figurant sur la liste interminable de défis de politique étrangère auxquels le monde fait face. Pareille perception est une erreur grave – et certainement aussi irréparable – dont les conséquences se répandraient en cascade à travers des régions entières et se prolongeraient sur de nombreuses décennies.

La Tunisie et l’Ukraine offrent à l’Amérique et à ses alliés des opportunités précieuses pour promouvoir leurs intérêts stratégiques et potentiellement pour peser sur l’actuel environnement sécuritaire dangereux, à un moment où la politique de sécurité nationale des Etats-Unis s’apparente plutôt à un interminable et dangereux jeu de la taupe géopolitique.

Ces deux pays sont assurément des pivots stratégiques très importants.

La Tunisie est l’unique démocratie arabe dans la région moyen-orientale. Elle s’est dotée d’un gouvernement librement et indépendamment élu qui se bat contre des extrémistes radicaux déterminés à causer son échec. C’est également le pays où quatre organisations de la société civile se sont vues décerner le prix Nobel de la paix pour leur réussite à promouvoir une transition politique pacifique.

L’Ukraine est un autre cas où un gouvernement librement et équitablement a été élu, dans une région en proie à des renversements de la démocratie (…)

La réussite de l’expérience démocratique de ces deux pays sera bien plus efficace que toute autre démarche visant à faire face aux menaces d’organisations islamistes radicales comme l’EI ou à résister aux efforts russes de déstabilisation de régions entières  d’Eurasie – bien plus efficace que toutes les campagnes de bombardements en Syrie ou toute autre initiative de contre-propagande. Et l’on obtiendrait, à n’en pas douter, un meilleur rendement pour les milliards de dollars de l’argent des contribuables américains investis dans les réponses tactiques: cela permettra à l’Amérique de réaffirmer l’importance des valeurs universelles que nous chérissons, non pas uniquement pour nous-mêmes mais également pour le bien-être de ceux qui se battent pour les obtenir et les préserver.

Ukrainienne-au-drapeau

Des bons enseignements de la Guerre froide

Durant la Guerre froide, les stratèges américains avaient compris que soutenir les alliés des Etats-Unis, garantir la vitalité de leurs démocraties et prémunir leurs économies de marché étaient aussi importants que se défendre contre les provocations militaires qui ont marqué cette période de la confrontation Est/Ouest. Les présidents américains de Truman à Reagan avaient œuvré à unir l’Europe et à intéresser les Etats nouvellement indépendants en Europe, Asie, Afrique et Amérique latine à la gouvernance démocratique et à l’économie de marché par le pouvoir de l’attrait. La réussite de ces pays avait autant contribué à l’effondrement du Rideau de fer que la puissance militaire des Etats-Unis – et l’une des approches n’aurait jamais pu réussir sans l’apport de l’autre…

Cette même démarche stratégique est à présent requise, à un moment où la réussite de la Tunisie et de l’Ukraine reste encore possible mais demeure toujours incertaine. Les répercussions stratégiques et morales de l’échec de ces deux expériences  seraient énormes.

L’échec de la Tunisie serait une tragédie pour les Tunisiens qui ont ouvert la voie du Printemps arabe et se sont unis pour transformer de manière pacifique leur société. Cela représenterait une victoire sans précédent pour l’EI et les autres mouvements extrémistes – qui recrutent déjà en nombres importants en Tunisie–, tout autant que pour les populations de la région qui aspirent, elles aussi, à établir des gouvernements justes et représentatifs.

Un échec en Ukraine constituerait, lui aussi, un affront aux sacrifices consentis par les protestataires de la place Maïdan et aux efforts des réformateurs qui se battent contre la corruption (…)

Toutes les raisons du soutien américain

Ces deux pays ont besoin, de toute urgence, du soutien des Etats-Unis et de l’Europe, afin qu’ils puissent donner plus de force à leurs transitions et répondre aux attentes légitimes des leurs citoyens. Et cet appui devrait s’articuler autour de:

. une assistance financière pour les aider à consolider leurs économies;

. un soutien à la formation professionnelle et à l’entrepreneuriat, des bourses et des échanges éducatifs, de façon à engager constructivement et productivement la jeunesse de ces deux pays;

. une assistance dans le domaine de la bonne gouvernance, notamment dans la lutte contre la corruption (…)

. une assistance sécuritaire pour permettre aux forces armées légales de repousser les attaques qui visent à déstabiliser ces eux pays.

Il est indéniable que les gouvernements de ces deux pays souffrent de certaines faiblesses –notamment de trop de corruption, de beaucoup trop de querelles politiques internes et d’un manque notoire de transparence. Cependant, il faut également admettre que les deux gouvernements sont déterminés à entreprendre les réformes dont leurs pays ont besoin et à appuyer les valeurs de la gouvernance participative, des droits de l’Homme et de l’Etat de droit dans des régions où ces nobles principes sont assiégés. Leurs citoyens qui détiennent désormais de nouveaux pouvoirs revendiquent le changement et la reddition de comptes.

Une politique étrangère des Etats-Unis qui accorde toute la priorité au sauvetage de la Tunisie et l’Ukraine est une vision stratégique capable de transformer, et non pas seulement de répondre à, un environnement sécuritaire global menaçant. C’est une vision que les Démocrates et les Républicains ont toutes les raisons du monde de soutenir.

Texte traduit de l’anglais par Marwan Chahla

Source: ‘‘The Hill’’.

*Kristin M. Lord est présidente de l’IREX (International Research & Exchanges Board), une organisation mondiale à but non-lucratif spécialisée dans les domaines de l’éducation et du développement, qui opère en Tunisie et en Ukraine. William B. Taylor est actuellement vice-président de l’Institut des Etats-Unis pour la paix. Auparavant, il a été ambassadeur des Etats-Unis en Ukraine et coordinateur des Transitions au Moyen Orient.

** Les titre et intertitres sont de Kapitalis.

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