Le gouvernement ne peut continuer indéfiniment à s’alarmer sur le déficit des caisses sociales. Il doit commencer à agir, en urgence et bistouri à la main.
Par Kamel Essoussi *
Le ministre des Affaires sociales vient de le confirmer. La sécurité sociale se meurt. La CNRPS, la CNSS et la CNAM menacent ruine sous les coups de boutoir d’un gouffre financier abyssal de 1 milliard de dinars que l’Etat s’épuise sans répit à combler au prix de coupes drastiques sur son budget déjà largement sollicité.
Un vrai problème, de fausses solutions
Causes structurelles et démographiques de vieillissement des populations? Certainement ! On l’a bien compris depuis belle lurette et on ne cesse pas de nous le rabâcher à longueurs d’ondes et de séminaires. Mais sûrement aussi léthargie des gouvernements successifs sans courage politique, des responsables gestionnaires des caisses, scribouillards sans imagination, et de centres de recherche plus budgétivores que prolifiques en propositions.
Tout ce beau monde a laissé pourrir la situation et regarde l’édifice se lézarder dangereusement.
Comment procéder? Certainement pas en continuant à nous miroiter et à nous leurrer avec le projet du recul de l’âge de départ à la retraite qui date du temps de Ben Ali et qui, à force d’être lissé et amendé, et à force de subir les interférences des partenaires sociaux, a atterri dans le bureau du président de l’Assemblée vidé de son sens, incolore, inodore et hautement plus déstabilisateur de l’équilibre financier.
On n’a même pas besoin d’être expert pour comprendre que maintenir pendant 2 ans ou 5 ans les seuls fonctionnaires en activité est un projet sur mesure fait pour les seuls gros bonnets de l’administration et se traduit pour le budget de l’Etat par des dépenses supplémentaires en salaires d’au moins 27% pendant la période de maintien. Ce que l’Etat ne paiera pas en revenus de substitutions que sont les retraites, il le paiera donc en salaires réels, tribut inefficient chèrement payé par la communauté des contribuables.
S’attaquer au mal à ses racines
Qu’on se le dise et que les partenaires sociaux et l’UGTT en particulier en soient conscients; il n’y a aucun autre moyen de résoudre le problème des retraites de façon urgente qu’en s’attaquant au mal à ses racines : mettre fin à la générosité du régime public des retraites en redéfinissant les pensions, qui sont comprises partout dans le monde sauf en Tunisie comme un revenu de remplacement et non une perpétuation du salaire d’activité.
Si l’on admet ce principe, tout le reste suivra comme l’abolition de cette scélérate péréquation automatique des pensions où le bénéficiaire se verra augmenter ses subsides exactement comme son homologue actif alors qu’il est tout le temps au café du coin à siroter son fond d’express refroidi.
Comme aussi cette pension déplafonnée pouvant atteindre 90% du dernier salaire d’activité qui n’existe nulle part au monde et qui, paradoxalement, se traduit par plus de 100% de ce qu’on percevait en activité si on compte l’abattement fiscal, la cessation du paiement de la cotisation de retraite et la réduction de la cotisation CNAM à 4% au lieu des 6,75% demandés aux actifs.
Que messieurs les décideurs du côté de la Kasbah et de Bab Benat se tranquillisent, eux qui sont souvent au bord de la retraite et diffèrent à chaque fois aux calendes grecques sous différents subterfuges toute réforme du genre en pensant à leurs lendemains à eux.
Ce genre de mesures ne peut entrer en vigueur que progressivement. Toute la période accomplie sous l’effet de la loi ancienne sera liquidée selon la loi ancienne. Toute période accomplie sous l’autorité de la loi nouvelle moins généreuse sera liquidée selon la nouvelle loi. Ces décideurs connaissent sûrement la règle de coordination et la totalisation, proratisation : plus équitable, moins drastique et plus en symbiose avec les générations futures à qui on ne pense jamais, sans léser les droits des entrants à la retraite. Ils sauront s’en accommoder.
L’assurance maladie est très malade
Venons-en au régime d’assurance maladie ! Il est bien loin le temps où la santé du citoyen était au cœur du débat et importait le plus. C’est aujourd’hui son porte-monnaie ou son assurance qui compte. Qu’on ne nous leurre plus là-dessus en criant sur les toits que la CNAM est bénéficiaire et qu’il n’y a pas de soucis à se faire en se croisant les bras et à regarder mourir le système.
Le régime d’assurance maladie en lui-même, et sans le cathéter du régime des accidents de travail, est très malade, chroniquement atteint, cliniquement agonisant. C’est le tout puissant syndicat des médecins de libre pratique qui l’a voulu ainsi parce qu’ils voulaient le beurre, l’argent du beurre et le sourire de la crémière : la CNAM.
La réforme dans ce secteur est impérativement conditionnée par le revirement sur le choix imposé pour le mode de paiement à l’acte, existant seulement en France, qui comporte déjà les germes de sa dérive inflationniste. C’est un processus où seul le toubib décide, libre, à travers ses actes et ses prescriptions, des dépenses et de l’équilibre financier du régime, sans que la CNAM, payeuse en aveugle après coup, puisse exercer un quelconque contrôle comptable et encore moins médical, d’ailleurs impossibles.
Inverser la règle par l’adoption du système national de santé dit de la «capitation» comme le font tous les pays riches de la planète qui se respectent s’avère être la seule planche du salut à même de maîtriser à la source toutes les dérives financières.
Que nos médecins de libre pratique comprennent définitivement que la capitation est un paiement forfaitaire préalable mensuel payé par la CNAM pour un nombre de malades qu’on leur confie dans une région déterminée choisie par la caisse quitte à ce que la CNAM paie les frais d’installation et de cabinet du praticien. Qu’ils saisissent définitivement que la CNAM ne leur impose rien. Libre à eux d’exercer là où ils veulent et selon les honoraires qu’ils veulent mais libre aussi au payeur de ne pas prendre en charge leurs prestations. C’est conventionnel entre deux parties et nul n’est contraint à signer si ça ne lui convient pas. Qu’ils se le disent : ils ne sont pas meilleurs ou pires que les médecins suédois, anglais, norvégiens, russes tchèques, espagnols et italiens qui acceptent la règle du jeu.
Cessez donc de nous alarmer, messieurs les gouvernants et agissez ! Commencez à bouger, vous ne pouvez faire autrement pour le moment qu’en ouvrant au bistouri et en urgence ce malade sécurité sociale à travers ces deux mesures sur la retraite et la maladie et surtout ne faites pas comme tous vos prédécesseurs à se jeter mutuellement la patate chaude. Cela donnera un petit souffle à ce grabataire, diffèrera un tant soit peu l’insécurité sociale en attendant la grande réforme, la refonte totale, la grande lessive.
* Consultant.
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